Déontologie politique : le changement c’est maintenant !

Par Bertrand de Kermel Publié le 25 septembre 2012 à 19h19

Deux dérives déontologiques de la vie publique doivent aujourd'hui être combattues prioritairement : la corruption (qui semble avoir atteint un niveau sans précédent) et l’abus d’influence, qui mène progressivement au pouvoir oligarchique de fait.

L’abus d’influence et la corruption ont la même finalité : détourner une règle ou un inconvénient au profit d’un intérêt particulier et au détriment de l’intérêt général. C’est donc la République qui est en cause. Ajoutons que les populations pauvres sont toujours les plus grands perdants de la corruption et de l’abus d’influence.

Du reste, si la corruption favorisait les pauvres et désavantageait les riches, elle aurait disparu depuis longtemps. Il n’est pas possible de mettre un terme à la corruption dans la vie publique si elle n’est pas combattue avec vigueur dans le secteur privé, car, pour un corrupteur, la meilleure façon de se protéger, est de corrompre des élus, ce qui permet d’entraver plus facilement l’action de la justice.

Dans cette note, nous formulons quatre propositions. Il nous paraît indispensable qu’elles soient mises en place non seulement en France, mais encore dans les 27 pays européens et au niveau des institutions européennes elles-mêmes. Un tel sujet ne peut pas être limité au seul niveau franco-français. Sans relâche, la France doit mettre ce sujet sur la place publique, jusqu’à ce qu’elle obtienne satisfaction. Il y a va de la démocratie en Europe, mais aussi du ressenti de l’Europe par les populations.

Comment mesure t-on la corruption ? L’ONG "Transparency International" publie chaque année depuis 1995 un indice des perceptions de la corruption passive (IPC), construit à partir de la compilation de sondages réalisés auprès d'hommes d'affaires, d'analystes financiers, de journalistes et du grand public.

Cet indice reflète l'appréciation qu'ont les personnes interrogées de la plus ou moins grande facilité avec laquelle les agents publics, élus ou fonctionnaires, sont portés à abuser de leur pouvoir à des fins privées ou partisanes. Logiquement, la publication des résultats de Transparency International devrait être un excellent moyen de motiver les gouvernements. En effet, les progrès ou les échecs peuvent être mesurés, et logiquement les pays en mauvaise positon devraient rougir de honte. Hélas…

Quelle est la situation aujourd’hui sur la planète ? Dans l’édition 2010 de Transparency International, on peut lire que sur les 36 pays industrialisés ayant signé la convention anticorruption de l’OCDE en 1997 qui interdit notamment le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires étrangers, une vingtaine d'entre eux montrent "peu ou pas" d'empressement à faire respecter la législation.

Ce rapport montre également que près des trois quarts des pays évalués ont un score inférieur à cinq, sur une échelle allant de zéro (corruption importante) à dix (intégrité importante). En clair, les trois quarts des pays du monde n’ont pas la moyenne en termes d’honnêteté. D’où le titre du communiqué de presse de Transparency International : "les crises mondiales ne pourront être résolues sans une tolérance zéro contre la corruption".

D’où la déclaration de Madame Labelle, présidente de Transparency International : "Tolérer la corruption est inacceptable : trop de personnes pauvres et vulnérables continuent de souffrir de ses conséquences à travers le monde. Il faut davantage de respect des Lois et des règlementations existantes. Aucun refuge pour les corrompus et leur argent ne doit exister".



Et la France ? Regardons l’évolution de l’indice des perceptions de la corruption passive (IPC) pour la France, et comparons-nous avec un petit pays européen : le Danemark. En 1997, la France est 20ème, le Danemark est premier. En 2002 la France 25ème, le Danemark passe deuxième. En 2008 la France remonte au 23ème rang, le Danemark repasse premier du classement. En 2010 la France retombe au 25ème rang et le Danemark repasse à la première place. Pas de quoi pavoiser.

Depuis 15 ans, il existe en permanence 20 à 24 pays plus honnêtes que nous. Comment imaginer un fonctionnement normal des institutions politiques dans un tel contexte ? Dans son commentaire sur la France pour 2010, Transparency International indique que si notre pays a une image dégradée sur ce thème de la corruption, cela est dû à plusieurs causes : quelques affaires à l’audience mondiale comme Karachi, affaire marquée par un nème usage abusif du "secret défense" dans une affaire de corruption, un projet de suppression du juge d’instruction, des nominations contestées de quelques procureurs, etc.

Transparency International ajoute que 10 ans après la ratification de la convention OCDE, la justice française n’a conduit à son terme presqu’aucune des procédures engagées pour corruption d’agent public étranger, ni prononcé de condamnations, à l’exception d’un dossier de faible importance.

A notre connaissance, il n’existe pas d’instrument permettant de mesurer ce phénomène. Néanmoins, voici ce qu’on pouvait lire dans Le Figaro du 1er juillet 2012, qui résume parfaitement une situation connue de tous les citoyens du monde, en l'occurence en Grande-Bretagne : "De son côté, le ministre de la Justice, Ken Clarke, a déclaré sur radio 4 que les banquiers qui ont commis des délits financiers doivent en répondre devant des tribunaux. "Nous ne traitons pas comme il le convient les délits financiers au plan judiciaire dans ce pays", a-t-il déclaré.

Prônant des "règles plus contraignantes" pour mieux encadrer le secteur financier, le ministre a jugé que le gouvernement ne devrait pas céder aux pressions de la City. "Nous devrons résister aux puissants lobbies qui vont nous dire que nous allons trop loin, que cela va nuire à la compétitivité (de la place financière de Londres, ndlr) et d'autres choses du même acabit", a-t-il martelé.

Un plaidoyer qui devrait être bien accueilli par l'opposition. Le chef du parti travailliste, Ed Miliband, a réclamé ce samedi une commission d’enquête publique sur la culture et les pratiques du secteur bancaire, estimant qu'il était rongé par la "corruption institutionnelle". Il a appelé à la mise en place d'un code de conduite et de peines d'emprisonnement sévères pour les banquiers ayant commis des délits."

Cet article met aussi en évidence le lien entre abus d’influence et corruption généralisée à grande échelle dans le secteur le plus stratégique de l’économie mondiale. Il émane d’un ministre du gouvernement le plus libéral qui soit : celui de Monsieur Cameron. Si l’on cherche une autre référence, il suffit d’ouvrir le grand Larousse universel édition de 1989. Elle a donc plus de 23 ans. Sous le mot : "ploutocratie", on peut lire la définition suivante : "Système dans lequel le pouvoir politique est dévolu aux détenteurs de la richesse". Et le grand Larousse d’ajouter entre parenthèse : "Le composé : ploutodémocratie est parfois utilisé pour stigmatiser les formes insidieuses d’influence de l’argent dans les démocraties contemporaines" !

Cela signifie que dès les années 80, le phénomène était identifié. Dès cette époque, nos démocraties avaient bien entamé leurs dérives. Nos démocraties sont malades de leurs dérives qui ont démarré depuis plus de 30 ans. La crise financière et les nombreux soubresauts bancaires qui jalonnent l’actualité depuis 2007, illustrent d’une lumière crue la réalité de cette situation. Tous les clignotants sont allumés.



Faut-il aussi évoquer l’incroyable puissance de Rupert Murdoch, assortie d’une incroyable impunité ? On doit également citer les anomalies de la construction européenne qui permettent le dumping fiscal et social, ce qui conduit les Chefs d’Etat à se courber devant les multinationales pour qu’elles investissent chez eux, et à accepter leurs injonctions. Cela ne conforte pas le pouvoir des élus, et met à mal la déontologie de la vie publique (voir les récentes déclarations de Monsieur Cameron qui assume le dumping et se permet de tourner en dérision le Président légitimement élu d’une démocratie européenne). En termes de gouvernance européenne et de déontologie politique, ces comportements sont impossibles à expliquer à des jeunes de banlieues.... Ne l’oublions pas.

La toute première mesure à prendre, en ce début de quinquennat, est de fixer publiquement à notre pays l’objectif de se hisser au niveau du Danemark. Depuis quinze ans, le Danemark est le pays le mieux placé parmi tous les pays du monde en terme de probité. La France arrive péniblement à la 25ème place. C’est inadmissible.

Ce n’est pas tout, il doit en être de même pour les 25 autres pays européens, qui doivent arriver ex aequo en tête. La France doit demander sans relâche à tous les pays européens d’aller dans cette voie. C’est le pré-requis à toute démarche déontologique de la vie publique. On ne peut pas approfondir la construction européenne sans cela. Au surplus, c’est la meilleure façon de donner confiance aux marchés, et de construire une base solide pour la lutte contre la pauvreté.

Comment atteindre cet objectif ? Il faut mieux résister à la corruption et à l’abus d’influence. Pour cela, l’une des solutions consiste à rendre obligatoire l’introduction de critères objectifs, rationnels et mesurables dans le travail parlementaire. C’est la meilleure façon de garantir qu’au-delà des discours incantatoires, l’intérêt général est visé en toutes circonstances, et que cela sera vérifié publiquement.

Nous proposons d’inscrire dans la Constitution française (ou dans une loi organique si l’on ne veut pas surcharger la constitution), le principe suivant lequel aucun projet de loi en France ne puisse plus être voté sans être précédé d’un exposé des motifs contenant : une étude d’impact décrivant et mesurant l’effet attendu du projet de Loi sur chacun des trois piliers du développement durable (économique, social et environnemental), la date et les outils de mesure qui permettront de vérifier les effets de la loi projetée dans les trois domaines économique, environnemental et social, notamment son effet sur la baisse de la pauvreté en commençant par les plus fragiles et les exclus.

Il faut également modifier les traités de Lisbonne afin que les directives, règlements et Lois européennes soient adoptées selon la même procédure. Si cette mesure est retenue, les Lois seront mieux pensées, et plus efficaces. Leurs défauts éventuels seront vite identifiés et pourront être corrigés en évitant les guerres stériles entre majorité et opposition. Si par malheur, s’étant laissé convaincre par un lobby très puissant, le législateur votait une Loi qui se révèlerait finalement favoriser un intérêt particulier au détriment de l’intérêt général, ce système objectif permettra de mettre en évidence cet effet non souhaité, et de le corriger sereinement.

Ces propositions sont tout particulièrement indispensables pour le niveau européen, afin que l’Union Européenne devienne vraiment l’institution garante de l’intérêt général. A noter que le principe de ces propositions se trouve dans le rapport Camdessus de 2004, intitulé "vers une nouvelle croissance pour la France ". Ce rapport préconise aussi d’insérer dans la plupart des Lois françaises et européennes une clause de rendez-vous, c’est-à-dire une clause fixant un délai à l’issue duquel la Loi devra nécessairement être réétudiée, voire modifiée si le Parlement le juge utile, à l’exemple des Lois bioéthique. C’est très cohérent et très professionnel.



L’ONG Transparency International a interpellé les candidats à l’élection présidentielle en leur demandant de s’engager sur sept points. Lorsqu’il était candidat, le président de la République les a acceptées, à l’exception de l’une d’entre elles sur laquelle il a émis une remarque et formulé une contre proposition.

Elles sont résumées ci-après : prévenir les conflits d’intérêts dans la vie publique, mettre la justice à l’abri des interventions de l’exécutif dans les affaires politico-financières, porter de 5 à 10 ans le plafond de la peine complémentaire d’inéligibilité pour les élus condamnés pour corruption, interdire le cumul des mandats et des fonctions, créer les conditions d’une expertise réellement indépendante en étendant les règles prévues par le projet de loi sur la réforme du médicament à d’autres domaines clés de l’expertise scientifique et technique (environnement, énergie/nucléaire, industrie chimique, technologies de l’information, alimentation, finance, etc.), encadrer le lobbying à tous les niveaux de la décision publique et faciliter la participation des citoyens et de la société civile, donner enfin la possibilité aux citoyens de saisir la future Autorité de déontologie de la vie publique.

La République a mis en place de nombreuses mesures destinées à protéger les citoyens contre d’éventuelles mesures arbitraires, qu’elles soient politiques ou judiciaires. Toutefois, lorsqu’un élu (ou un particulier fortuné) est mis en cause pénalement, on assiste trop souvent à une multiplication des procédures dilatoires, qui aboutissent, après de nombreuses années à l’abandon des poursuites, ou à des condamnations largement inférieures à ce qu’elles auraient dû être.

Il existe des centaines d’exemples de ce type. Il n’est pas normal qu’un élu ou un citoyen riche puisse se protéger d’une sanction pénale uniquement en "jouant la montre". La presse rapportait récemment qu’un dossier concernant des listes de faux électeurs est toujours en cours depuis maintenant 14 ans !

Sans mettre en cause le droit légitime de tout citoyen à bénéficier de la meilleure défense possible, lorsqu’à la fin d’une longue procédure, un tribunal constate qu’en réalité il ne s’agissait que de moyens dilatoires permettant de gagner du temps, des sanctions exemplaires (accompagnées de dommages et intérêts pour rembourser à l’Etat le coût de ces procédures excessives) devraient être appliquées.

Cela demande une longue réflexion préalable, et un encadrement extrêmement strict par la Loi. Pour autant, il ne faut pas y renoncer, car il y a des cas (ils ne sont pas exceptionnels) où l’abus des procédures judiciaires va jusqu’à remettre en cause les principes républicains (justice à deux vitesses), donc la déontologie de la vie publique.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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