En attendant l’élection américaine – mais ça y est, nous tenons le bon bout et nous serons très bientôt fixés –, deux choses dominent l’actualité dans notre pays.
En fait, une chose domine : le fameux rapport Gallois sur la compétitivité. Nous allons y revenir. L’autre information, c’est le problème que pose la sous-valorisation de la monnaie chinoise pour notre Président. Notre AFP nous apprend donc aujourd’hui que "le président français François Hollande a plaidé lundi pour une réévaluation de certaines monnaies asiatiques, critiquant "une concurrence déloyale" en particulier de la part du yuan chinois, considéré comme bien en dessous de sa valeur. "Nous devons être compétitifs mais faut-il encore que l’échange soit juste, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale", a-t-il déclaré à la presse en marge du sommet Asie-Europe (Asem) au Laos, dénonçant des "coûts de main-d’œuvre" très bas et la faiblesse artificielle de certaines monnaies.
Des voix critiques aux États-Unis et dans d’autres pays développés accusent la Chine de maintenir volontairement la valeur de sa monnaie à un niveau faible, pour pouvoir exporter plus facilement ses produits. "Une partie des pays d’Asie, et notamment la Chine, a des monnaies qui ne sont pas convertibles. Nous devons faire en sorte qu’il y ait une réforme du système bancaire international et que nous puissions avoir des échanges qui soient mieux équilibrés", a ajouté M. Hollande. "La France doit faire des efforts de compétitivité mais en même temps l’Asie doit également comprendre que nous devons rééquilibrer nos échanges commerciaux", a-t-il dit.
Pointant de nouveau Pékin du doigt, il a ajouté : "Le déficit entre la France et la Chine, c’est 27 milliards d’euros par an, c’est-à-dire près de 40 % de notre déficit commercial. Nous ne pouvons pas l’accepter." Le yuan, aussi appelé "renminbi" ("monnaie du peuple"), s’est apprécié de plus de 5 % par rapport au dollar ces deux dernières années, alors que la Chine essayait de combattre l’inflation. Il s’est renchéri de 30 % depuis 2005, lorsque Pékin a relâché son emprise sur sa monnaie."
Voilà qui est une déclaration bien forte. Pour tout vous dire, lorsque j’ai lu le titre de cette dépêche, j’ai commencé par insulter de noms d’oiseaux polis (rassurez-vous) l’auteur des déclarations. Pas de mauvais procès, ce n’est pas parce qu’il est socialiste. C’est parce que ce titre est stupide. Cela l’est tout autant lorsque la monnaie chinoise est mise au centre du débat par un Obama ou son administration, puisque fondamentalement, la compétitivité chinoise n’est pas liée à la valeur de sa monnaie.
L’essentiel de la compétitivité chinoise, ce sont des coûts de production faibles liés à une main-d’œuvre sous-payée et qui ne dispose d’aucun droit social ou presque. La valeur du yuan joue sur la compétitivité chinoise évidemment mais à la marge. Or le Président Hollande a tout simplement osé l’impensable. Repassons le film au ralenti : "Nous devons être compétitifs mais faut-il encore que l’échange soit juste, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale dénonçant des "coûts de main-d’œuvre" très bas et la faiblesse artificielle de certaines monnaies."
Et de rajouter : "Le déficit entre la France et la Chine, c’est 27 milliards d’euros par an, c’est-à-dire près de 40 % de notre déficit commercial. Nous ne pouvons pas l’accepter !!" Sur le constat, je suis d’accord. Nous ne pourrons jamais être compétitifs comme les Chinois, JAMAIS. Dès lors, la libre concurrence, dans un tel contexte, est une absurdité économique. Enfin, une absurdité pour notre économie, car pour l’économie chinoise c’est parfait. Le problème c’est que faire ?
Nous sommes désormais dans un état de dépendance technique et d’approvisionnement total. Soit les produits dont nous avons besoin viennent de Chine, soit les composants dont nous avons besoin viennent de Chine, soit les "terres rares" dont nous avons besoin viennent de Chine. Bref, nous avons besoin de la Chine. Nos grandes entreprises, nos grandes enseignes ne fonctionnent que grâce à la Chine. NON, la démondialisation ce n’est pas facile ! Ne vous méprenez pas. Je ne défends pas la Chine. "Moi Président" comme l’a dit récemment quelqu’un, nous aurions gardé des barrières douanières… ou pas. Non, ce que je veux dire, c’est que nous sommes allés tellement loin dans la mondialisation qu’imaginer une démondialisation facile, douce et heureuse me semble illusoire.
La démondialisation ne peut se faire que suite à un choc majeur. Une démondialisation sera brutale, violente. Elle nous conduira à connaître de nombreuses pénuries. Plus d’iPhone (voilà une bonne nouvelle), plus d’iPad, d’iPod, et d’iTruc… mais également plus de chaussures pendant quelques années, le temps que nous soyons capables de rebâtir des filières entières de production. Pour autant, peut-on penser que la négociation puisse fonctionner ? Les Chinois ont apprécié le yuan de 5 % en deux ans… Ridicule !
Il n’y a rien à attendre des Chinois. RIEN. La stratégie chinoise, parfaitement intelligente et compréhensible de leur point de vue, consiste à nous donner un petit os à ronger quand on commence, nous autres occidentaux ruinés, à râler un peu trop fort… Et hop, on apprécie le yuan de 2 % !! Vous avez vu les efforts consentis ? Ils peuvent aussi faire des efforts sur leurs salaires… Ils augmentent leurs salariés de 50 % !! Extraordinaire s’écrient les commentateurs ! Bon, c’est vrai qu’avant, ils gagnaient (les Chinois) 40 € et que là, ce sera 60 € / mois. Vous imaginez à quel point notre smicard d’ici gagne en compétitivité !! Stupide.
Tout ça pour dire que, finalement, la démondialisation sera sans doute aussi douloureuse que le désendettement et qu’il n’y aura aucun chemin facile. Cela nous ramène donc assez facilement vers le sujet de la compétitivité, point central de réflexion de Monsieur Gallois. Compétitivité : Gallois veut un "choc", un "pacte" et du "patriotisme".
Louis Gallois recommande un "choc de confiance" et préconise, dans son rapport remis lundi au gouvernement, 22 mesures dont une baisse de 30 milliards d’euros du coût du travail décomposée en 20 milliards de baisse des cotisations patronales et 10 milliards de baisse des cotisations salariales. Pour financer tout cela, il faudrait augmenter la TVA d’au moins un demi-point en la passant à 20 % et augmenter la CSG de 2 points, le tout sur deux ans comme l’envisagerait le gouvernement. L’aspect patriotique m’a beaucoup fait rire.
La gauche, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a toujours tiré à boulets rouges sur l’idée de patriotisme. Un patriote est forcément un imbécile fasciste… et généralement votant à droite. Il n’y a rien de plus ringard que le patriotisme dans l’esprit des "gauches" post-soixante-huitardes. La construction européenne a toujours eu pour vocation de dissoudre les États-nations. Bref, l’incantation du retour au patriotisme me fait beaucoup rire jaune. Sans même parler du mépris affiché envers ceux pour qui l’argent n’est pas tout mais pour qui l’engagement compte beaucoup… eux aussi sont des ringards et, au mieux, des bêtas utiles…
Alors l’appel au patriotisme, c’est juste facile, et une façon d’éviter les vrais problèmes qui fâchent. "Soyez patriote, acceptez de vous faire tondre" serait un message plus honnête. Bon, on parle beaucoup de la compétitivité ces derniers temps. Mais rarement sous l’angle de la monnaie unique. La zone euro a été conçue pour favoriser les échanges entres pays européens et éviter les problèmes de changes et les distorsions de compétitivité que les monnaies pouvaient provoquer.
Or, objectivement, si nous baissons nos charges sociales de 30 milliards d’euros, cela revient à faire, par rapport à nos voisins, une dévaluation compétitive. Je ne suis pas contre, bien au contraire. Je dis juste que si tout le monde commence à baisser son coût du travail pour être plus compétitif, nous allons aller jusqu’où ? À partir de quel point cela deviendra une absurdité économique et politique ? Les Espagnols vont le faire, après que les Grecs et les Italiens aient déjà commencé la même politique. Nous risquons d’entrer dans une spirale infernale…
En fait, on y est déjà entré. Le débat sur la compétitivité et la baisse de nos coûts salariaux marque en réalité le commencement pour notre pays d’une spirale qui conduira à la déconstruction rapide de tout le système d’Etat providence… comme en Grèce. Cette politique est un élément à part entière de la rigueur… Ce n’est pas une critique, c’est un simple fait et les perspectives d’une course à la compétitivité ne sont pas réjouissantes.