Un nouveau produit d’épargne promet de rapprocher les particuliers des arsenaux. L’objectif ? Mobiliser les portefeuilles pour soutenir l’industrie de défense. Mais entre patriotisme économique et pari risqué, que cache vraiment cette opération ?
Bpifrance Défense : tout savoir sur le nouveau livret défense

Le 20 mars 2025, en pleine séquence géopolitique sous haute tension, le gouvernement français a annoncé le lancement d’un produit d’épargne inédit : un fonds d’investissement dédié à la défense, piloté par Bpifrance, destiné aux particuliers. Avec un ticket d’entrée à 500 euros, ce placement soulève de nombreuses questions sur son efficacité… et sa rentabilité.
Un livret pour la Défense et le réarmement de la France
Avec ce fonds de 450 millions d’euros, l’État cherche à canaliser une part de l’épargne des Français vers le financement des entreprises stratégiques de la base industrielle et technologique de défense (BITD). L’investissement est accessible « à partir de 500 euros », comme l’a confirmé Eric Lombard, ministre de l’Économie, le 20 mars à Bercy, lors d’un colloque réunissant les industriels du secteur. Le montant, une fois engagé, sera bloqué pendant cinq ans. Pas un jour de moins.
Le produit, qui ne prend pas la forme d’un livret classique, pourra être logé dans des enveloppes existantes : contrats d’assurance-vie, Plan d’épargne en actions (PEA) ou Plan d’épargne retraite (PER). En clair, il s’intègre à l’arsenal d’outils existants, sans avantage fiscal spécifique, mais avec un fléchage ciblé : les entreprises non cotées œuvrant pour la souveraineté nationale et l’industrie de la défense.
Pas de rendement certain, pas de capital garanti : un produit dédié aux investisseurs
Contrairement à d’autres produits comme le livret A, ce fonds ne propose aucun taux garanti. Il s’agit d’un investissement en capital risque, directement exposé à la performance des entreprises financées. « C’est impossible de dire si cela sera plus rémunérateur qu’un livret A », reconnaît l’entourage du ministre cité par France Info le 20 mars 2025. Cette incertitude ne semble pas freiner l’ambition gouvernementale. Au contraire, Eric Lombard insiste : « Ce sont de bons placements, car nous devons dans la durée augmenter notre effort de défense nationale », affirme-t-il sur TF1.
Mais entre déclaration martiale et réalité économique, le fossé pourrait être large. Le fonds vise notamment neuf grands groupes – comme Dassault Aviation, Thales ou Safran – mais aussi 4 500 PME et ETI stratégiques. Autrement dit, des entreprises souvent non cotées, peu liquides, peu transparentes, dont le rendement dépendra d’un secteur soumis aux cycles politiques, budgétaires et géostratégiques.
Bpifrance, bras armé de l’État… et des épargnants
Le rôle de Bpifrance dans cette manœuvre n’a rien de nouveau. Depuis 2018, la banque publique a multiplié les fonds dédiés au secteur : le Fonds Definvest, le Fonds Innovation Défense, des fonds de dette privée, des accélérateurs et des dispositifs de diagnostic cyber. En 2024, elle avait déjà injecté 1,2 milliard d’euros dans les entreprises de défense.
Mais la nouveauté réside dans la cible : non plus uniquement des investisseurs institutionnels, mais le grand public. Dans son communiqué du 20 mars 2025, Bpifrance précise que ce nouveau produit baptisé « Bpifrance Défense » sera ouvert aux particuliers, « à partir de 500 euros », pour permettre de « faire le lien entre l’épargne des particuliers et l’investissement dans les start-up, PME et ETI de la cybersécurité et de la défense ». Autrement dit, vous ne devenez pas actionnaire de Dassault, mais contributeur indirect à l’essor d’une industrie aux contours parfois flous.
Entre patriotisme financier et doctrine ESG, la ligne de crête
Ce placement n’a rien d’anodin. Il intervient alors que la notion de « guerre économique » s’installe dans le discours d’État, que la France réarme massivement et que la doctrine ESG (Environnement, Social, Gouvernance) exclut parfois les entreprises liées à la défense. À ce sujet, Bpifrance assure qu’il n’y aura pas de restriction dans sa doctrine et dans son investissement auprès des entreprises de la défense. Le message est clair : pas de tabou, pas d’obstacles, priorité à la souveraineté.
Mais cela soulève une autre interrogation : l’État peut-il simultanément appeler à une finance responsable… et inciter les épargnants à soutenir l’industrie de l’armement ? Faut-il y voir une forme de schizophrénie stratégique ou une mise à jour assumée des priorités économiques et stratégiques ?
Investir dans la Défense : pas pour tous les portefeuilles
Reste une évidence : ce placement ne s’adresse ni aux petits porteurs précautionneux, ni à ceux qui cherchent un rendement stable. Il cible les investisseurs acceptant une durée longue, une incertitude élevée et un pari sur la géopolitique. En cas de succès, ce fonds pourrait tout de même ouvrir une brèche dans l’offre actuelle d’investissement thématique. Il marque surtout une rupture symbolique : l’épargne n’est plus seulement un outil de croissance, mais aussi un levier de puissance.
En moins de 24 mois, la défense est devenue un axe stratégique de l’investissement public et privé, avec un soutien massif de l’État, une mobilisation de Bpifrance, et désormais l’appel au patriotisme des épargnants. Mais l’initiative pose une question : ce nouveau livret, est-ce vraiment un placement… ou une conscription financière volontaire ?