François de Mazières, maire de Versailles, revient sur les conséquences du mouvement des Gilets jaunes sur les maires, en première ligne.
En faisant reposer sur les maires le débat public annoncé, tout en montrant qu'il est possible pour l'État de trouver 10 milliards d'euros afin de satisfaire les «gilets jaunes», le président met une pression inédite et dangereuse sur les élus locaux. La boîte de Pandore de toutes les revendications s'est ouverte.
« Puisque l'État est capable de répondre financièrement aux sollicitations, pourquoi les maires ne pourraient-ils pas en faire autant ? », pensent beaucoup de Français. Depuis quelques semaines, les maires sont confrontés à une recrudescence des demandes d'aides en tout genre, renforcée par l'échéance des élections municipales de 2020. Si les «gilets jaunes» traduisent un vrai malaise, leur mouvement et la gestion de crise chaotique ont libéré la parole d'une manière totalement désordonnée et individualiste. Chacun exprime sa revendication en regardant en priorité sa propre situation ou celle de son groupe socioprofessionnel.
Derrière un mouvement de prime abord généreux, la montée des égoïsmes est patente. On ne pense plus collectif, mais corporatif. Au plan local, le mouvement des « gilets jaunes » fait tache d'huile. Les associations comparent leurs subventions à celles des autres. On oppose social et économie, culture et sport. On réclame comme un dû des places en crèche et des logements sociaux. On exige tout et son contraire, plus de prestations et moins d'impôts. On ne prête plus attention aux explications factuelles fournies par les mairies.
Les villes n'ont plus de marge de manoeuvre
Or, à la différence de l'État qui a pu, par augmentation du déficit budgétaire, faire baisser la pression des revendications, les villes n'ont pas le droit de voter un budget en déficit. Elles ne disposent d'aucune marge de manœuvre sur leurs dépenses de fonctionnement. Soulignons les effets des baisses continues des dotations budgétaires de l'État. Dans ma ville, elles ont diminué de presque la moitié entre 2012 et 2017, passant de 20 millions à 11 millions d'euros annuels. Certes, en 2018, le gouvernement a arrêté cette baisse, mais pour les 322 plus importantes collectivités territoriales, le dispositif est tout aussi sévère. Il limite l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % par an - voire à Versailles à 0,9 % -, alors que les rémunérations de la fonction publique territoriale, du fait de mécanismes d'indexation décidés nationalement, augmentent beaucoup plus rapidement (2,4 %). Or, les dépenses de personnel représentent environ 60 % des dépenses courantes. Si l'on rajoute la redistribution de richesses entre communes selon des mécanismes particulièrement opaques, et qui a pris une ampleur disproportionnée, autant dire que l'État contraint les communes, à plus ou moins brève échéance, à diminuer le niveau des services rendus à la population.
Les maires demandaient à être mieux écoutés. Le chef de l'État a enfin pris en compte cet appel. Mais le basculement soudain d'une absence d'écoute au transfert de la responsabilité du suivi des insatisfactions de nos concitoyens, sans qu'il y ait parallèlement desserrement des multiples contraintes imposées aux maires, risque de durablement les fragiliser et de générer des frustrations.
Le discours responsable inaudible
Aux prochaines municipales, dans la démagogie ambiante où chacun se sent légitime à s'exprimer sur tout sans réelle connaissance de la complexité de la gestion des villes, ceux qui portent un discours responsable auront du mal à être écoutés. Tous les jours, les maires sont à portée d'engueulade. Ils assument déjà une part non négligeable de l'effort collectif pour redresser les finances publiques. La stratégie qui consiste à faire des maires le fusible qui va protéger un État en surchauffe suppose que le fusible soit suffisamment résistant. On ne peut toujours exiger plus des maires en les privant de toute marge de manœuvre. On ne peut leur demander à eux, qui sont au bout de la chaîne institutionnelle, de résoudre les conséquences du désengagement des échelons supérieurs d'administration, que ce soit dans le domaine social, de la sécurité, du logement, des politiques culturelles ou sportives.
Prenons garde à ne pas faire porter aux maires une responsabilité qui n'est pas la leur, eux qui apparaissent comme le dernier rempart de la sérénité publique. Déjà des milliers de maires ruraux, découragés, ont annoncé qu'ils ne brigueraient pas de nouveau mandat en 2020. En fragilisant les équipes municipales, qui travaillent dans un esprit de dévouement, le risque est grand d'affaiblir l'échelon où se noue tous les jours le dialogue démocratique.
Texte déjà paru dans Le Figaro, ici