Lorsque j’écoute les gens, les vrais, j’entends de plus en plus souvent l’expression "je suis inquiet" et "j’ai peur". Tous ces gens me semblent bien mal informés.
Tout va bien leur répète-t-on depuis presque cinq ans. Et pourtant, ils ont peur. Enfin peur, ils n’ont pas peur, ils ne sont pas pétrifiés, simplement ils pensent que cela ne va pas bien du tout et que l’on va avoir des problèmes. Alors, il faut rassurer les vrais gens. (Il ne faut pas dire "peuple", car c’est populiste de parler au peuple, si en plus vous voulez faire du protectionnisme pour protéger votre peuple, c’est doublement pire. Vous êtes un double horrible populiste. Rien à voir avec le sujet, c’était juste pour faire remarquer les règles sémantiques en vigueur à notre époque.)
Bref, il n’y a aucune raison de se sentir inquiet. Franchement, tout va bien, la croissance est de zéro – c’est pour ne pas parler de récession qui est un gros mot –, les impôts n’augmentent que pour les riches parce que c’est juste. Si vos impôts augmentent, c’est juste parce que vous êtes riches, il ne faut pas trouver ça injuste, c’est une excellente nouvelle pour vous, car en fait vous êtes riches. Alors ce serait indécent que vous vous plaigniez d’être riches, surtout dans la période actuelle. Comme quoi, il n’y a que de bonnes nouvelles.
Il ne faut pas avoir peur de l’explosion de l’euro, notre Gouverneur qui est à la BCE nous a dit qu’il ferait tout ce qu’il faut, et qu’il fallait le croire. Ce serait assez. Alors de quoi avez-vous peur ? Nos amis américains sont en période électorale. Rien ne peut donc nous arriver. Un krach boursier à un mois de l’élection présidentielle du monde, c’est tout bonnement interdit. Ça ne se fait pas. Je n’irais pas jusqu’à dire que la FED (la banque centrale américaine) achète des actions pour maintenir les cours de Wall Street sur des niveaux stratosphériques hallucinants, disons que la FED se contente d’inonder le marché (c’est-à-dire les banques) d’argent gratuit pour acheter des actions.
Il faut bien comprendre que les retraités américains n’ont pas cotisé à un régime par répartition. Ils ont capitalisé dans des fonds placés globalement en bourse. Si les marchés s’effondrent, le Mister Smith moyen perd sa retraite. Et ça, ce n’est pas bon du tout pour la réélection du Sieur Obama. Alors de quoi avez-vous peur ? Les marchés américains ne peuvent que monter.
En Europe, comme le patron de la BCE ne donne pas autant d’argent gratuit, les cours restent moins élevés. Pour sa réélection, Monsieur Obama a besoin aussi de voir le chômage baisser. Et le chômage baissa. Extraordinaire. Encore plus génial, d’après le BLS (l’institut statistique), ce qui baisse c’est la taille de la population active. Ben oui, que voulez-vous, il y a de moins en moins de gens en âge de travailler. C’est ainsi. Ça permet de retirer quelques personnes du calcul et hop ! les chiffres repartent à la baisse. Fantastique ! Mister Smith est heureux. Le chômage baisse. "Vu à la TV !" Si ce n’est pas une preuve, je ne sais pas ce qu’il vous faut. Alors franchement, de quoi avez-vous peur ?
Ha, peut-être pensez-vous que, finalement, Super Mario ne tiendra pas ses promesses ! Mario Draghi, le gouverneur de la banque centrale européenne (BCE), vient de déclarer que la "BCE n’imprimera pas de monnaie pour résoudre la crise de la dette en zone euro". C’est étrange. Il me semblait que tout le monde avait compris l’inverse il y a deux mois, et particulièrement lorsque le Sieur Draghi nous avait sorti le mot magique de son chapeau : illimité !
Et de continuer en disant : "La BCE ne peut s’engager dans du financement monétaire et ne peut pas remplacer l’action des États membres [de la zone euro]. Il est trop facile de penser que la BCE peut remplacer l’action des gouvernements ou leur manque d’action en imprimant de la monnaie. Cela n’arrivera pas." Mais il est fou Super Mario ! On n’a pas le droit de dire des choses pareilles, cela pourrait faire peur au peuple.
Vous rendez-vous compte, il a même jugé que "la BCE a déjà fait beaucoup", en référence aux liquidités mises à disposition des banques et aux programmes de rachat de dette des États en difficulté de la région. À ce niveau, je ne résiste pas à l’envie de vous citer la dépêche de l’AFP : "(…) dont le dernier en date, l’OMT, a largement contribué à l’accalmie sur les marchés depuis son annonce début septembre, bien qu’il n’ait pas encore été activé."
Il faut gérer la psychologie des marchés. Il suffit d’annoncer un truc énorme pour faire croire qu’on est prêt à tout, ce qui est suffisant pour ne pas avoir à faire le truc énorme dont on a parlé précédemment. Jusqu’au jour où... Alors Mario a précisé sa pensée. "Nous avons nos propres responsabilités et nous devons agir dans le cadre de notre mandat." Tiens, il vient de se souvenir qu’il avait un mandat, ce que n’ont pas manqué de lui rappeler depuis quelque temps nos grands amis allemands (lorsque l’on parle des Allemands, pour être bien vu, il faut écrire devant ou derrière le mot "ami", cela fait sérieux, calme et pondéré, ce qui plaît à ma femme).
Et figurez-vous que ce mandat lui interdit de financer les déficits publics en imprimant de la monnaie ! Accessoirement, la BCE doit aussi maintenir l’inflation sous le seuil de 2 % à moyen terme. Pas facile de créer de la monnaie de façon illimitée en limitant l’inflation ! Mais chut, il ne faut pas effrayer le peuple. Remarquez, sur ce coup-là, il y est allé fort notre Mario. Je ne sais pas quelle mouche l’a piqué. Que lui arrive-t-il ? Il ose nous parler de stérilisation, un truc compliqué mais en fait très simple qui consiste à donner des sous d’un côté mais d’en retirer autant du système de l’autre côté.
De la création monétaire stérilisée, c’est un peu comme avancer en reculant. Non, là où je trouve que Mario a dépassé les bornes de la bien-pensance, c’est lorsqu’il a osé déclarer : "Sans doute le processus de consolidation fiscale va mener et a mené à une baisse du PIB dans plusieurs régions de la zone euro. Mais quelle est l’alternative ?" Là, normalement, si vous commencez à avoir peur, c’est normal. Mais attendez, ce n’est pas tout ! "Ces réformes sont douloureuses dans le court terme, en particulier pour ceux qui ont perdu leur emploi ou risquent de le perdre, mais elles sont nécessaires pour un retour de la croissance." Là, vous pouvez être pétrifié d’avance pour votre job parce qu’à ce rythme, vous n’allez pas le garder bien longtemps. Les retraités aussi vous pouvez commencer à compter vos pièces d’or à gauche, parce que les pensions risquent d’avoir un problème à droite !
Les indices boursiers sont en lévitation. C’est particulièrement le cas pour l’indice Dow Jones qui flirte avec ses niveaux de fin 2007, c’est-à-dire quasiment les niveaux d’avant-crise. Pourtant, ils devraient avoir peur là-bas, les "investisseurs qui investissent sur les marchés". D’abord, c’est bientôt l’ouverture de la saison des résultats et qui, crise mondiale et historique obligent, s’annonce moins bonne que les précédentes. Je crois que les investisseurs vont être surpris.
On adore jouer les "surpris" et dire que ce n’était pas prévisible. Surtout ceux qui vous ont vendu des produits qui vous font perdre beaucoup d’argent. Alors oui, on peut imaginer un recul des bénéfices surtout après cinq ans de crise et de réduction des coûts des entreprises. Il reste bien quelques salariés à renvoyer mais globalement, le gros des gains en charge de personnel a déjà été fait. Bon, il y a aussi la muraille fiscale ou la falaise, comme vous voulez.
Les Américains appellent joliment cela le "fiscal cliff". Le principe est simple. C’est comme en Europe. On a imprimé plein de billets et on fait plein de nouvelles dettes pour essayer de combattre la récession. Grâce à cette politique géniale, les États-Unis réussissent à faire 10 % de déficit annuel et obtiennent une croissance de 2 % ! On peut donc s’extasier sur la bonne santé de la reprise de l’économie US.
Sauf que là, nos amis américains vont devoir choisir. De la rigueur avec des augmentations d’impôts et tout le tremblement (mais ce sera pour après l’élection présidentielle) ou la poursuite de la fuite en avant et l’insolvabilité. Or, il va se passer aux USA la même chose qu’en Europe. Austérité = récession = baisse des rentrées fiscales = encore plus d’austérité = encore plus de récession = badaboum généralisé à la fin. Là aussi, vous pouvez commencer à avoir peur pour 2013 !
Mais certainement pas aussi peur que ceux qui achètent du Dow Jones à plus de 13 000 points. Bref, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, sauf aux États-Unis à la veille de l’élection présidentielle, mais en ce bas monde, hélas, la loi universelle de la gravité s’est toujours appliquée et tout corps qui s’élève trop haut finit par retomber.
Accrochez vos ceintures. Ce moment arrive. Rien de ce qui pourrait être fait pour éviter l’effondrement ne le sera. C’est cela que Mario Draghi a expliqué aujourd’hui. Et là, effectivement, vous pouvez commencer à avoir peur.