Guerre des monnaies : le pacifisme de l’euro ne paye pas

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Par Jean-Paul Betbèze Modifié le 4 février 2013 à 2h03

Les Etats-Unis ont décidé de sortir de la crise les premiers, eux qui y étaient entrés les premiers (et pour cause), avec l’idée que le premier sorti ne facilite pas la tâche aux suivants. Pour cela, ils ont baissé leurs taux courts, jusqu’à zéro, en disant que ceci durerait tant que l’inflation ne dépasserait pas 2,5% et que le chômage resterait inférieur à 6,5%. Ils ont ensuite acheté des bons d’état et des bons de financement de l’immobilier pour faire baisser les taux longs. Résultats de ces efforts, les taux courts et longs baissent, les salaires baissent avec le chômage et le prix de l’énergie baisse avec le gaz de schiste. L’économie privée peut donc repartir. Dans ce contexte, comme la rémunération du dollar baisse, et que la Banque centrale en imprime, le taux de change du billet vert baisse… avec l’idée de faire monter le Yuan. Les politiques américains sont clairs dans ce choix.

Le Yuan voit la manœuvre, puisque son taux de change est « géré » par les autorités politiques. La Chine a accepté de faire monter son taux de change, mais à son rythme, pas tout à fait celui que veut M. Obama… Politiques chinois contre politiques américains.

Donc si le dollar baisse en rémunération et que les autorités en expriment le souhait, et si le Yuan ne peut monter que graduellement, c’est aux autres monnaies de monter. C’est alors que le Japon poursuit ses refinancements par la Banque centrale à taux zéro et ses achats illimités de bons du Trésor, plus des financements sectoriels spécifiques. Autrement dit, les autorités politiques japonaises qui viennent de sortir des urnes ont décidé d’une politique très violente de baisse du Yen. Il s’agit pour elles de sortir de la crise structurelle du pays, de cette déflation qui peut le faire exploser financièrement, économiquement, politiquement, socialement. Politiques japonais contre politiques chinois contre politiques américains.

Le Royaume-Uni entre dans le débat, avec des problèmes particuliers. Il flirte en effet avec un triple dip, son Premier ministre parle de sortie de la zone euro, les liens avec les Etats-Unis sont décisifs, ceux avec la Chine prometteurs, ceux avec la zone euro… géographiques. Moralité : le Royaume-Uni lie la livre sterling au… dollar. Politiques japonais contre politiques chinois contre politiques américains plus anglais.

Le drame, c’est que la politique de change des Etats-Unis est claire : c’est le Secrétaire d’Etat au trésor, Jack Lew, successeur de Timothy Geithner, qui s’en occupe. Les politiques chinois parlent aussi clairement du Yuan. Le premier ministre japonais, Shinzo Abe, parle plus clairement encore du Yen. David Cameron agit sur la Livre. Partout, les politiques ont pris plus nettement que jamais le pouvoir sur les changes. Ils l’ont dit. Les marchés financiers ont compris le message.

Pas en zone euro. L’euro ne parle pas. Au début, Monsieur Trichet se nommait lui-même « Monsieur Euro », à la suite de son prédécesseur qui avait pris le titre. Les politiques n’ont rien dit. Aujourd’hui, Mario Draghi a beaucoup de poids, mais il ne paraît pas se soucier du change. Il se dit qu’il doit éviter l’explosion de la zone, et qu’appeler à la baisse de l’euro peut ne pas aider… Mais ce n’est pas à lui de se charger de ce souci politique, c’est aux politiques. Qui pour donner de la voix ? Plutôt le Président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, successeur de Jean-Claude Juncker, car le Président du Conseil européen (Herman van Rompuy) ou les trois Présidents du Conseil de l’Union Européenne qui se succèdent et « fonctionnent » en large part ensemble ne le peuvent, car ils ne traitent pas de la zone euro ! Or le Président de l’Eurogroupe est toujours soucieux d’une Allemagne qui ne veut pas d’un appel à la « stabilisation » de l’euro. Alors, il ne dit rien. Jusqu’à quand ?

Nous vivons une période grave, celle où les pays se battent par les changes pour se sortir de la crise et celle où la partie aujourd’hui la plus fragile de l’économie mondiale, la zone euro, ne dit rien. Elle paye, cher, le prix de son silence. Ceci ne peut durer : il faut un Monsieur/Madame euro, qui fonctionne avec la BCE, pour assurer la croissance et l’emploi, et la lutte contre l’inflation. Aujourd’hui, il s’agit d’éviter la rechute – autrement dit la déflation, et d’empêcher d’être les derniers à sortir de la crise. La partie n’est pas gagnée. En période de guerre de changes, le pacifisme ne donne jamais rien.

Jean-Paul Betbèze

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Jean-Paul Betbèze est PDG de Betbèze Conseil, membre de la Commission Economique de la Nation et du Bureau du Conseil national de l'information statistique (France), du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Professeur d'Université (Agrégé des Facultés, Professeur à Paris Panthéon-Assas), il a été auparavant chef économiste de banque (Chef économiste du Crédit Lyonnais puis Chef économiste & Directeur des Etudes Economiques, Membre du Comité Exécutif de Crédit Agricole SA) et membre pendant six ans du Conseil d'Analyse économique auprès du Premier ministre. Il est l'auteur des ouvrages suivants:· "Si ça nous arrivait demain..." aux éditions Plon, Collection Tribune Libre· "2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France" aux Editions PUF, 2012.. "Quelles réformes pour sauver l'Etat ?" avec Benoît Coeuré aux Editions PUF, 2011.. "Les 100 mots de l'Europe" avec Jean-Dominique Giuliani aux Editions PUF, 2O11. "Les 100 mots de la Chine" avec André Chieng aux Editions PUF, 2010. Son site : www.betbezeconseil.com

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