La santé est-elle une marchandise ?

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Par Jean-Louis Caccomo Modifié le 11 octobre 2012 à 4h08

La santé relève-t-elle des lois de l’argent et de l’économie. Eh oui !

En fait, c’est comme dans la culture : la musique, le cinéma et la littérature ne sont pas des marchandises évidemment, mais les supports matériels, qui permettent de les diffuser au plus grand nombre (les DVD, les livres, les films… ce qu’on appelle les "produits culturels") sont des produits manufacturés produits et distribués par des industries, dont la logique de fonctionnement obéit inévitablement à des lois économiques.

Il en est de même de la santé (qui est une dimension du capital humain comme la culture) : veillons à ne pas confondre le support avec le contenu. Notre médecin serait bien en peine de nous soigner si nous ne pouvions acheter des médicaments lesquels sont fabriqués par des firmes multinationales pharmaceutiques qui les conçoivent dans leurs propres laboratoires.

Alors on entend partout : "Mais ces firmes déposent des brevets et s’approprient la connaissance pour exploiter les plus pauvres". Diantre ! Encore un cliché réflexe qui est plus révélateur d’une absence de connaissance économique que d’une analyse objective et raisonnée. Si Coca-Cola ou Chanel 5 avaient déposé un brevet, il serait depuis longtemps tombé dans le domaine public.

Le brevet a précisément été conçu pour cela. Mais il faut bien amortir les dépenses colossales en Recherche & Développement, surtout dans le secteur pharmaceutique. Compte-tenu de l’Etat désastreux des finances publiques, l’Etat n’a certainement pas les moyens de financer de tels efforts de recherche.



Alors, sans les investissements privés réalisés par ces compagnies "rapaces", nous reviendrons à l’âge de Pasteur. Connaissez-vous un médicament soviétique ou mis sur le marché par l’Etat français ? Par contre, les soviétiques savaient bien produire des kalachnikovs… Or, comme toute entreprise, les firmes multinationales se doivent d’être rentables pour pouvoir investir, notamment dans la recherche, tout en rendant des comptes à leurs actionnaires, sinon le robinet à finance se coupe.

Mais la recherche est risquée et imprévisible alors les entreprises sont obligées de financer des dizaines de programmes de recherche simultanément dont la plupart ne donneront rien (mais comment peut-on le savoir à l’avance ?). Et quand les recherches aboutissent à une trouvaille, ce n’est pas toujours un nouveau médicament efficace et pertinent, alors il peut parfois être rentabilisé dans l’industrie cosmétique.

Quand, enfin, l’entreprise découvre vraiment un nouveau médicament utile, elle le protège sous un brevet qui lui permet d’amortir, non seulement les efforts de recherche entrepris pour ce médicament, mais aussi les autres dépenses qui n’ont découché sur rien pour le moment, mais qui peuvent porter des fruits plus tard. Il est donc essentiel de ne pas couper la pompe à finance. Et au bout de 20 ans, le brevet tombe et le médicament devient générique. La connaissance est libre.

Alors, on nous rétorque que le brevet bloque la concurrence. Là encore, il n’en est rien. On peut toujours construire un raisonnement alambiqué pour parvenir à ce résultat mais un tel résultat ne correspond pas aux faits. Il vaut mieux dans ce cas privilégier une analyse plus limpide qui rend compte des faits [1]. Loin de bloquer la concurrence, on constate en fait que les brevets démultiplient les sources d’innovations pour les concurrents (externalités).



En effet, les entreprises pharmaceutiques consultent régulièrement les banques de brevets pour s’inspirer des recherches des autres (comme les chercheurs lisent les articles des autres chercheurs pour leur propre progression intellectuelle et académique). En modifiant même à la marge une molécule ou une formule déposée, elles pourront souvent en tirer un nouveau médicament. Ainsi, la recherche de la firme A nourrit et démultiplie celle de la firme B, car une firme à elle-seule ne peut pas couvrir tous les champs possibles des recherches (d’où l’inefficacité des monopoles dans ce domaine aussi).

Au passage, alors que la recherche mondiale dans la santé est désormais globalisée, la préservation dans l’hexagone d’un modèle centralisé et planifié, à l’image du CNRS ou de l’université, est proprement suicidaire dans un environnement ouvert. Comment l’Etat français, étranglé par les dettes, peut-il prétendre investir dans tous les champs infinis de la recherche, qui sont déjà immenses dans le seul domaine de la santé ? Surtout si les chercheurs, une fois formés en France avec l’argent du contribuable, vont développer des nouveaux médicaments et déposer des brevets dans les autres pays ?

Mais voilà, plutôt que de chercher à comprendre, on préfère condamner le brevet dans le domaine de la santé en voulant imposer notamment la consommation des médicaments génériques. Mais à vouloir imposer par la force le générique en France (sous prétexte de sauver une sécurité sociale qui est intrinsèquement impossible à gérer), voire comme le préconisent certains, interdire tout simplement les brevets dans ce domaine, on provoquera certainement la mort de la recherche, et donc la pénurie dans un champ précieux et utile de la connaissance.

Encore une fois, sous le fallacieux prétexte de réguler une "défaillance" et de réparer une "injustice", on détruit un mécanisme économique puissant et naturel, source d’accroissement de richesses. N’est-elle pas là la pire défaillance et la plus terrible injustice ?

[1] Caccomo J.L [2005], L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique, L’Harmattan, Paris.

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Jean-Louis Caccomo est docteur en sciences économiques de l'université de la Méditerranée Maître de conférences - HDR à l'IAE de l'université de Perpignan Via-Domitia. Il est également spécialiste des questions d'innovation et de croissance économique ainsi que chercheur en tourisme international et chroniqueur économique. Il anime enfin, depuis 10 ans, un blog à vocation pédagogique à l'attention de ses étudiants et du grand public.

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