Après une trêve des confiseurs où les médias mainstream ont tenté d’user au maximum la mobilisation en faveur des Gilets Jaunes, les manifestations de ce samedi ne permettent pas au gouvernement de tabler sur une interruption du mouvement. Dans le même temps, le débat annoncé pour calmer les esprits devrait se révéler très épineux. Surtout, l’attaque en règle du siège du porte-parole du Gouvernement constitue un nouveau franchissement d’étape dans ce qui devient une crise institutionnelle. Pour Emmanuel Macron, la partie est désormais serrée.
Durant toute la période des fêtes, les medias mainstream ont tenté d’imposer une ligne simple dans les esprits: les Gilets Jaunes sont des fanatiques antisémites qui ne représentent plus personne, sauf une dangereuse extrême droite qui doit être réprimée. La ficelle fut tellement grosse que certains participants aux émissions se sont même rebellés contre le procédé. On pense par exemple à l’Insoumise Sarah Legrain, qui n’est pourtant pas la plus vociférante, qui a quitté le plateau de LCI, écoeurée par ces procédés.
J’ai moi-même pu constater (et contester) ces ficelles propagandistes très limites.
Comment truquer un débat télévisé? Retrouvez ici mon expérience personnelle sur LCI.
L’ironie a voulu que ces chaînes, à force de vouloir stigmatiser le mouvement, n’aient cessé d’en parler. Elles témoignaient ainsi de son étonnante persistance au milieu d’un hiver morose.
L’encore plus grosse ficelle de Jean-Michel Apathie
Le sommet de la mauvaise foi médiatique fut probablement atteint par l’éditorialiste d’Europe 1 Jean-Michel Apathie, qui est intervenu avec de gros sabots dans la parade amoureuse entre Jean-Luc Mélenchon et l’un des leaders des Gilets Jaunes, Eric Drouet. Alors que le leader des Insoumis avouait publiquement sa fascination pour ce chauffeur routier qui avait appelé à occuper l’Élysée, l’éditorialiste d’Europe 1 expliquait que ledit chauffeur routier était un électeur de Marine Le Pen.
La suite de l’histoire devait montrer comment une information sans aucune base sérieuse mais proférée par un journaliste ayant pignon sur média peut se transformer en quelques heures en légende urbaine. Même Benoît Hamon a reproché, sans aucune vérification, à Mélenchon de devenir un complice du Front National.
Bien entendu, cette campagne d’infamie était à l’unisson des biais présentés dans les débats mainstream destinés à accréditer l’idée que le mouvement des Gilets Jaunes était d’inspiration fasciste.
Comment Macron s’est laissé prendre en tenailles
Ce déblayage médiatique était supposé légitimer un durcissement de ton de la part du pouvoir exécutif, probablement à la demande de la technostructure qui ne comprend rien à ce mouvement tout entier dressé contre elle. Ainsi, lors de ses voeux à la populace, Macron a dénoncé « la foule haineuse » sous ses fenêtres, et prévenu que l’ordre n’allait pas tarder à revenir.
Plusieurs leaders de la majorité lui ont emboîté le pas dans ce registre, dont Benjamin Griveaux qui a dénoncé des « agitateurs qui veulent renverser le gouvernement ». Fort de sa promesse d’ouvrir un grand débat, le pouvoir exécutif imaginait ainsi reprendre la main, en ramenant à lui les Gilets Jaunes « pacifiques » et en isolant les plus contestataires.
Cette manoeuvre, qui repose sur l’illusion encore jamais étayée selon laquelle les « constructifs » désavouent les « violents », s’est heurtée à une conjonction astrale négative.
D’une part, l’affaire Benalla est soudain ressortie des oubliettes avec une révélation par Mediapart et le Monde d’un détail intéressant sur la détention par ledit Benalla des passeports diplomatiques qu’il jurait avoir rendus. Le même Benalla a donné une interview à Mediapart où il affirmait rester en contact avec l’Élysée.
Dans le même temps, le Journal Officiel publiait des décrets durcissant le contrôle des chômeurs. Cette séquence tombait au pire moment: Macron a plus que jamais donné le sentiment d’être droit comme un « i » avec ses adversaires et avec les faibles, mais particulièrement laxiste avec ses soutiens. Or c’est précisément ce deux poids deux mesures qui focalise l’attention des Gilets Jaunes, et qui coalise probablement une grande partie de l’opinion autour d’eux et contre le Président.
Macron à la recherche d’une sortie politique
L'arrestation en direct du leader des Gilets Jaunes Éric Drouet a sonné le glas de cette manoeuvre médiatique et politique mal ficelée. Alors que Benalla annonçait mollement (et dans une apparente impunité) son intention de rendre un jour des passeports diplomatiques qu’il détient sans raison, la police déployait d’importants moyens pour arrêter sur la voie publique Éric Drouet, accusé de mener une manifestation illégale à Paris. En fait de manifestation, il s’agissait d’une commémoration, avec une cinquantaine de personnes, des Gilets Jaunes décédés depuis le début du mouvement. La garde à vue très longue de l’intéressé ne pouvait que raviver le mouvement de contestation qui a débouché sur les troubles d’hier.
Face à ces approximations dans la gestion du dossier, tout porte à croire que l’hypothèse d’une reprise en main de la situation par l’organisation du grand débat est perdue d’avance.
Le Président serait d’ores et déjà la recherche d’autres solutions politiques. On parle notamment d’un referendum à questions multiples sur la réforme des institutions, qui permettrait de remettre les dossiers à plat. On évoque aussi l’arrivée de Bayrou à Matignon.
Comment Macron devra mettre le parquet au pas pour nommer Bayrou à Matignon, c’est ici.
Ces solutions supposent bien entendu que le débat public soit mené à son terme. Et c’est pas gagné, à ce stade!
Faudra-t-il supprimer la loi Taubira sur le mariage?
Pour aider le gouvernement par gros temps, le consensuel Patrick Bernasconi, président du CESE, a organisé à la hâte une grande consultation publique, qui va constituer une première épine dans le pied du gouvernement, et qui pourrait très bien illustré les futurs risques politiques du grand débat.
Les résultats de la consultation organisée par le CESE sont tombés: l'abrogation de la loi Taubira sur le mariage gay remporte la palme des propositions les plus populaires. Beaucoup crient au complot d’extrême droite, mais, pour le gouvernement, cette affaire fera précédent. Si le pouvoir exécutif s’arroge le droit d’écarter d’emblée les propositions préférées des Français selon les règles du jeu qu’il a lui-même édictées, il ne fera que nourrir la défiance extrêmement forte dont il est l’objet. Et le grand débat pourrait alors se transformer en piège mortel.
Comment on est passé à une crise institutionnelle
Dans ce contexte tendu, les Gilets Jaunes sont descendus dans les rues ce samedi pour poursuivre leur mouvement. Les revendications initiales sur les taxes sur le carburant sont désormais bien loin. Les représentants du mouvement ne cachent plus leurs objectifs politiques : la démission d’Emmanuel Macron et la mise entre parenthèses de la représentation nationale.
Dans les états-majors parisiens, on n’a pas forcément bien pris la mesure de la vague de fond qui s’approche du rivage. L’heure est encore aux tergiversations sur le retour à l’ordre et sur les concessions à lâcher. Les conditions du débat supposé sauver la situation semblent floues et Emmanuel Macron paraît singulièrement désorienté par un mouvement dont il ne comprend pas la portée.
Dans la pratique, celui-ci fonctionne sur un rejet viscéral de sa personne. Plus le temps passe, et plus ce rejet grandit et semble difficile à dépasser. Si le Président conserve encore 20% de partisans dans l’opinion, les 80% restants sont de plus en plus hostiles à son style personnel, ce qui rend tout discours, toute prise de parole de sa part, désormais inaudible.
Pire, ce rejet contamine peu à peu son entourage. La tentative de coup contre Benjamin Griveaux, rue de Grenelle, ce samedi, l’a montré. Tout ce qui incarne, de près ou de loin, l’exercice macronien de l’autorité, suscite une vraie violence réactive.
Ces éléments montrent que la crise des Gilets Jaunes ne se résoudra durablement qu’en mettant au minimum une dissolution de l’Assemblée Nationale dans la balance. Si le pouvoir exécutif ne se rallie pas rapidement à cette issue de la dernière chance, c’est la démission du Président de la République qui sera bientôt le seul recours.
C’est la difficulté des postures trop tardives où la profondeur d’un mouvement est mal évaluée dès le départ. Depuis près de deux mois, le gouvernement court après le temps pour proposer des solutions à une contestation qu’il a gravement sous-estimée, faute de disposer, dans son entourage, de gens de terrain capables de porter la contradiction. On mesure ici combien le départ de Gérard Collomb en septembre était à la fois prémonitoire et lourd de conséquences.
Macron a transformé les institutions déjà mal en point de la Vè République en camp retranché de la technostructure. Cette option a créé des ruptures décisives avec l’opinion. S’il ne convoque pas rapidement de nouvelles élections, le pire est à venir pour lui.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog