La France entre, en plein, dans le ralentissement de la zone euro. Elle y ajoute ses propres augmentations d’impôt et un peu de réduction d’effectifs publics en termes nets, de quoi freiner encore la croissance, dans l’immédiat du moins. Cette situation est dangereuse, puisque le ralentissement peut se poursuivre, jusqu’à la récession même, tandis que tous nos voisins souffrent, que nous votons le Traité européen et nous engageons à respecter la règle des 3 % de déficit public par rapport au PIB. Comment avancer dans ce jeu compliqué, plein d’écueils ? Essayons de comprendre la tactique de nos décideurs.
Hypothèse un : la zone euro résiste. La Grèce tient, avec une autre année de récession et des mesures nouvelles de restriction, car une sortie de la zone euro aurait des effets catastrophiques pour tous. Evidemment, la BCE ne va pas appuyer sur le bouton. Evidemment aussi, la Grèce ne peut faire beaucoup plus d’efforts que ceux qu’elle a déjà acceptés, compte tenu des baisses de salaires et de pensions que subissent déjà ses habitants, sachant que la police commence à s’interroger sur la course des affaires : attention aux limites sociales que nous touchons. La Grèce est proche de l’équilibre primaire pour son budget, il faut lui donner plus de temps – un à deux ans, quitte à refinancer ses crédits. Il faudra revoir son système judiciaire, fiscal, économique… après. Privatisons d’abord.
L’Espagne n’a d’autre choix que de demander l’appui de la zone euro. Elle a besoin de 50 milliards pour ses banques, la somme est prête. Elle doit être soutenue dans son ajustement fiscal, de façon aussi à ce que la Troïka l’aide pour éviter un risque d’explosion régionaliste qui menace, avec la Catalogne. Le Portugal a obtenu un délai de deux ans pour son ajustement. L’Italie se mobilise pour réduire ses dépenses publiques, se préparant à appuyer Mario Monti lors des prochaines élections – mais avec une récession forte. Angela Merkel, dans ce contexte, n’a aucun intérêt à précipiter les choses, mais au contraire à montrer que sa stratégie de pression est gagnante, renforçant in fine l’Allemagne dans une zone euro en reconstruction, où elle est le leader incontesté.
Hypothèse deux : la France se stabilise. Le choix de nos politiques semble le suivant : engagement de réduction du déficit budgétaire dans le temps, avec un retour à l’équilibre dans les quatre à cinq ans, la hausse des impôts faisant actuellement le premier travail, le plus rapide, la suite devant être prise par les économies de dépenses, plus compliquées et qui se font toujours sentir avec délai. Comme les riches ne manifestent pas dans les rues, l’année 2013 peut s’engager. Les réductions d’effectifs dans le public l’an prochain (entre 1000 et 2000 postes annoncés) devraient être globalement absorbées par une reprise de l’emploi en fin d’année, en liaison avec les allègements de charges prévus dans le plan Gallois, à présenter dans quinze jours. Les syndicats ne pourront plus dire qu’il faut que les riches payent : c’est déjà fait.
Mais la stratégie de bascule de charges des entreprises vers les ménages sera quand même très rude à avaler : autant que la gauche s’en occupe, pense la droite. Avec une zone euro qui remonte un peu l’an prochain, avec des taux d’intérêt toujours très faibles, la France passe les 3 % de déficit prévus, quitte à ce que le Trésor pompe quelques trésoreries.
Risque un : le choc fiscal fige le pays. Ménages et entreprises se mettent en mode pause. Une chose est de leur dire que cet « effort budgétaire sans précédent » (P. Moscovici) ne les concerne pas (« 90 % des Français ne seront pas affectés » dit le Premier ministre), une autre est qu’ils le croient. D’abord, tout choc fiscal fige les positions, dans l’attente des textes : on ne sait jamais. Ensuite, les « riches ménages » vont s’ajuster et s’adapter, et il y aura moins de demande, voitures, restaurants, services à domiciles, même consommation courante… Les grandes entreprises vont « serrer » sur leurs dépenses… et contacter les PME, qui ne devaient pas être touchées, en leur demandant de « faire des efforts », à leur tour. L’épargne, qui devait baisser pour soutenir la demande, peut au contraire monter, pour des raisons d’inquiétude, même avec une rémunération négative après fiscalité et inflation. La France peut entrer plus encore dans la « trappe à liquidité ».
Risque deux : le choc fiscal énerve le pays. Les Français vont alors demander à l’Etat d’en faire bien plus en matière d’économies publiques. « Ils ont payé », à l’Etat et aux collectivités locales d’économiser maintenant sur leur train de vie ! Le ralentissement peut ainsi être plus fort que pensé au début par nos calculateurs, conduisant à un ralentissement plus fort encore, car ils n’ont pas pris en compte ce second effet. Le ratio dette sur PIB à 3% devient alors très difficile à atteindre.
Risque trois : réveil des marchés. Les marchés financiers ont acheté la règle d’or et ses effets. Puis ils s’inquiètent de l’échéancier français : impôts en hausse puis économies, préférant sinon l’inverse, du moins une combinaison plus égale. Les taux remontent alors pour la France, d’autant que les tensions sociales s’exacerbent...
Moralité : la France joue une tactique très compliquée, mais possible. Il est donc essentiel de bien l’expliquer, pour éviter le risque majeur qui se présente : l’attentisme des entreprises, alors qu’elles veulent une baisse de leurs charges (rapport Gallois) … qui pèsera à nouveau sur les ménages. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, tout le monde le sait, mais il paraît décisif de gérer les anticipations et de dire comment les autorités comptent s’y prendre dans les deux ans à venir. Dans un monde toujours plus réactif, il vaut mieux parler que laisser courir l’imagination, les rumeurs, et les frayeurs.
Jean-Paul Betbèze