Un Brexit pour sauver l’esprit du foot européen ?

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Par Louis-Marie Valin Publié le 24 avril 2019 à 5h26
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@shutter - © Economie Matin
8Les 32 participants seraient répartis en groupe de huit afin de multiplier les chocs entre cadors et maximiser les gains télévisuels.

Encore une fois, la Ligue des Champions nous a offert un superbe spectacle avec ces 1/4 de finale. Ça tombe bien ou presque, elle pourrait bientôt prendre une place encore plus importante dans le calendrier au risque d’en perdre ses racines nationales. Sauf si les irréductibles anglais venaient à s’y opposer...

Ça y est, on connaît donc le dernier carré de la plus prestigieuse compétition de football en club et le moins que l’on puisse dire est qu’il est surprenant. Si retrouver le Barçaet Liverpool à ce niveau est habituel, on ne peut effectivement pas en dire autant pour Tottenham et l’Ajax Amsterdam. Pourtant, l’un de ces deux outsiders sera bien au Wanda Metropolitano de Madrid le 1er juin prochain. Un argument pour les opposants à la possible réforme de la compétition ? Possible.

Une réforme révolutionnaire ? Pas vraiment...

En effet, pour la première fois depuis la saison 2003-2004, la Ligue des Champions pourrait subir un lifting en profondeur à horizon 2024. Pour résumer, les 32 participants seraient répartis en groupe de huit afin de multiplier les chocs entre cadors et maximiser les gains télévisuels. De surcroît, 26 équipes seraient automatiquement qualifiées pour l’édition suivante sans prendre en compte le classement en championnat. Bref, de telles modifications institueraient une ligue quasi fermée que les ténors du continent appellent de leurs vœux depuis des lustres.

Pourtant, si de prime abord on pourrait croire à une révolution, il ne s’agit que d’une évolution, une suite logique, l’aboutissement d’un processus qu’on voit arriver depuis longtemps. Car honnêtement, ne nous voilons pas la face, la Ligue des Champions est déjà un club privé où seuls les habitués ont accès. On constate en effet que depuis 2003-2004 et l’instauration des 1/8èmes de finale, si 59 clubs différents ont réussi à passer la phase de poules, dix d’entre eux cumulent 48 places sur 60 en demi-finales et 26 sur 30 en finale ! Une véritable confiscation de la compétition qui pèse évidemment lourd au bilan comptable.

Car c’est un cercle vertueux, à force de participations et avec des dotations toujours plus importantes, ces mêmes clubs ont vu leurs revenus exploser et squattent un Top 15 que seuls les clubs sous pavillons « golfique », le PSG et Manchester City ont pu intégrer. À titre d’exemple, d’après le cabinet Deloitte, le champion du genre madrilène a fait passer son budget de 259 à 750 M€ entre 2005 et 2018. Même tarifs pour tous ces ténors qui ont largement triplé leurs revenus. En comparaison, l’Olympique de Marseille, intermittent de la compétition, n’est passé que de 90 à 150 M€ et est désormais complètement largué économiquement par Liverpool (7ème avec 513M€) alors qu’ils faisaient presque jeu égal en 2005…

Un danger sportif pour l'UEFA

Arrêtons donc l’hypocrisie, cela fait belle lurette que la Ligue des Champions est à deux vitesses. Cependant, si cette réforme ne modifierait finalement pas tant que ça les équilibres économiques, on peut s’interroger sur sa pertinence sportive à long terme. En effet, premières victimes de ce format qui verrait la LDC multiplier les matches et jouer le week-end, les championnats nationaux ne pourraient que péricliter. Ce qui serait forcément un très mauvais calcul pour le football européen tant les clubs nationaux sont les pépinières des grands clubs. Sans eux comment fournir de nouveaux talents à cette boulimique compétition qui demande toujours plus de spectacle ? Difficile à dire, la formation a un coût que des clubs sevrés de revenus médias ne pourraient plus assumer.

Mais ce n’est pas le seul écueil que pourrait avoir à affronter une LDC new look. À force de vouloir optimiser le rendement de son produit phare, l’UEFA pourrait bien le dévaloriser. Soyons clairs, c’est la rareté des chocs qui leur donne leur valeur, si les supporters se regroupent autant pour un Liverpool- Real Madrid, c’est car ce choc n’a lieu que de temps à autre, il en devient mémorable car il est exceptionnel. En multipliant les journées lors d’une phase de poule à rallonge (14 contre 6 actuellement), l’UEFA prend le risque de banaliser ces événements, les vidant dès lors de tout leur sens.

Enfin, c’est le comportement même des joueurs et des clubs qui pourraient évoluer dans le mauvais sens. Pourquoi cette compétition est à part ? En raison de sa densité. Aujourd’hui, pas de place pour les secondes chances, passer à côté d’une rencontre c’est déjà hypothéquer ses chances, d’où l’intensité hors norme de chacun de ces matches. Offrir 14 journées et quatre qualifiés par groupe, c’est donner autant de jokers aux participants, leur permettre de, pourquoi pas, choisir leurs matches. Ces impasses qui ont si souvent dénaturé notre TOP 14 de rugby pourraient ainsi faire leur apparition en Ligue des Champions au détriment du consommateur qui pourrait alors, peu à peu, se détourner le de la compétition.

On en est encore loin, et on pourra compter sur les clubs anglais pour freiner le projet, mais à l’avenir il risque d’être toujours plus difficile de laisser place à l’imprévu. Alors profitons encore de cet Ajax qui, fort de ses 85 M€ de budget (3 fois moins que l’OL), terrasse les géants du continent.

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Louis-Marie Valin est consultant expert sport. Auprès d’agences ou d’annonceurs, il intervient sur des problématiques de communication, sponsoring, événementiel ou entreprenariat. Il est également membre de l’Observatoire du Sport Business et fondateur du site sport-vox.com.

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