Sur le Tour de France 2014, 2 035 000 euros seront distribués aux coureurs en primes de course. Comment se répartissent ces gains ? Et pourquoi l'organisateur du Tour les répartit-il de façon aussi inégale ?
Les primes du Tour 2014
La moitié des primes distribuées sur la course bénéficient aux coureurs les mieux classés au classement général individuel : le Maillot Jaune à l'arrivée gagne 450 000 euros, son dauphin 200 000 euros, le troisième 100 000 euros, etc. En plus, le porteur du Maillot Jaune gagne une rente quotidienne de 350 euros. Si une équipe a les moyens de briller au classement général, c'est donc ce classement-là qu'elle doit viser.
Près d'un quart des primes bénéficient aux coureurs les mieux classés lors de chaque étape : un vainqueur d'étape gagne 8 000 euros, son dauphin 4 000 euros, le 3e de l'étape 2 000 euros, etc. Enfin, le dernier quart des primes est distribué dans le cadre de divers classements annexes : le classement par points (Maillot « vert », parce que le premier sponsor de ce classement, en 1953 était l'enseigne À la belle jardinière), le classement du meilleur grimpeur (Maillot « blanc à pois rouges », parce que son premier sponsor, en 1975, était le chocolat Poulain), le classement par équipes, et d'autres encore. Une équipe qui n'a pas les moyens de concourir pour le classement général a donc intérêt à viser des victoires d'étapes ou, à défaut, l'un des nombreux classements annexes.
Les primes du classement général final individuel
Mais, au sein du classement général final individuel, comment les primes se répartissent-elles entre les coureurs ? Parmi les 150 premiers arrivants du Tour sur les Champs-Elysées en 2014, le 1er gagnera 450 000 euros, le 10e seulement 3 800 euros... et le 100e 400 euros ! Ce qui, dans la répartition des gains des coureurs, est le plus frappant, ce sont donc les très fortes inégalités de gains d'un rang d'arrivée à l'autre.
Cela est particulièrement vrai parmi les tout premiers arrivants : le vainqueur gagne plus de 100 fois ce que gagne le 10e, qui n'a pourtant que quelques minutes de retard sur plus de 80 heures de course ! Par exemple, en 2013, le vainqueur Christopher Froome a gagné plus de 100 fois de plus que l'Américain Andrew Talansky, arrivé 10e, qui avait sur lui moins de 18 minutes de retard sur environ 84 heures de course.
Primes du classement général final individuel du Tour 2014
(10 premiers arrivants à Paris)
Source : ASO.
Les primes du classement des étapes
Au sein du classement des étapes, on observe le même phénomène : le vainqueur d'étape gagne plus de 10 fois ce que gagne le 10e de l'étape.
Primes du classement des étapes du Tour 2014 (20 premiers arrivants d'étape)
Source : ASO.
Alors, pourquoi l'organisateur du Tour instaure-t-il des primes aussi fortement inégales ?
Des primes inégales pour assurer le spectacle
Comme le montrent un ouvrage récent sur l'histoire du Tour de France et un article sur les primes des coureurs depuis la création du Tour en 1903, l'organisateur du Tour a, depuis des décennies, une crainte majeure : que les coureurs s'arrangent entre eux pour se répartir les primes, sans avoir à faire trop d'efforts – et sans, du coup, se battre pour la victoire ni produire une belle compétition sportive (exploits héroïques, suspense, etc.). De ce point de vue, instaurer des primes fortement progressives, surtout parmi les meilleurs coureurs (que ce soit au classement général ou au classement par étapes), incite les coureurs à se battre « à mort » pour gagner. Par ailleurs, limiter les primes des classements annexes (hors classement général et hors classement par étapes) empêche les équipes de s'arranger entre elles pour que certaines ne concourent qu'à certains classements et laissent les autres à d'autres équipes. Bref, des primes inégales assurent le spectacle sportif, qui est seul susceptible d'attirer les téléspectateurs et donc, au final, de générer des recettes télévisées accrues. C'est aussi pour cela que le Tour de France comporte un « prix de la combativité ». De façon peut-être paradoxale, le Tour ne serait pas une si belle compétition sans l'appât du gain, qui seul conduit l'organisateur et les coureurs à régaler le public. En d'autres termes, les coureurs ne deviennent des « géants de la route » que parce qu'ils sont aussi des « gérants de la route » (c'est ainsi qu'Antoine Blondin qualifiait Jacques Anquetil, dans les années 1960).
Cela dit, les coureurs sont des salariés, et leurs primes de course ne représentent donc pas la totalité, ni même la majorité, de leurs revenus. Par conséquent, la collusion entre coureurs et entre équipes a sans doute encore de beaux jours devant elle. Par ailleurs, comme les coureurs redistribuent de façon égalitaire leurs primes au sein de leurs équipes, le caractère fortement inégalitaire des primes de course produit surtout des inégalités entre coureurs d'équipes différentes, plutôt qu'entre coéquipiers. Quoi qu'il en soit, les inégalités de primes entre coureurs semblent être le prix à payer pour obtenir le plus beau spectacle sportif.
Jean-François Mignot est auteur de "Histoire du Tour de France".