Jeudi soir, après le coup de tonnerre de l'annonce par Google d'un possible déréférencement de la presse payant de Google Actualités si le gouvernement persistait à vouloir créer une taxe pour les moteurs de recherche référençant les sites d'actualité, Google France a transmis aux médias une copie de la lettre envoyée au gouvernement. La voici dans son intégralité ci-dessous :
Les effets néfastes d’un projet de loi visant à interdire le référencement non rémunéré d’articles de presse en France
Les associations d’éditeurs de presse (SPQN, IPG, SEPM) ont proposé au Gouvernement et au Parlement la création d’un droit voisin dont l’objet serait de faire payer par les moteurs de recherche une rémunération à chaque indexation d’un contenu issu d’organismes de presse. En réalité, l’ambition de ce texte est d’interdire le référencement non rémunéré. Google souhaite attirer l’attention des pouvoirs publics sur les effets néfastes que pourrait avoir une telle initiative si elle était mise en oeuvre dans le droit français.
Une telle loi, sans résoudre le problème réel de modèle économique auquel est confronté la presse depuis plusieurs années, serait néfaste pour Internet, pour les internautes et pour les éditeurs eux-même qui bénéficient d'un trafic substantiel envoyé par le site Google Actualités ainsi que par le moteur de recherche. Une telle loi aboutirait à limiter l'accès à l'information, à réduire le nombre de sites français référencés sur Internet mais aussi à freiner l'innovation. Google a mis en place des partenariats avec le monde du journalisme en France et souhaite poursuivre ses efforts en collaboration avec les éditeurs de presse afin de leur permettre de développer un modèle économique viable sur Internet.
Cette loi serait néfaste pour les utilisateurs français. Le modèle d’Internet tout entier est fondé sur les liens hypertexte et l’interconnexion entre les contenus. Le projet de texte actuel, en soumettant le référencement à rémunération et punissant le défaut de versement de celle-ci de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, ne ferait que multiplier les conflits et ralentir l’Internet. Google ne peut accepter que l’instauration d’un droit voisin pour le référencement de sites de presse français mette en cause son existence même et serait en conséquence contraint de ne plus référencer les sites français. Moins d’informations seraient disponibles en ligne. La loi pourrait en outre être perçue comme portant indirectement atteinte à la liberté d’expression.
Cette loi serait néfaste pour la promotion des contenus en langue française. L’adoption d’une telle loi aurait pour effet de réduire considérablement le référencement des sites français au profit, notamment, des sites anglo-saxons, qui ne seraient évidemment pas soumis à une telle contrainte. Sur la toile, ne pas être référencé, c’est sortir du radar : la presse française et de langue française y perdrait évidemment en visibilité. Alors que le Royaume Uni, les Pays Bas ou l'Irlande envisagent une réforme du droit d’auteur afin d’y introduire une certaine flexibilité et ne pas bloquer les futures innovations, cette loi isolerait davantage la France.
Cette loi soulève de nombreuses questions juridiques, notamment au regard de son périmètre et de son champ d’application (pourquoi en exclure les portails et les blogs, et une telle exclusion ne méconnaît-elle pas le principe d’égalité ? qu’est-ce qu’un lien hypertexte “visant manifestement le public de France” ?).
Cette loi serait néfaste pour les éditeurs de presse. C’est à eux de décider s’ils veulent rendre leur contenu en ligne payant et c’est aux consommateurs de décider s’ils souhaitent payer pour accéder à ce contenu. Google intervient pour faciliter la mise en contact entre les éditeurs et les consommateurs. Exiger de Google une rémunération au motif que son moteur de recherche dirige des lecteurs vers les sites de presse n’a pas plus de sens que d’exiger d’un taxi qui conduit un client à un restaurant de rémunérer le restaurateur.
L’adoption d’un tel projet de loi aurait pour effet de rendre leurs sites moins visibles en ligne, entraînant naturellement une chute du trafic s’y rendant. Le quotidien anglais, The Times, qui avait souhaité interdire le référencement de ses pages en 2010 (comme tous les journaux peuvent le faire), vient de décider d’abandonner cette politique trop coûteuse en lecteurs. Les moteurs de recherche représentent une source de revenus importante pour les sites de presse par “renvois de trafic”: 40% des visites de pages d’information généraliste se fait ainsi par accès indirect et Google porterait à lui seul 28,4% des consultations des principaux sites d’information1. Le rédacteur en chef du Times reconnait qu’entre 30 et 40% de son trafic vient des moteurs de recherche.
Rappelons que Google redirige quatre milliards de clics par mois vers les pages Internet des éditeurs. Google Actualités - sur lequel il n’y a pas de publicité - comptant à lui seul pour 1 milliard de clics. Google offre ainsi, chaque minute, 100 000 opportunités pour les éditeurs d’entrer en relation avec des lecteurs et de dégager un profit financier grâce aux publicités, aux contenus payants ou aux abonnements. A travers le programme AdSense, Google coopère avec différents éditeurs, et par conséquent s’assure que les inventaires publicitaires soient monétisés sur les pages Internet des éditeurs partenaires. Google a ainsi redistribué 6,5 milliards de dollars US provenant d’AdSense aux éditeurs partenaires en 2011.
Google entend poursuivre son partenariat avec les journalistes français3 et est disposé à travailler avec les éditeurs afin de construire un modèle viable de la presse sur la toile. Google est conscient des grandes difficultés que traverse le monde de la presse confronté à un effet de ciseaux entre ses coûts et ses revenus et les nouvelles habitudes des lecteurs. Google s’entretient régulièrement avec les éditeurs pour les aider à mettre en ligne du contenu et à trouver des solutions d’authentification et de facturation. Pour Google, les difficultés auxquelles fait face l’industrie de la presse et qui ont commencé bien avant la révolution Internet peuvent être surmontées en expérimentant de nouveaux modèles, en multipliant les expériences (payant/ gratuit) et en utilisant l’innovation à son profit. Google souhaite poursuivre les efforts engagés il y a quelques années avec les éditeurs de presse en ligne afin de trouver ensemble des moyens de mieux monétiser l’audience générée et de créer avec eux un modèle économique rentable sur Internet.
A cet égard, les nouveaux usages et le développement croissant de la lecture de la presse sous forme numérique sur smartphones et tablettes4 offrent de nouvelles opportunités. Le lancement de Google Flux d’actu (Google Current) permet aux éditeurs de presse de présenter leurs contenus de façon ergonomique et intuitive aux utilisateurs sur les mobiles et tablettes et leur permettra demain de les monétiser.
1 Note d’analyse n°253 du Conseil d’Analyse Stratégique (novembre 2011)
2 https://paidcontent.org/2012/09/26/timesunblockssearch/
3 Google parraine le prix ‘Data journalism’ avec le Global Editors Network, a conclu un partenariat avec Le Monde dans le cadre d’un échange avec des journalistes tunisiens, a créé un prix du journalisme avec l’école de journalisme de Sciences Po ainsi qu’un prix du ‘Net Citoyen’ en partenariat avec Reporters sans Frontières.
4 Etude One réalisée par Audipresse le 2 octobre 2012 : sur la période juillet 2011-juin 2012, près de 21 millions de Français sont lecteurs de presse numérique (+ 6,5 % par rapport à la vague précédente, qui portait sur 2011), dont 7 millions sur supports mobiles (+ 26 %). Une explosion qui ne nuit pas au support papier. Selon l'étude, l'audience de la presse « print » est globalement stable (+ 0,4 %), avec 35 millions de lecteurs chaque jour.