Dans la perspective du passage à un système de retraites unifié, la question des provisions existantes se pose pour les régimes qui ne sont pas étatisés, comme l’AGIRC-ARRCO et les caisses des professions libérales. Elle se pose également pour le secteur public, puisque le Fonds de réserve des retraites (FRR) gère un portefeuille qui, depuis 2010, oscille entre 35 et 40 Md€. Ajoutés aux quelque 70 Md€ de l’ARRCO-Agirc et à la trentaine de milliards que représente le cumul des provisions des caisses de professions libérales on arrive probablement à un peu plus de 130 Md€.
Thierry Benne, dans un récent article de l’IREF-Europe, rappelle ces chiffres bien connus des économistes qui travaillent sur les retraites dites par répartition, et il s’inquiète naturellement du sort que la réforme en cours réserve à ce pactole. Va-t-on s’en servir pour « boucher les trous », en remplacement par exemple des subventions que l’Etat accorde à divers régimes spéciaux ? Cette inquiétude est d’autant plus légitime que l’ARRCO et l’AGIRC ont donné l’exemple en la matière : avant leur fusion elles ont utilisé une fraction de leurs provisions pour compenser l’insuffisance des rentrées de cotisations (ou l’insuffisance des mesures d’économie en matière de prestations). Ceci étant, il faut comprendre quel est logiquement le rôle des provisions dans un régime de retraites par points unifiant la quarantaine de régimes qui existent actuellement.
Les provisions, outil de relance en cas de dépression
Un tel régime remplit une fonction de service public : il constitue un régulateur conjoncturel. Autrement dit, lorsque l’activité économique progresse, faisant rentrer des cotisations supérieures aux prestations versées, le régime en profite pour renforcer ses provisions, conformément à la sagesse séculaire personnifiée par la fourmi de Jean de La Fontaine, afin de pouvoir maintenir les pensions lorsque viendra « la bise » - une baisse de l’activité et des cotisations. Ce rôle est extrêmement utile : la demande, soutenue par cet usage des provisions, est moins déprimée, l’activité et l’emploi diminuent moins, la reprise s’effectue plus facilement.
Les provisions, nécessaires pour des retraites « à la carte »
Les provisions auront un deuxième usage si, comme je l’espère (hélas, sans trop y croire) la réforme en cours est intelligemment libérale, c’est-à-dire rend possible des liquidations partielles, le cumul emploi-retraite, la récupération de points en cas de reprise d’activité permettant de réduire la partie « pension » du revenu, et quelques autres assouplissements du même genre, par exemple pour remplacer notre système archaïque de pensions de réversion.
En effet, si à un moment donné il y a davantage de travailleurs qui prolongent leur activité, les cotisations excèderont les pensions, et les provisions grossiront. Et si, ultérieurement, on assiste inversement à des départs plus précoces, ce qui veut dire moins de cotisations en entrée et plus de pensions en sorties, il faudra puiser dans les provisions. La liberté donnée aux assurés sociaux de gérer leur vie comme ils l’entendent sera organisable dès lors qu’aura été mise en place une règle claire et nette de neutralité actuarielle ; simplement, elle posera un problème de trésorerie, qu’il est bien plus sage de résoudre en puisant dans des provisions à certains moments et en les reconstituant à d’autres, plutôt qu’en ayant recours à l’endettement.
Consacrer une fraction des provisions actuelles à la dotation initiale de fonds de pension.
Certains régimes, particulièrement parmi la douzaine de caisses de professions libérales, ont accumulé des provisions très confortables, qui ne se comptent pas en mois de prestations à servir, comme à l’ARRCO-AGIRC, mais en années. Certes, cette mise en réserve a le plus souvent été grandement facilitée par l’accroissement des effectifs de la profession concernée (avocats, ou médecins, ou experts-comptables, etc.). Mais un comportement de fourmi ne doit pas être puni sous prétexte qu’amasser des provisions n’était guère difficile.
Pour ces caisses, dont certaines détiennent un « magot » représentant un bon nombre d’années de prestations, il serait logique qu’une bonne partie de leurs provisions servent à faciliter la mise en place de régimes supplémentaires en capitalisation. Que chaque profession veuille avoir son propre fonds de pension, ou que certaines se réunissent pour constituer un fonds de taille plus importante, aux intéressés de décider. En revanche, il faut que les pouvoirs publics renoncent à s’emparer d’actifs dont l’accumulation a pu être facilitée par une démographie professionnelle croissante, sans pour autant cesser d’être méritoire !