L’un de nos camarades contrariés m’écrivait il y a quelques jours la chose suivante : "Ceci pour dire qu’il est aisé de critiquer l’augmentation des impôts… La question que je me pose est : Que devrait-il faire ?"
Il me parlait d’un édito dans lequel je critiquais la politique du tout fiscal de notre gouvernement. Mais la question essentielle reste bien "que devrait-il faire ?" Je ne critique pas le gouvernement parce qu’il est socialiste, cela n’est d’aucune importance. Je critique ce qui me semble mauvais, en mon âme et conscience. D’ailleurs, j’ai trouvé que le discours de la conférence gouvernementale était un grand pas justement vers une solution et vers la réponse à la question : "Que faire ?" Ce n’est pas de la langue de bois. Loin s’en faut.
Mais la première réponse à cette question tient en d’autres questions préalables auxquelles nous devons d’abord répondre.
Pour répondre à cette question du "que faire", encore faut-il être capable d’établir un diagnostic partagé. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que les raisons de la crise actuelle fassent l’objet de débats intenses, y compris par les économistes. Pour certains, la crise est financière et trouve son origine dans les errements de la finance, dans une mauvaise régulation ou encore dans la désormais très célèbre crise des "subprimes". C’est vrai et c’est partiel.
Pour d’autres, la crise, c’est la "faute à" la mondialisation. Nous avons perdu nos capacités de production au profit des pays émergents et du premier d’entres eux, la Chine. Nous devenons des musées, des économies basées sur les services immatériels. Nous ne produisons plus de véritables richesses, mais, surtout, en passant d’une économie de la production à une économie du service, nous avons supprimé une part significative des emplois. Or le travail reste, dans nos économies, le principal vecteur de redistribution. C’est vrai et pourtant c’est partiel.
Pour les écologistes, la crise est environnementale. Nous détruisons notre planète. Nous consommons chaque année plus de ressources que la Terre ne peut nous en fournir. Nous devons devenir "décroissants". J’ai déjà exprimé à de multiples reprises mon point de vue, en dehors de toute idéologie "écolo". La croissance infinie dans un monde fini est, par nature, une aberration intellectuelle. Alors, c’est vrai bien sûr. Mais c’est partiel.
Pour les souverainistes, les nationalistes ou les patriotes (je le dis sans aucune connotation négative de quelque sorte), la crise, c’est la "faute à l’euro", "la faute à la monnaie unique". Comme l’a encore si bien dit Nicolas Dupond-Aignan à l’Assemblée nationale lors du débat sur le traité budgétaire, il est illusoire de croire que nous pouvons avoir une monnaie unique, alors que nous avons des zones économiques hétérogènes, si cela n’est pas accompagné d’une économie de transfert des pays riches, compétitifs et excédentaires, vers les pays pauvres, peu compétitifs et déficitaires.
C’est parfaitement vrai. D’autant plus que nos grands amis allemands ne semblent pas particulièrement pressés de payer pour toute l’Europe du Sud, France comprise. J’en veux pour preuve les dernières déclarations du Ministre allemand, disant avant son arrivée à l’Eurogroupe qu’il n’est pas utile que l’Espagne demande l’aide de l’Europe, ce qui peut vouloir dire aussi que l’Allemagne n’a pas envie de payer pour l’Espagne. Donc, tout cela est parfaitement vrai. Et pourtant c’est partiel.
Pour les libéraux, la crise, les déficits, la dette, tout cela, ces boulets qui enchaînent nos économies, c’est lié à la présence d’un Etat omniprésent, omnipotent, omniscient et omnivore de richesse produite. Trop d’Etat, trop de dépenses sociales, trop d’assistanat, trop de taxes pour financer des Etats providence devenus obèses. C’est assez vrai en Europe, particulièrement du Sud. Cela l’est nettement moins pour les pays anglo-saxons, Royaume-Uni et États-Unis en tête. Alors oui, l’Etat est trop gros, particulièrement en France, mais l’endettement est partagé par tous les pays occidentaux, y compris les plus libéraux. Alors c’est vrai. Mais encore une fois, c’est partiel.
Pour les socialistes, les communistes, les crypto-marxistes, et toute autre personne teintée des idéaux de gauche (je le dis sans aucune connotation négative de quelque sorte), la crise est liée à l’ère de l’argent-roi, à une mauvaise redistribution des profits et des inégalités qui augmentent. Pour eux, la crise, c’est les banques et les banquiers. Surtout les traders. Ceux qui font n’importe quoi, et disons-le, ces derniers temps il y en a un paquet. La crise, c’est aussi un manque de régulation. La mise au pas de la finance et la fin du toujours plus de profits et ses cortèges de licenciements boursiers. C’est évidemment vrai. Mais c’est partiel.
Pour les européistes, la crise, c’est le manque d’intégration européenne et l’absence de fédéralisme. Il faut donc forcément plus et mieux d’Europe, moins de décisions nationales, plus de décisions fédérales, de mécanismes communs. Il faut le renforcement de l’intégration européenne, des "unions bancaires", fiscales ou budgétaires. C’est bien sûr vrai. Il ne peut y avoir de monnaie unique avec 16 pays différents. Néanmoins, cela reste partiel.
Vous l’aurez compris, et cette liste est loin d’être exhaustive, la crise que nous affrontons n’est pas qu’une crise de gouvernance, elle n’est pas qu’une crise d’endettement, elle n’est pas qu’une crise environnementale, elle n’est pas qu’une crise européenne ou de la monnaie unique l’euro, elle n’est pas qu’une crise de l’Etat providence, elle n’est pas qu’une crise démographique, elle n’est pas qu’une crise de la mondialisation et de ses déséquilibres. Non, la crise que nous affrontons est le cumul de l’ensemble de ces crises.
À un tel niveau de complexité, d’imbrication, de déséquilibre, le terme même de crise est impropre. Nous ne sommes pas en crise. Nous sommes face à une reconfiguration complète de nos modes de fonctionnements économiques sous la pression de facteurs historiques. Nous entrons dans un nouveau monde. Quitter l’ancien ne peut se faire que dans la souffrance.
Des enjeux démographiques aux volontés de puissance de certains Etats, de la construction européenne qui nous est proche à celle de nouveaux grands ensembles, des progrès technologiques destructeurs d’emplois à la mondialisation, du défi de la redistribution des richesses à celui de l’alimentation, partout, le monde que nous avons connu après la Seconde Guerre mondiale s’effondre. Avec cet effondrement, ce sont nos certitudes qui vacillent, qu’elles soient politiques, économiques, géopolitiques, ou même scientifiques et techniques, sans oublier les aspects sociétaux.
La croissance économique est, pour la grande majorité, synonyme de croissance du confort, du bien-être. Bref, la croissance économique, c’est le progrès sous toutes ses formes ! C’est globalement vrai depuis le début de la révolution industrielle. Depuis l’avènement de cette période, notre modèle économique – à l’exception notable de l’épisode communiste qui fut une parenthèse de 70 ans refermée pour cause d’échec – est celui de la croissance infinie, basée sur la consommation de masse et de l’énergie abondante et peu coûteuse.
Jusqu’à présent, notre planète pouvait nous fournir les ressources nécessaires. Ce n’est plus le cas. Parallèlement, depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde était "géopolitiquement" gelé, bloqué par la Guerre froide. L’empire soviétique était à l’abri du rideau de fer. La Chine recluse derrière sa grande muraille. Il y avait deux mondes qui ne se parlaient pas. Dans ce monde d’autrefois, la mondialisation n’était tout simplement pas possible. Les délocalisations ne pouvaient pas se produire. Quelque part, dans un monde aussi fermé, les idées mêmes s’échangeaient moins vite. Les progrès étaient plus lents.
La courbe de l’évolution de la population est à l’image de l’évolution de notre monde où tout est devenu exponentiel depuis la chute du mur de Berlin. 1990. Voilà la césure. Comme tout raisonnement de ce type, évidemment, cela reste partial. Néanmoins, la grande rupture, c’est bien la chute du mur de Berlin qui matérialise l’effondrement du communisme. Beaucoup l’ont vu comme la victoire par K.O. du capitalisme et donc de sa suprématie intellectuelle. C’est vrai, mais partiel encore une fois ! Le communisme, par son existence même, était en réalité le meilleur des contrepouvoirs au capitalisme triomphant et dérégulé.
C’est la chute du communisme qui entraîne une dérégulation massive de l’ensemble de nos économies. Vingt ans après, nous pouvons constater les dégâts d’un système totalement brinquebalant. La mondialisation, les délocalisations et les dérégulations sont les enfants directs de la chute du mur de Berlin. Ni bien, ni mal, c’est un fait. Sans contrepouvoir idéologique, nous ne pouvions qu’aller vers des excès prévisibles compte tenu de la nature humaine qui, dans ses grandes masses, n’a jamais brillé par la sagesse.
A la question "que faire", on peut presque affirmer que nous ne ferons rien ! Alors effectivement, des réponses existent, et nous en reparlerons plus loin. Avant tout, je souhaitais revenir sur un point qui me semble déterminant. Pourquoi, depuis cinq ans, nous n’avons pas fait grand-chose et pourquoi nous ne ferons rien de plus dans les cinq ans qui viennent. Sans doute parce que nos sociétés sont figées. Par figées, j’entends que les positions naturelles sont toutes occupées et prises, que des acteurs sont là, que chaque groupe est également constitué en groupe de pression et veille naturellement à la préservation de ses intérêts. Ni bien ni mal là encore, mais une simple constatation factuelle du mode de fonctionnement de nos sociétés.
Des syndicats au patronat, des lobbyistes aux groupes de pression, le moindre changement, la moindre réforme se heurte à une résistance farouche de ceux qui "ont à perdre" dans la nouvelle donne envisagée. Certains me diront que les Américains n’ont pas vraiment le problème de la "CGT". Certes. Mais ils ont le problème de Wall Street. C’est certainement aussi grave, si ce n’est plus !
Nos sociétés ont atteint des niveaux où elles sont tout simplement irréformables. Cela s’est déjà produit à de multiples reprises dans l’histoire du monde. Le changement n’est en réalité possible qu’à partir du moment où on ne peut plus le différer. Ce moment est souvent celui de l’effondrement. Que le gouvernement soit UMP ou PS, peu importe. La marge de manœuvre dans tous les cas est extrêmement faible si l’on souhaite "respecter" les codes et les dogmes en vigueur.
Rester dans le cadre, c’est aller tout droit à l’échec pour toutes les raisons que nous avons listées plus haut. Sortir du cadre prématurément, c’est prendre un risque politique majeur. Logiquement, nous préférons donc tous nous tromper collectivement que de prendre le risque d’avoir raison tout seul. Alors que faire ?
La fiscalité environnementale. Il faudrait mettre en place une véritable fiscalité environnementale, qui prendrait en compte le véritable coût de production d’un bien. Son coût de production, ce n’est pas que la main-d’œuvre. C’est aussi et surtout le coût de la matière première non-renouvelable, le coût en pollution, le coût en transport. Avec une fiscalité comme celle-là, le prix des choses changerait du tout au tout.
La nécessité des délocalisations aussi. Les bénéfices des grandes multinationales chuteraient de façon dramatique. Des millions d’actionnaires perdraient beaucoup d’argent. Nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons.
Répudier la dette. Il faudrait répudier les dettes, plutôt que d’essayer de faire croire désespérément que nous arriverons à la rembourser à coup d’austérité de plus en plus forte au fur et à mesure où les récessions s’aggravent en raison même des plans d’austérité décidés pour pourvoir payer les dettes.
Absurde ! Vouloir payer à tout prix les dettes a pour conséquence une insolvabilité empêchant de les rembourser !! Ne pas rembourser les dettes, c’est ruiner l’ensemble des épargnants en une seconde. Toute l’épargne de millions de vies anéantie en une décision. Le lendemain, ce sera l’impossibilité pour l’Etat d’emprunter sur des "marchés" qui n’existeront plus. Nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons.
Sortir du carcan de l’euro. Il faudrait sortir de la monnaie unique. C’était une belle l’idée, comme l’Europe d’ailleurs. Cela ne pouvait pas fonctionner. L’euro était une construction politique. Pas une construction économique. Il n’y a pas d’Union de transfert et il n’y en aura pas puisque les Allemands considèrent à juste titre qu’ils n’ont pas vocation à payer les RSA et la CMU française.
L’euro fort pour les Allemands est une bonne chose. Il étouffe les pays moins compétitifs comme la France. Il détruit les pays encore moins compétitifs comme l’Espagne. Il anéantit carrément des pays comme la Grèce. Le temps de la construction européenne n’est pas celui des crises ni des marchés. Il vaut mieux sortir en bon ordre que d’attendre la catastrophe inévitable. Nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons, car l’euro est en train de se disloquer sous vos yeux.
Accepter la décroissance et le capitalisme durable. La croissance infinie dans un monde fini, c’est fini ! Terminé. Deux solutions : nous éliminons 50 % de la population humaine par un génocide dont les critères d’épuration sont à déterminer ou nous essayons tant bien que mal de vivre tous ensemble, le mieux possible. Et là, pas le choix. Nous devrons choisir ce que nous ferons croître, comme certaines technologies, et nous devrons choisir ce que nous ferons décroître, comme certains aspects de la surconsommation stupide que nous pouvons tous les jours constater.
Un monde plus sobre ne remet pas en cause le capitalisme ! D’ailleurs, le capitalisme n’existe réellement que dans sa définition la plus simple : le respect de la propriété privée et les moyens de production privés (mais pas forcément de façon exclusive d’ailleurs). Pour le reste, le capitalisme évolue à travers les époques. Dans une économie de la décroissance, une société comme Carrefour ou l’Oréal, dont les business model sont basés sur la consommation de masse, ne sont pas l’avenir. Ils sont le passé du futur monde.
L’adaptation sera difficile. Elle signifie pour la majorité des entreprises la disparition, ou en tout cas une forte décroissance, des flux financiers captés. C’est pour cela que personne ne veut en entendre parler. Alors nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons, nous n’aurons tout simplement pas le choix. La refonte du système monétaire. Après une débâcle monétaire suite à l’explosion de la bulle mondiale d’endettement, il faut être capable de redonner confiance aux acteurs dans une nouvelle monnaie.
De tout temps, ou pour être plus précis depuis la nuit des temps, la monnaie est l’or. Pour beaucoup, le retour à l’étalon-or est illusoire, parce que la quantité limitée d’or ne permet pas de "financer" la croissance. Or nous rentrons dans l’ère de la rareté et de la décroissance. Dans un tel contexte, c’est la décroissance de la masse monétaire qu’il faut gérer. Pas son expansion. Dans le monde à venir, l’or, les lingots, et les pièces d’or seront incontournables.
Après de grandes tribulations, il faut une grande stabilité. L’or apportera cette assurance. L’or pourra rassurer. Alors, les solutions existent. Je les ai brièvement esquissées dans ces quelques lignes. Elles ne sont pas exhaustives et pourraient faire l’objet d’un texte infiniment plus long et plus détaillé. L’essentiel n’est pas la lettre mais l’esprit.
Nous assistons à la fin d’un monde mais pas à la fin du monde. Nous aurons autre chose à reconstruire. C’est un défi passionnant. Rien n’est écrit. L’homme est capable du meilleur comme du pire. Je veux espérer qu’un monde plus efficient, plus raisonnable sortira de tout ça. Mais nous n’y sommes pas encore. Si certains d’entres nous ont conscience du monde qu’il faudrait bâtir, personne ne prendra la responsabilité du début des travaux.
C’est pour cela qu’il faut que le monde d’aujourd’hui disparaisse pour que l’on puisse ensuite édifier celui de demain. C’est ce qu’un illustre économiste a nommé la destruction-créatrice. Hélas, pour beaucoup, la phase de destruction est douloureuse. La décroissance n’est pas une punition, elle est la solution, nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons.