Mondialisation  : vers un désastre irréversible

Par Bertrand de Kermel Publié le 23 avril 2019 à 6h05
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@shutter - © Economie Matin

Les 27 pays de l’Union Européenne ont récemment accepté d’engager des négociations commerciales avec les Etats-Unis, tournant le dos à leur doctrine unanime : « ne signons pas d’accord de libre-échange avec un pays qui ne respecte pas l’accord de Paris sur le climat ». La France a officiellement dit non.

Les grands perdants sont les droits de l’Homme et l’environnement dont le climat

Cet accord va augmenter les émissions de gaz à effets de serre (GES) dûs aux transports de marchandises entre les deux continents, alors qu’il aurait fallu au contraire exiger dans le mandat des engagements réciproques sur la neutralité de ces émissions. L’incohérence politique est totale. La France aurait pu dénoncer ce «scandale du siècle», et rappeler que le Parlement Européen avait refusé cette négociation trois jours plus tôt, en raison de cette incohérence. Elle ne l’a pas fait.

Le message envoyé par les autorités européennes aux jeunes, (notamment aux enfants aujourd’hui en maternelle, qui auront 35 ans en 2050 et qui subiront le plus les effets du changement climatique), est donc clair : « le business à court terme passe avant le climat. Votre avenir est secondaire. Après nous le déluge ».

Avec la lâcheté en prime : les menaces de Trump ont payé. L’Europe se soumet. Il est évident que nous ne gagnerons rien dans cette négociation.

Les lobbys sont les vrais décideurs, mais ne seront jamais responsables

Quant aux lobbys, ils ne seront responsables de rien. A l’heure des comptes (car un jour il faudra rendre des comptes), ils opposeront trois arguments aux Chefs d’Etats et à la Commission européenne :

« Nous n’y sommes pour rien. Vous n’aviez qu’à dire non à ces accords dont tout le monde connaissait les effets pervers. Nul ne vous a obligé à les signer ».

Ils rappelleront ensuite que le Président du Forum de Davos écrit chaque année depuis 10 ans dans la presse, (Le Monde, Les Echos, Le Figaro) que la mondialisation est un échec collectif, que les inégalités ont atteint un niveau très dangereux, que le chômage de masse des jeunes est une bombe à retardement, et que le capitalisme ultra libéral n’est pas viable !

Dans le Figaro du 16 janvier 2017 il proposait même une autre forme d’économie, plus humaine, plus respectueuse de l’environnement et de toutes les parties prenantes. Nouvel argument des lobbys : «Nous vous avons prévenus, et avons même proposé une alternative au système ultra libéral. Vous n’avez pas bougé. C’est votre problème.

Ils enfonceront le clou en rappelant que la « Commission Schubert », nommée par le Président de la République Française en 2017 pour évaluer l’accord UE/Canada (le CETA) préconisait de très nombreuses réformes aux accords de libre-échange, au vu des défauts «patents » du CETA. Ils rappelleront également que les services du gouvernement français proposent depuis 2018 un changement radical de la philosophie de la mondialisation : en faire un outil au service du développement durable dont le climat. (Par exemple, exiger la neutralité des gaz effets de serre)

Or, diront-ils, «on ne retrouve aucune de ces propositions dans le mandat de négociation UE/ Etats Unis, et dans les autres mandats (Australie, Nouvelle Zélande etc..). Pourtant, tout ceci relève de votre seule responsabilité».

Ce sera leur troisième argument. Ils seront tous les trois imparables.

Les peuples finiront par se révolter

Les décisions des chefs d’Etats européens sont effectivement incompréhensibles.

Le Président Macron en convenait le 31 décembre 2018, déclarant lors de ses vœux :

« Nous sommes en train de vivre plusieurs bouleversements inédits : le capitalisme ultralibéral et financier, trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin ». Il a même ajouté :« Notre malaise dans la civilisation occidentale et la crise de notre rêve européen sont là ». Comme si cela ne suffisait pas, il a précisé sa pensée : « Mais nous avons aussi vécu de grands déchirements et une colère a éclaté, qui venait de loin ; colère contre les injustices, contre le cours d’une mondialisation parfois incompréhensible... »

Et il ne se passe rien. On signe toujours des accords ultra libéraux, sans neutralité des gaz à effets de serre. Tôt ou tard les peuples se révolteront lorsqu’ils prendront conscience de toutes ces lâchetés.

Bruxelles donne le sentiment de se comporter comme l’URSS des années 70. Plus le système échoue, plus il nuit aux peuples, plus il faut l’approfondir pour ça aille mieux.

Les conséquences sont très graves, car, dans l’ordre juridique mondial, le droit international (accords de libre échange, par ex) a une valeur juridique supérieure au droit européen, qui, lui-même, a une valeur juridique supérieure au droit français.

Or, les accords de libre échange sont tous d’essence « ultralibérale et financière, trop souvent guidée par le court terme et l’avidité de quelques-uns ». Toutes les clauses qui concernent les Hommes et l’environnement sont facultatives. Seules les clauses commerciales sont obligatoires. L’Homme et l’environnement sont les variables d’ajustement pour maximiser les profits.

Si aucun chef d’Etat ne provoque un séisme et un blocage salvateurs à Bruxelles, tous les accords futurs seront sur ce modèle. Cela signifie que cette dimension ultra libérale sera définitivement la règle de tous les Etats européens, car aucune loi nationale ne pourra être contraire à ces accords. « La crise de notre rêve européen » dénoncée par Emmanuel Macron lors de ses vœux sera devenue irréversible.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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