OPINION
La vie est un bien précieux qu’il nous faut chérir et protéger comme un joyau. La nature décide de notre venue ainsi que de notre départ de ce monde. Entre l’alpha et l’oméga, nous décidons. Les progrès de la médecine ont permis la réalisation de ce qu’on aurait appelé des miracles il y a encore un siècle. Ainsi la chute mortelle d’un charpentier à Paris au début du siècle dernier se transforme-t-elle en une longue vie de tétraplégique de nos jours. Mais qu’en est-il de la même chute à, disons, Madagascar aujourd’hui ? La possibilité de passer à côté, ou pas, de la mort n’est finalement rien d’autre qu’une somme de moyens matériels et humains mis à disposition au bon moment ; la place de la nature et de l’aléa s’est nettement réduite.
Depuis plusieurs décennies, les débats font rage dans le monde pour arguer de la légitimité de l’euthanasie, de la légalisation du suicide assisté, autrement dit de l’autorisation de quitter ce monde librement. En Union européenne, dans un pays tel que la France, personne ne viendra vous assister activement à mourir. Vous serez soumis à la plus ou moins grande empathie du médecin pour votre sort, qui s’abstiendra, ou pas, d’appliquer de manière tout aussi aléatoire un certain acharnement thérapeutique.
À l’opposé, aux Pays-Bas, un médecin pourra vous injecter un produit mortel, si vous en avez fait la demande en pleine conscience, après qu’il aura lui-même consulté un autre médecin indépendant. Malheureusement si vous habitez en Grèce, tout médecin sera passible de 7 ans de prison pour le même acte. Régulièrement, les unes des journaux partout dans le monde mettent en lumière quelques cas très médiatiques d’euthanasie active, mais qu’en est-il des cas qui restent dans l’ombre ? Qui suis-je pour m’exprimer sur un sujet si controversé, si discuté, si polémique ? La réponse est très simple, je suis la personne la plus qualifiée du monde pour ma propre mort, nul autre expert ne l’est plus que moi. Mais mon domaine est très restreint, il se limite à un seul cas, le mien !
« Fais durement les choses, sois raisonnable et humain » ont été les derniers mots de Jean Kahn, laissés à son fils Axel, avant de se donner la mort. Je peux comprendre qu’un tel commandement ait pu bouleverser la réflexion du brillant généticien, que je respecte infiniment. La lecture des ouvrages de Marie de Hennezel qui ne sont qu’ode à la vie, à sa poursuite acharnée et surtout à la lutte permanente contre la souffrance, offre ainsi la chance à chacun de « bien mourir ». Pourtant, toutes leurs argumentations réfutant la véracité de « la demande à mourir », la niant pour la remplacer par une « demande à ne plus souffrir » sont, selon moi, infondées. Le devoir de soulagement de la douleur – sans limite – qui incomberait à la « société » au risque de plonger un patient dans un coma permanent serait soi-disant justifié et acceptable, alors qu’une légère augmentation du dosage de sédatif, qui entraînerait la mort, ne le serait pas.
Avec la « loi Léonetti », la France n’a fait qu’entériner l’hypocrisie de l’illégitimité de provoquer volontairement la mort de personnes qu’on maintient en vie parfois depuis des années de manière totalement artificielle. Cette loi tente de donner un sens moral au fait de laisser un malade dans un lit, débranché de toute assistance, périr déshydraté dans un coma dit suffisant pour qu’il ne souffre pas, mais insuffisant pour qu’il meure ! Tout le débat se porte alors sur l’intervention et la légitimité de « l’assistant », cette tierce personne qui permettra à celui dont la survie est devenue insupportable – car elle n’est et ne sera plus que souffrances – de ne plus la subir. Les médecins opposent à cela le fait que leur rôle n’est pas d’aider à mourir, mais d’aider à vivre, ce qui déontologiquement se conçoit. La même objection émanera d’un gynécologue ne souhaitant pas pratiquer l’avortement. L’issue viendra probablement de la création d’un « métier » dévolu à inoculer un produit létal, une personne qui aura seulement la formation médicale nécessaire pour l’injecter, mais qui ne sera pas éthiquement en opposition avec le serment d’Hippocrate.
Avec 92 % de Français favorables à l’euthanasie, il est tout à fait inconcevable qu’un État puisse encore plus longtemps s’opposer au droit du malade à mourir dignement, c’est-à-dire quand lui, et lui seul, le souhaite. Le patient, la personne en fin de vie, doit être accompagnée du mieux possible, avec tout le conseil et les soins humainement possibles. Un environnement chaleureux ainsi qu’une pharmacopée adaptée doivent être mis en place et les malheureusement trop rares unités de soins palliatifs sont la réponse à ces besoins. Mais il est clair qu’au moment où cette personne estime que l’heure de partir est venue, qu’aspirer à ne plus vivre devient une évidence, alors à cet instant-là, elle doit avoir la possibilité, le choix, de voir sa volonté exaucée.
Oui, la personne qui réclame la mort quand elle le peut encore est dans une grande détresse – il n’existe pas d’individu réclamant la mort dans le bonheur – mais ce n’est pas lui venir en aide que de prolonger ses souffrances quand tout ce qu’il était possible a déjà été fait. À l’argument de la prise en charge par des soins palliatifs des souffrances insupportables, que chaque cas, même le plus improbable, doit être pris en charge, j’oppose la liberté de chaque individu de ne pas subir un protocole qu’il souhaiterait remplacer par une mort rapide, digne et libre dans le respect de sa volonté. Mettre en place ce type de mesure est très simple, par exemple, avec la création d’un fichier positif associé à la carte nationale d’identité, ou du « living will » américain, sorte de testament.
À la majorité légale, la question suivante serait posée : « Êtes-vous favorable à ce qu’une tierce personne puisse mettre fin à votre vie prématurément, dans l’hypothèse d’une dégradation physique irréversible telle que vous ne pourriez plus en exprimer vous-même le souhait ? » Par défaut, la réponse serait ‘non’ et un ‘oui’ vaudrait acceptation tant qu’un choix contraire ne serait pas exprimé par modification du fichier. Le problème insoluble de la légitimité de celui qui décide du geste étant résolu par l’unique être légitime pour en décider – l’individu lui-même.
« Laisser mourir ou faire mourir. » L’État n’a pas à faire mourir un individu, mais il n’a pas non plus le droit de l’empêcher de ne plus vivre. Dans une situation où la vie ne serait plus que douleur et néant, pour moi, pour ma dignité à vivre et mourir comme je le souhaite, pour ma liberté, je revendique le droit à ne plus vivre si j’en ai décidé ainsi, car nulle société, nul individu, ne possède de droit sur ma vie. Rendre légale l’euthanasie active décidée par l’individu, c’est simplement lui rendre le droit unique et inaliénable sur sa vie.
Ulrich Genisson