Malgré des séries prestigieuses et un catalogue premium, Apple TV+ n’échappe pas à l’hémorragie financière. Depuis 2019, le service de streaming accumule les pertes, sans que personne — pas même à Cupertino — ne semble savoir pourquoi. Enquête sur une anomalie stratégique dans l’univers ultra-compétitif de la vidéo à la demande.
Apple TV+ perd un milliard par an : la firme va-t-elle arrêter l’hémorragie ?

Un mirage à 1 milliard d’euros : l’introduction d’Apple TV+ dans le gouffre
Le 20 mars 2025, plusieurs médias américains, dont TechCrunch, Variety et The Information, ont révélé une information aussi fracassante que troublante : Apple TV+ enregistrerait plus d’un milliard de dollars de pertes par an, soit l’équivalent de 920 millions d’euros. Six ans après son lancement, la plateforme de streaming reste à la traîne, tant en termes de rentabilité que d’audience.
Et pourtant, Apple ne semble pas avoir lésiné sur les moyens. Depuis 2019, la firme aurait investi près de 25 milliards de dollars dans le développement de contenus originaux, selon The Information. Une somme colossale réduite à 4,5 milliards de dollars par an en 2024, sous pression directe de Tim Cook. Mais rien n’y fait : le service ne décolle pas, plafonnant à 45 millions d’abonnés dans le monde — un chiffre bien maigre comparé aux 301 millions de Netflix.
Apple TV+ : production de luxe mais public aux abonnés absents
Difficile de reprocher à Apple de manquer d’ambition artistique. Ted Lasso, The Morning Show, Silo, Severance, Shrinking... le catalogue d’Apple TV+ regorge de titres salués par la critique et auréolés de prix prestigieux. Le service cumule plus de 2 500 nominations et récompenses, selon TechCrunch.
Mais un palmarès ne fait pas une audience. Apple TV+ ne représenterait que 0,2 % du temps de visionnage télévisé aux États-Unis, soit moins que ce que Netflix engrange en une seule journée. Même les séries phares, facturées jusqu’à 20 millions de dollars par épisode, peinent à capter l’attention du grand public. Si Severance est un succès auprès de la critique et du public, la série ne permet pas à Apple TV+ de redresser la barre.
Une stratégie illisible, même pour Apple
Alors pourquoi persister ? Pourquoi continuer à injecter des milliards dans une division structurellement déficitaire ? À ce jour, personne n’a su répondre avec clarté. Selon The Information, Tim Cook lui-même aurait exprimé ses doutes face à certaines dépenses — notamment les 200 millions de dollars engagés pour Argylle, une superproduction avec Henry Cavill et Dua Lipa qui n’a attiré ni abonnés, ni critiques élogieuses.
Les hypothèses internes oscillent entre gadget marketing, renforcement de l’écosystème Apple, et outil de fidélisation des possesseurs d’iPhone. Mais là encore, aucune donnée ne vient étayer ces suppositions. « La société ne disposait pas de données internes prouvant que cette stratégie stimulait les ventes d'appareils, » rapporte Wayne Ma dans The Information.
Même Ted Sarandos, co-directeur général de Netflix, ne cache pas son incompréhension : « Je ne comprends pas leur stratégie, à part un coup marketing. Mais ce sont des gens brillants. Peut-être voient-ils quelque chose que nous ne voyons pas », cité par AV Club.
Une perte acceptable dans une logique de puissance… pour combien de temps ?
Il est vrai que le milliard annuel de pertes paraît dérisoire face aux 93,7 milliards d’euros de bénéfices annuels d’Apple en 2024. Le géant californien peut absorber ce genre de déficit comme on éponge un verre renversé. Mais l’air du temps n’est plus à l’expansion infinie : Disney, Warner, Amazon eux-mêmes serrent la vis.
Et Apple ? Pour l’instant, aucun plan de rentabilité clair ne se dessine. Apple TV+ ne propose toujours pas de formule avec publicité — un levier qu’exploitent tous ses concurrents. Le prix reste fixé à 9,99 dollars par mois, malgré un recours massif à des formules gratuites ou subventionnées via T-Mobile ou Comcast. En réalité, le revenu moyen par abonné est inférieur à ce tarif affiché.
Apple va-t-elle couper les vivres de sa plateforme qui paraît de plus en plus comme un parasite se nourrissant des résultats du groupe ? Ou est-ce que la firme de Cupertino va créer la surprise avec une nouvelle stratégie ?