La chimie de la nature pourrait contribuer à réduire les déchets et à améliorer la santé

Des chercheurs financés par l’UE étudient les processus chimiques de la nature pour développer de nouveaux moyens plus propres de produire des substances chimiques et des ordinateurs capables de communiquer avec le corps humain.

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Par Horizon Publié le 20 octobre 2024 à 10h00
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15%Internet représente 10 à 15% de la consommation énergétique mondiale

Lorsque le docteur Andrés de la Escosura, chercheur en chimie organique à l’Institut de recherche avancée en sciences chimiques (IAdChem) de Madrid, en Espagne, a décidé de repenser radicalement la façon de produire les produits chimiques du quotidien, son raisonnement était simple. La chimie de la nature est propre et efficace, alors que celle d’origine industrielle est tout sauf cela. 

«Les réactions chimiques naturelles sont incroyablement efficaces, puisqu’elles génèrent très peu de déchets et consomment très peu d’énergie», a déclaré M. de la Escosura.

Il s’est demandé si, en reproduisant la biologie plus fidèlement dans les réactions industrielles, il serait possible de créer une industrie chimique plus propre et plus respectueuse de l’environnement.

Grâce au financement de l’UE, M. de la Escosura a pu collaborer avec des chercheurs de pays tels que l’Autriche, les Pays-Bas et la Suisse pour tester ces idées dans le cadre d’une initiative de recherche intitulée CLASSY qui s’est achevée plus tôt cette année.

Avantage naturel

Les organismes vivants fonctionnent grâce à des réactions biochimiques. De la respiration à la photosynthèse en passant par la digestion des aliments et la contraction des muscles, chaque processus biologique implique le déplacement, la décomposition, la recombinaison et la synthèse de substances chimiques. Ces processus sont tous très propres et consomment peu d’énergie.

À l’inverse, les processus issus de la chimie industrielle, utilisée dans des secteurs tels que la santé, l’énergie, les transports et le logement, génèrent d’énormes quantités de déchets. À titre d’exemple, la production de produits pharmaceutiques génère généralement 25 à 100 kilogrammes de déchets pour chaque kilogramme de produit final. 

L’industrie chimique est, elle aussi, très énergivore. L’office statistique de l’UE a indiqué que le secteur chimique et pétrochimique est responsable d’un cinquième de la consommation énergétique industrielle européenne. Ceci en fait un pollueur et un contributeur majeur au changement climatique.

Les chercheurs du projet CLASSY se sont inspirés des systèmes vivants. La nature synthétise efficacement un immense éventail de substances chimiques complexes en séparant ou en compartimentant différents processus chimiques et en utilisant des mécanismes de rétroaction naturels pour les réguler.

Flux continu

L’équipe de recherche a étudié des moyens de reproduire ces processus dans ce qu’ils appellent des «réacteurs microfluidiques» élaborés de façon à imiter l’activité des cellules vivantes.

La microfluidique est la manipulation de fluides à travers de minuscules canaux. Les fluides et les molécules qu’ils contiennent sont triés et guidés à travers une série de puces ou de microréacteurs. Différentes molécules peuvent être envoyées vers différentes chambres de réaction, et leur progression dans le dispositif est étroitement contrôlée dans le cadre d’un processus progressif par étapes. 

Le traitement des substances chimiques synthétiques se fait en plusieurs étapes. M. de la Escosura explique que lorsque ces processus ont lieu dans un système fermé, comme un flacon ou une chambre de réaction industrielle, il arrive un moment où il faut interrompre l’opération, vider le réacteur, puis relancer la réaction.

La microfluidique permet aux réactions chimiques de s’effectuer de manière plus naturelle. Les réacteurs contiennent un mélange d’enzymes et d’autres molécules qui produisent une réaction chimique. Une fois la réaction chimique terminée, les composés circulent dans le système vers la chambre suivante et la réaction suivante. L’avantage de cette approche est que le processus global peut se dérouler en continu.

Les chercheurs du projet CLASSY ont fait des progrès notables. Ils sont en effet parvenus, pour prouver leur concept, à mettre au point un dispositif microfluidique capable de décomposer les graisses végétales pour produire un biocarburant. 

M. de la Escosura reconnaît que l’efficacité du processus pourrait encore être améliorée. Il espère toutefois qu’un jour prochain de tels dispositifs pourront effectuer des tâches différentes en fonction de ce qui est introduit dans le système. Il a ajouté que des recherches plus fondamentales sont nécessaires mais que l’espoir est que cette approche puisse réduire considérablement les déchets et la consommation d’énergie, tout en améliorant les rendements chimiques.

«L’objectif est de réduire l’impact de l’industrie chimique sur le changement climatique et sur d’autres problèmes environnementaux», a-t-il expliqué.

Selon l’UE, il est particulièrement important de parvenir à relever ce défi dans la mesure où la production chimique mondiale devrait doubler d’ici à 2030. L’UE a publié sa propre stratégie dans le domaine des produits chimiques en 2020 dans le but de réduire l’impact environnemental et sanitaire du secteur des produits chimiques dans le cadre de ses objectifs «zéro pollution» et du Pacte vert pour l’Europe

Chimie du corps humain

Des chercheurs d’Espagne, du Danemark, des Pays-Bas et de Suisse ont entrepris des recherches similaires pour déterminer comment des réseaux de réactions chimiques complexes (CRN) créés à l’aide de puces microfluidiques pourraient contribuer à une informatique à faible consommation d'énergie

Ces travaux s’inscrivent dans une initiative de recherche d’une durée de quatre ans intitulée CORENET. Elle aussi coordonnée par M. de la Escosura, elle a bénéficié d’un financement de l’UE afin de concevoir des «ordinateurs chimiques» capables d’effectuer des opérations de calcul concrètes, et à terme, d’interagir avec le corps humain, même si c’est encore loin d’être possible et que cela sort de la portée actuelle du projet CORENET.

Ce n’est pas aussi insolite qu’il y paraît. «L’ordinateur le plus efficace au monde est chimique: c’est le cerveau humain», a déclaré M. de la Escosura. En fait, nos organes, qui contrôlent les conditions internes et réagissent en conséquence, fonctionnent essentiellement comme des processeurs d'information.

Le docteur Wilhelm Huck, professeur de chimie organique physique à l’Institute for Molecules and Materials de l’Université Radboud aux Pays-Bas, a publié récemment un article capital qui confirme le potentiel offert par les ordinateurs chimiques.

M. Huck, qui est aussi membre de l’équipe de recherche de CORENET, démontre dans cet article la capacité d’un tel ordinateur chimique à traiter l’information dans un réseau de réactions ressemblant à celles du métabolisme cellulaire.

«Dans les systèmes biologiques, tous les processus (les fonctions, le traitement de l’information, etc.) ont lieu grâce aux molécules», a expliqué M. de la Escosura.

Les ordinateurs chimiques auraient, entre autres, pour avantage de pouvoir produire des informations sous forme de substances chimiques capables d’interagir directement avec des systèmes vivants – et de répondre aux informations reçues de leur part. Ceci pourrait servir à produire des dispositifs médicaux portables capables d’imiter la signalisation biochimique naturelle. 

Une communication transparente

La plupart des dispositifs médicaux portables restent relativement simples. On peut citer en exemple les pompes à insuline qui délivrent une dose constante d’insuline à intervalles réguliers tout au long de la journée pour aider à contrôler la glycémie des personnes diabétiques. 

Certains dispositifs plus perfectionnés en cours de développement peuvent réagir directement à la glycémie pour délivrer de l’insuline lorsque c’est nécessaire. Ils peuvent même permettre, dans une certaine mesure, de contrôler la dose administrée.

La mise au point d’un ordinateur chimique portable capable de mesurer les composés chimiques dans le sang et, par une série de réactions, de produire différentes substances chimiques en réponse serait une véritable révolution. 

«Ce type de calcul effectué au moyen de systèmes chimiques pourrait nous aider à mieux modéliser la complexité trouvée dans les organismes biologiques», a ajouté M. De la Escosura.

Même si ce tels dispositifs continuent d’appartenir à un avenir lointain, les chercheurs du projet CORENET considèrent qu’ils pourraient un jour proposer un traitement personnalisé pour différentes maladies grâce à la synthèse de molécules médicamenteuses déclenchées par des signaux du corps. Ces dispositifs pourraient même servir à créer des interfaces cerveau-machine avancées, une vision qui va bien au-delà du projet CORENET.

Pour Katja-Sophia Csizi, chercheuse postdoctorale chez IBM Research Europe à Zurich, en Suisse, le travail réalisé dans le cadre du projet CORENET est extrêmement innovant car il envisage la chimie sous un angle totalement différent. Le travail de Mme Csizi au sein de l’équipe se concentre sur la façon d’utiliser les CRN dans les applications de calcul chimique.

«Il est plus facile et bien plus efficace d’aborder un objectif ambitieux sous différents angles pour pouvoir l’atteindre», a-t-elle expliqué.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE, via le Conseil européen de la recherche (CER) dans le cas de CORENET. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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