Quelles leçons tirer du « Draghi Day » ? (2/2)

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Par Charles Sannat Modifié le 7 septembre 2012 à 10h39

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Y a-t-il des risques à mener une telle politique de création monétaire ? Le risque majeur est celui bien évidemment de l'inflation, avec à terme, si le processus de création monétaire n'est pas maîtrisé, une hyperinflation qui peut s'avérer catastrophique aussi bien pour les finances des Etats que pour le pouvoir d'achat des ménages.

Il faut bien comprendre que, contrairement aux années 70 où la mondialisation n'existait pas, où les frontières protégeaient chaque économie nationale et où les salaires étaient indexés sur l'inflation, la situation a radicalement changé. Dans un monde ouvert, chaque point d'inflation en plus vient appauvrir d'autant les peuples dont les salaires n'évoluent plus ou très faiblement depuis maintenant plus de 10 ans.

Peut-on maîtriser ces risques ? C'est tout le pari qui est fait par les autorités monétaires, d'abord par la FED, la Banque Centrale Américaine qui s'est lancée depuis plusieurs années dans une politique dite de "Quantitative Easing" désormais imitée par la BCE. Nombreux sont ceux qui pensent que nous entrons dans un monde d'inflation voire d'hyperinflation. Les forces déflationnistes à l'œuvre restent très fortes.

La mondialisation (les délocalisations), la démassification (le remplacement des "travailleurs" par des machines ou des ordinateurs), le désendettement, la baisse des actifs immobiliers, la baisse des actifs actions, le vieillissement mondial de la population, sans même parler de l'impact d'une explosion des dettes souveraines qui effacerait des milliards d'euros d'épargne pour ne citer que les plus importantes.

Il ne s'agit pas de trancher le débat hier mais de mettre en exergue le risque non nul de voir le monde occidental basculer dans une déflation sévère. Le mauvais remake des années 30 n'a pu être évité que grâce aux interventions massives des banques centrales. Un arrêt des Quantitative Easing pour permettre une maîtrise de la masse monétaire, des risques inflationnistes et des déficits aurait pour conséquence un retour du risque déflationniste.

C'est une tendance qui se matérialise clairement depuis le début de l'année 2012, notamment en Europe avec la mise en œuvre de plans de rigueur de plus en plus nombreux et aux Etats-Unis à travers l'épisode difficile du relèvement du plafond de la dette, ou encore des derniers chiffres macro économiques qui sont mauvais et montrent une dégradation forte de la conjoncture économique en l'absence d'injections monétaire supplémentaires.

Le pari des banques centrales peut donc être résumé par la formule suivante : "beaucoup de création monétaire - de fortes pressions déflationnistes = une inflation un peu plus forte mais maîtrisée". C'est un pari, et cela n'a jamais été tenté. Dans l'histoire économique du monde, quelle que soit l'époque, la création monétaire a toujours amené les monnaies vers une valeur proche de 0.

Mais cette création monétaire européenne, bien que sans limites, ne sera pas sans règles. C'est toute la subtilité de ce qui a été annoncé hier par le Gouverneur de la Banque Centrale Européenne. Certes aucune limite de montant n'est fixée, pourtant, ce n'est pas pour autant un blanc sein et une autorisation pour faire n'importe quoi.

D'abord la création monétaire viendra en accompagnement d'actions politiques dans les pays qui demanderont de l'aide. Pas d'austérité, pas d'aide. Le message est clair et limpide. Ensuite, contrairement à ce qui a été fait précédemment, les chiffres seront communiqués pour certains toutes les semaines et pour d'autres mensuellement. Ce suivi permettra d'assurer une traçabilité quasiment en temps réel de la création monétaire en cours et là encore on reconnaît la main allemande.

Enfin, Mario Draghi n'a pas souhaité baisser à nouveau les taux d'intérêt en insistant sur le niveau relativement élevé de l'inflation qui reste la priorité du mandat de son institution. Je pense que s'il y avait une manière de sauver l'euro, sans tomber dans le risque de création monétaire excessive, c'est la bonne méthode qui a été trouvé. Nous pouvons nous en réjouir car c'est une bonne nouvelle, enfin.

Néanmoins les marchés attendaient beaucoup, beaucoup plus "d'argent gratuit" et, lorsque l'on y regarde de plus près, rien ne dit que la stratégie annoncée hier par Mario Draghi sera suffisante à terme. Elle a beau être juste et équilibrée, économiquement fondée, je crains que la BCE ne soit vite dépassée, sur sa droite par les marchés (qui détestent les conditions et les contreparties), et sur sa gauche par des politiques démagogues qui ne souhaiteront pas être les Premiers ministres, ou les présidents de l'austérité. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y aura aucun moyen indolore de sortir de cette crise et que le chemin sera encore long.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.