L’Allemagne s’inquiète de la situation française

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Par Charles Sannat Publié le 3 novembre 2012 à 8h49

En cette période, je ne résiste pas à faire le parallèle entre l’agent 007 et My name is Baroin… François Baroin.

Bon, je l’avoue, cela fait moins classe que Bond, James Bond, mais tout de même… Nous aussi nous savons lancer des opérations secrètes. Retour sur l’évènement. Qui a dit que nos ministres n’étaient pas cultivés ni créatifs. François Baroin, dans son livre Journal de crise, révèle qu’une réunion secrète a eu lieu à Bercy l’an dernier pour évoquer un scénario catastrophe : l’éclatement de la zone euro.

Nom de code de cette rencontre : "Black Swan". François Baroin admet, dans son livre, avoir travaillé sur l’hypothèse d’un éclatement de la zone euro. L’ancien ministre de l’Economie, François Baroin, publie un livre qui commence déjà à faire du bruit. Journal de crise, c’est son nom, est un carnet de bord embarqué dans les couloirs de Bercy. Le récit de son passage au Budget et aux Finances, de mars 2010 à mai 2012, au cœur de la crise de la zone euro. Et il y parle notamment d’une mystérieuse réunion. Pas de traces, pas de documents ! La réunion était totalement secrète…

À tel point que François Baroin reconnaît lui-même qu’il ne prenait aucune note. D’après l’article de BFM TV, l’ancien ministre laisse imaginer la scène. Nous sommes en novembre de l’année dernière, trois personnes de confiance assises dans son bureau. Nom de code de la rencontre: "Black Swan", en référence au livre qui a théorisé la puissance des évènements imprévisibles. Interdiction aux participants de mentionner ne serait-ce que l’existence de ce rendez-vous, même à ses proches.

Mais qu’ont-ils de si dangereux à cacher ? Réponse de François Baroin, "l’hypothèse la plus sombre de notre histoire économique moderne", à savoir le scénario d’un éclatement de la zone euro : sortie de la Grèce de la monnaie unique et effet domino sur l’économie française. C’est la première fois qu’un responsable politique français admet avoir travaillé sur cette hypothèse. Voilà qui est de nature à rassurer les plus "pessimistes" d’entre nous. Nous n’avons pas rêvé. Il y a bien un problème majeur et, effectivement, il est important de se préparer.



Mais il ne faut pas vous inquiéter. Le pire de la crise est derrière nous. Notre Président François Hollande nous l’a bien dit. Cela dit, cette information m’inspire plusieurs remarques. Ce qui est extraordinaire, c’est la capacité de nos dirigeants à déclarer publiquement certaines choses, et à faire en secret l’inverse. C’est justement pour cela qu’il faut ne faire preuve d’aucune naïveté, d’où la nécessité impérative de conserver en toutes circonstances un esprit critique affûté en regardant avec une lucidité absolue les faits.

Or, les faits, si on les regarde aujourd’hui, nous montrent clairement que rien, strictement rien, n’a changé depuis 2011, à part des promesses de dons de pays totalement surendettés dans un mécanisme européen pour tenter de sauver des pays carrément en faillite. Sinon rien. N’oubliez pas, comme le dit l’adage populaire, que les "promesses n’engagent que ceux qui y croient".

La deuxième remarque, c’est pourquoi François Baroin parle-t-il de ce sujet aujourd’hui ? C’est un homme intelligent qui a une parfaite connaissance et maîtrise de ce qu’est le concept de secret d’Etat et/ou de confidentialité ou de "réserve". C’est donc une démarche parfaitement consciente de sa part. Penser qu’il s’agit simplement de faire un "coup" d’édition me semble un peu court comme explication, de la part d’un homme dont la famille et la vie ont toujours été dédiées au service de l’État.

Monsieur Baroin n’a pas besoin de "vendre" quelques milliers de livres en plus ou en moins. Alors pourquoi ? On peut dès lors imaginer que ce type d’ouvrage et de déclarations permettent tout simplement de banaliser l’idée même d’éclatement de la zone euro. Le président de la République, lui, parle d’une Europe à plusieurs vitesses. Globalement, l’idée reste la même. Enfin, pour ceux qui ne l’ont pas lu, le livre de Nassim Nicholas Taleb, Le cygne noir : La puissance de l’imprévisible, est particulièrement remarquable et sa lecture indispensable pour bien comprendre qu’en réalité ce sont les évènements imprévisibles et hautement improbables qui façonnent le monde et nos vies.



Les prévisions à base de moyennes sont systématiquement démenties par les faits. Mais les moyennes restent le seul outil pourtant utilisé pour fonder nos décisions. L’explosion de l’euro est le "Cygne noir" par excellence. Une chose qui ne devrait pas arriver. Mais qui pourtant se produit. Le simple fait que cela soit officiellement envisagé par nos plus hautes autorités et qui plus est désigné comme étant un Cygne Noir est un… signe qu’il ne faut pas ignorer. Pendant ce temps, outre-Rhin, nos "amis" allemands commencent à s’agacer prodigieusement de notre non-vision politique et économique.

C’est un excellent article du Figaro du jeudi 1er novembre qui résume parfaitement la situation. Le Figaro revient longuement sur la "Une" du grand quotidien populaire allemand Bild, qui pose la question qui fâche : la France est-elle en train devenir la nouvelle Grèce ? Officiellement, les relations sont au mieux. Mais, en coulisses, conseillers et anciens dirigeants critiquent les décisions économiques de Paris. Une fois encore, c’est le grand quotidien populaire Bild, qui saute dans le plat à pieds joints.

"La France est-elle en train de devenir la nouvelle Grèce ?", s’interroge le journal. La question provocatrice lancée comme un signal d’alarme est volontairement outrancière. Cependant, elle traduit le malaise réel des élites allemandes et du gouvernement d’Angela Merkel à l’égard de leur grand voisin : la France est devenue un sujet d’inquiétude en Allemagne. S’exprimant lors d’une conférence organisée par l’institut sur l’avenir de l’Europe – fondé par le milliardaire Nicolas Berggruen – l’ancien chancelier social-démocrate, Gerhard Schröder, n’a pas mâché ses mots.

Il a taclé ses camarades socialistes français, comparant la France d’aujourd’hui à l’Allemagne de 2003, alors considérée comme "l’homme malade de l’Europe". Schröder l’avait sortie de l’ornière grâce à sa cure de réformes libérales, "l’Agenda 2010". "Les promesses de campagne du président français finiront par se fracasser sur le mur des réalités économiques, a-t-il prévenu. Si le refinancement de sa dette devient plus difficile ce sera le début des vrais problèmes pour la France".



Ainsi, pour Schröder l’avancement de l’âge de la retraite est "simplement le mauvais signal", "pas finançable". La pression fiscale aura pour effet, selon lui, non seulement de provoquer une fuite des capitaux, mais conduira à un effondrement du financement des emplois en France. "Deux ou trois mauvais signaux et nos amis français seront rattrapés par les réalités", lance Schröder à ses camarades à Paris. Bild enfonce le clou en citant "25 % de chômage des jeunes", "5 % de déficit budgétaire", "zéro croissance", "climat des affaires au plus bas depuis trois ans", sans oublier la "crise lourde de l’industrie automobile"… "La France se finance encore dans de bonnes conditions sur les marchés, mais les chiffres de son économie rappellent les États du Sud en crise."

Et le journal de lancer un appel à Hollande pour "mener enfin des réformes courageuses". Pour Bild, il s’agit d’éviter que la "Grande Nation ne devienne aussi pauvre que les Grecs fauchés". L’ancien chancelier a lancé de vive voix les inquiétudes que le gouvernement Merkel n’ose formuler publiquement. À la Chancellerie et dans les grands ministères à Berlin, l’invitation à commenter officiellement la situation en France se heurte systématiquement à un refus teinté d’un rictus angoissé. Mais en privé, quelques langues se délient.

"Bild est dans l’exagération, tempère un responsable placé au cœur du pouvoir berlinois. La France, ce n’est ni la Grèce, ni l’Espagne, ni l’Italie. Mais ce qui s’y passe est inquiétant. Hollande donne une impression d’Alice au pays des merveilles. Idéologiquement, il s’est isolé de ses voisins, qui mènent des réformes structurelles courageuses. Mais il réalisera tôt ou tard que la France ne peut échapper aux lois de la physique."

Les économistes allemands les plus écoutés par le gouvernement sont unanimes. Le cocktail de hausses d’impôts et de trop timides coupes dans les dépenses de l’État étouffera la croissance en France et provoquera du chômage. "Ils nous disent tous que seules les réformes structurelles et la discipline budgétaire peuvent impacter positivement la croissance et l’emploi", poursuit le responsable. Les recettes des économistes allemands, pour créer un choc de compétitivité en France : "baisser le coût du travail", "abolir les 35 heures", "augmenter la flexibilité", "mettre fin aux avantages des fonctionnaires trop privilégiés par rapport aux emplois précaires", "réduire le poids de l’État dans l’économie", "lever les barrières à la concurrence", "baisse des impôts", "réforme du système social, notamment les retraites".



Les responsables allemands soulignent les "extraordinaires atouts" de la France. "Grâce à son fort taux de natalité, elle n’a pas besoin de faire autant d’efforts que nous, qui sommes frappés par la dépopulation, explique l’un d’entre eux. Cela lui offre un bonus de croissance de l’ordre de 1 % par rapport à l’Allemagne." Mais Berlin redoute surtout que la politique de Hollande ne finisse par saper la dynamique des réformes structurelles et de la discipline budgétaire en Europe. "S’il persiste dans ses choix hasardeux, s’inquiète-t-on dans la capitale allemande, Hollande finira par donner raison à ceux qui, en France et en Europe, affirment que ces remèdes cassent la croissance et l’emploi."

En clair, nos "amis" allemands sont furieux de notre manque de courage et de vision. Ils ont raison. Cela n’est pas nouveau. Nous aurions bien tord de blâmer exclusivement François Hollande. Nous sommes tous coupables collectivement et ce, depuis une bonne trentaine d’années. Nous ne faisons rien. Rien. Toujours plus de dépenses. Toujours plus d’impôts. Toujours plus de décentralisation pour satisfaire les ambitions (et le pouvoir d’achat) d’une classe politique régionale de plus en plus pléthorique. Toujours plus d’aides sociales pour tous. Le RSA, les CAF, l’allocation de rentrée scolaire qu’il faut même augmenter de 25 % cette année !! Absurde.

Toujours aucune réforme de notre droit social ou du travail dont les "codes" ne font que voir leur nombre de pages s’élever d’année en année. Toujours aucun effort sur les régimes spéciaux, étrangement absents de tous les débats. Nous sommes un peuple qui manque cruellement de courage. Nicolas Sarkozy a perdu cinq ans à s’agiter pour pas grand-chose, sans s’attaquer aux maux profonds qui rongent l’économie française.

Jacques Chirac, malgré toute la sympathie que je porte à l’homme, fut un roi fainéant. Quant au règne de Tonton 14 (ans), seul subsiste de son œuvre quelques somptueux bâtiments et… une monnaie unique qui désormais prend l’eau de toute part. Notre pays est, sous nos yeux, en train de s’enfoncer dans l’abîme. Vous pouvez ne pas le voir, ou plutôt ne pas vouloir le voir, mais la réalité va nous rattraper et très vite.

Préparez-vous. Le temps nous est désormais compté. Nous sommes le principal de l’Europe. L’Espagne, l’Italie et la Grèce ont toujours été et seront toujours des pays du Sud. La France pouvait se placer dans le peloton de tête et l’euro, notre monnaie unique, est fondamentalement basée sur la convergence des économies françaises et allemandes. Nous ne rattraperons plus l’Allemagne. L’euro est donc mort. 1992-2013… ci-gît l’euro, monnaie unique.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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