Les banques centrales face au stress dans le secteur bancaire

Les banques centrales aux Etats-Unis, dans la zone euro, en Suisse et au Royaume-Uni ont poursuivi le relèvement de leurs taux directeurs ce mois-ci malgré la tourmente dans le secteur bancaire. Grâce aux mesures rapides des autorités en réaction à la crise, la contagion pourrait être contenue, tandis que l’impact du resserrement des conditions de prêt par les banques renforce l’idée que les cycles de hausse des taux s’approchent de leur point culminant.

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Par Samy Chaar Publié le 31 mars 2023 à 5h50
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Les banques centrales face au stress dans le secteur bancaire - © Economie Matin
1%La BCE s'attend à une croissance de 1% pour la zone euro en 2023.

Les taux de la Fed proches de leur pic

La Réserve fédérale (Fed) a relevé ses taux directeurs de 25 points de base (pb) le 22 mars, mais le langage utilisé dans sa déclaration était plus conciliant que les mois précédents. La référence aux « augmentations continues » des taux a été abandonnée, laissant penser qu’un pic des taux est proche, à la suite de turbulences subies par les banques régionales américaines. Les mesures existantes de resserrement quantitatif ont été maintenues.

Notamment, la vigueur des données macroéconomiques et de l’inflation depuis le début de l’année n'a pas conduit les responsables de la Fed à revoir à la hausse leurs projections macroéconomiques ou celles concernant le taux terminal. Ils ont admis qu’une forte incertitude entoure l’impact des tensions dans le secteur bancaire, ce qui rend les prévisions plus susceptibles d’évoluer qu’à l’accoutumée.

La Fed était confrontée à une tâche difficile lors de cette réunion. Son double mandat, stabilité des prix et stabilité du système financier, semble plus complexe. Avant la mi-mars, le combat contre l’inflation était sa seule préoccupation, avant que son attention ne se reporte sur le stress financier. Pour autant, ses obligations relatives à l’inflation n’ont pas disparu.

Du point de vue de la stabilité des prix, les arguments en faveur d’une hausse des taux étaient convaincants. Depuis la précédente réunion de la Fed, la demande des consommateurs, le marché de l’emploi et l’inflation sont restés solides. Avant les récentes faillites bancaires, le débat portait sur la question de savoir si une hausse de 25 ou 50 pb serait plus appropriée. Alors que les prix de l’énergie, la hausse des prix des biens et la perturbation des chaînes d’approvisionnement se sont globalement normalisés, l’inflation dans le secteur des services reste trop forte. Les ventes au détail demeurent robustes. La hausse des salaires, bien qu’elle ralentisse, reste supérieure aux niveaux compatibles avec l’objectif d’inflation de la Fed. Les mesures de l’inflation sous-jacente, hors alimentation et énergie, se sont accélérées d’un mois sur l’autre en février. L’inflation persistante est peut-être un problème moins pressant que les turbulences dans le secteur bancaire, mais elle reste source d’inquiétude pour les banques centrales.

Double stratégie en matière de taux et de stabilité financière

Jusqu’à un certain point, les banques centrales poursuivront leurs efforts visant à remplir leur double mandat : minimiser le stress financier grâce à des facilités de liquidité et à de nouveaux outils pour les banques commerciales, tout en combattant l’inflation avec le relèvement des taux d’intérêt. Nous pensons que la Fed continuera à adopter cette double approche. La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque nationale suisse (BNS) ont toutes deux procédé à des hausses de 50 pb en mars, malgré la tourmente bancaire.

Une pause dans les cycles de resserrement monétaire risquait d’être perçue par les marchés comme un manque de confiance des banques centrales dans leurs propres mesures de stabilité, ou de susciter des craintes que les régulateurs en sachent plus que les investisseurs sur des tensions cachées. Une telle pause aurait également pu alimenter l’idée que le cycle de resserrement est terminé et que des baisses de taux s’annoncent, entraînant un rebond des actifs risqués et un assouplissement des conditions financières, réduisant ainsi l'impact des efforts déployés par les banques centrales jusqu’à présent.

La situation n’est pas celle de 2008

Nous estimons que les risques actuels ne sont pas de nature systémique. Les banques sont aujourd’hui mieux réglementées, mieux capitalisées et elles affichent une moindre exposition aux secteurs plus risqués du marché immobilier qu’avant la crise financière mondiale. En dehors des banques en faillite, les problèmes récents semblent refléter davantage une pénurie de liquidité que des problèmes de qualité de crédit (en d’autres termes, des défauts de paiement). L’action récente des banques centrales – de la protection des dépôts des banques en faillite aux programmes de liquidité coordonnés, en passant par l’accord d’urgence sur le sauvetage du Credit Suisse – a permis d’endiguer rapidement les problèmes, même si elle n’est pas encore parvenue à dissiper toutes les inquiétudes, par exemple via une garantie globale sur tous les dépôts américains. Au 22 mars, les banques américaines avaient emprunté près de 54 milliards de dollars dans le cadre du nouveau programme de financement introduit par la Fed (Bank Term Funding Program) et 110 milliards de dollars dans le cadre de son mécanisme d’emprunt d’urgence existant. Bien que les marchés demeurent volatils, les indicateurs de stress systémique n’annoncent pas de contagion généralisée. Et si les mesures actuelles s'avèrent insuffisantes pour contenir les risques de contagion, les banques centrales disposent d’outils supplémentaires pour rétablir la stabilité.

La BCE et la BNS poursuivent le relèvement de leurs taux

En Europe, la BCE a accompagné sa récente hausse de taux directeurs de 50 pb – et le maintien de ses mesures de resserrement quantitatif – d’un engagement à fournir des liquidités aux banques ou à créer de nouveaux outils pour gérer une éventuelle contagion. Elle a également abandonné l’orientation exprimée lors des réunions précédentes consistant à « relever les taux d’intérêt de manière significative et à un rythme soutenu », se donnant ainsi une plus grande souplesse pour réagir aux événements en fonction des besoins. Les prévisions actualisées de la BCE tablent désormais sur une amélioration significative de la croissance à 1,0% en 2023 et sur une baisse de l’inflation à 5,3% cette année et à 2,9% l’an prochain. Nous prévoyons des hausses supplémentaires, un pic des taux à 3,5% et leur maintien à ce niveau jusqu’à la fin de l’année.

En parallèle, la BNS et la Banque d’Angleterre ont elles aussi relevé leurs taux de 50 et 25 pb respectivement le 23 mars, cette dernière après une réaccélération de l’inflation globale à 10,4% en février, insistant sur le fait que les signes de tensions plus persistantes sur les prix pourraient nécessiter de nouvelles augmentations. Le président de la BNS, Thomas Jordan, a également maintenu une ligne dure sur l’inflation, bien qu’il ait supervisé le rachat dans l’urgence de la deuxième plus grande banque du pays ces derniers jours, et n’a pas exclu un nouveau resserrement à l’avenir. Toutefois, dans de nombreux pays développés, les taux sont proches d’un pic. Nous estimons que le scénario d’une croissance inférieure à la tendance, d’une détente des marchés du travail et d’une désinflation continue reste d’actualité, même si les données mensuelles s’avèrent volatiles.

Le risque de nouvelles tensions persiste

Bien entendu, des risques imprévus pourraient apparaître. La lutte contre l’inflation et le resserrement monétaire le plus rapide depuis des décennies peuvent avoir des conséquences imprévisibles. Les récentes faillites bancaires peuvent avoir été le résultat d’une mauvaise gestion des risques et des bilans, mais la toile de fond commune est celle d’un resserrement de la liquidité qui peut engendrer des fragilités. Il est impossible d’exclure d’autres faiblesses au sein d’autres établissements ou d’autres marchés, sachant par ailleurs que la menace d’une crise de confiance des déposants et des investisseurs ne saurait être écartée.

Nous sommes très attentifs aux conditions d’emprunts aux Etats-Unis, en particulier parmi les banques de petite et moyenne taille, pour lesquelles les tensions sont les plus prononcées. Le délai d’ici à la prochaine réunion de la Fed le 3 mai devrait être suffisant pour se faire une idée plus précise de l’évolution de la situation. Pour l’heure, nous pensons que la Fed procédera à de nouvelles hausses de 25 pb en mai et en juin pour porter les taux directeurs à 5,5%. En résumé, si les conditions de marché demeurent sereines, les banques centrales devraient relever leurs taux comme prévu – et si la situation du secteur bancaire s’aggrave, l’inflation devrait diminuer plus rapidement.

Par ailleurs, les contrats à terme sur les fonds fédéraux indiquent des baisses de taux dès le second semestre 2023. Le président de la Fed Jerome Powell s’est constamment opposé à un tel scénario. Pour l’instant, et en l’absence d’un effondrement financier nécessitant des baisses de taux et un assouplissement quantitatif, nous estimons que le maintien de la pression par les banques centrales sur les conditions financières – par le biais de taux d’intérêt élevés – reste nécessaire. Toutefois, leur politique monétaire est dépendante de l’évolution des données macroéconomiques et des événements à venir.

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Chef économiste, Lombard Odier

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