Entre l’indispensable maîtrise de nos finances publiques, la nécessaire restauration de la compétitivité de notre économie et la dure dictature des faits dans la gestion des crises industrielles, la gauche peine à définir quelques priorités qui lui permettraient de théoriser sa politique économique. Pourtant, la gauche serait utile à l’économie en optant pour un capitalisme régulé, tournant le dos à un « laisser faire, laisser aller » qui n’a plus de pertinence dans l’économie mondialisée. Et la droite n’étant pas allée assez loin dans cette direction, on est en droit d’attendre du Gouvernement actuel qu’il s’attèle à théoriser les contours d’un libéralisme régulé. A cette fin, il convient d’identifier les trois dysfonctionnements majeurs qui pénalisent le dynamisme entrepreneurial, en particulier en France, et qui doivent être la cible d’une régulation plus systématique et structurée : il s’agit des abus de position dominante, des conflits d’intérêts et de l’enrichissement sans cause.
Les abus de position dominante sont très efficacement combattus par l’Autorité de la Concurrence, qui sanctionne comme il se doit des abus manifestes, mais combien de PME parviennent à tenir 3 à 5 ans – ou plus –, le temps que les procédures arrivent à leurs termes ? De nouveaux instruments plus efficaces doivent permettre de combattre les tentations oligopolistiques qui nuisent à l’économie française et pénalisent l’éclosion d’innovations et de « jeunes pousses ». Il doit se mettre en place en France une logique de filières dans les télécoms, le bâtiment, l’énergie, l’environnement,… alliant la force de frappe de grands groupes de taille mondiale et l’agilité novatrice d’un tissu de PME performantes, dans une logique de partenariat.
C’est cette alliance nouvelle qui permettra de faire émerger les entreprises de taille intermédiaire, ces ETI dont la France manque, en comparaison avec l’Allemagne dont le dynamisme économique repose sur ces acteurs innovants. A cet égard, il conviendrait de porter un regard très vigilant sur la manière dont certains grands groupes rentrent au capital de PME pour les étouffer et enterrer les innovations dont elles sont porteuses, comme semblent l’illustrer les démêlés de la Compagnie du Vent avec son nouvel actionnaire GDF Suez. Un Gouvernement de gauche peut contribuer à cette mutation de notre culture industrielle et économique et légiférer utilement pour mettre un terme à des pratiques prédatrices.
Autre fléau : les conflits d’intérêts, qui sont aussi essentiels à combattre en économie qu’en politique. On ne peut pas être à la fois pharmacien et laboratoire, on ne peut pas être fabricant d’isolants et se voir confier la définition des normes sur l’isolation, on ne peut pas être distributeur et chercher à privilégier ses propres produits, on ne peut pas vouloir contrôler, comme Google, des réseaux ou des plateformes Internet et vouloir favoriser les ressources en débit au profit de ses propres services… ou du moins, toutes ces situations exigent d’être régulées grâce à des instruments efficaces. Les conflits d’intérêts sont légion, et ces entrecroisements intersectoriels représentent une menace pour le développement d’entreprises indépendantes. Un Gouvernement de gauche est dans son rôle en étant vigilant face à de tels effets pervers et en mettant en place des garde-fous adaptés, si nécessaire à l’échelle européenne.
L’enrichissement sans cause représente enfin une autre faille du système capitaliste à laquelle la gauche prétend vouloir s’attaquer. A juste titre. Mais inutile de vouloir s’en prendre, avec un scalpel fiscal, à des distinctions spécieuses, entre bons investisseurs vertueux opposés aux méchants spéculateurs, comme prétend le faire la Loi de Finances pour 2013. Le seul résultat engendré par la complexité du dispositif qui en découle est la paralysie radicale de tout investissement dans notre pays.
En revanche, lorsque la BCE prête aux banques européennes 500 milliards d’€uros à 1 % le matin, et que les banques placent cet argent en obligations d’Etat à 5 % environ l’après-midi, n’y a-t-il pas une indécence dont tous les Etats européens sont complices et qu’un Gouvernement de gauche serait légitime à vouloir corriger ? Lorsque des Conseils d’Administration où s’entrecroisent les cumuls de mandats (encore les conflits d’intérêts !) sont seuls responsables de primes abusives qui ne s’expliquent que par des collusions inavouables, n’est-il pas temps de s’interroger sur la bonne gouvernance des entreprises, qui aurait pu faire l’objet d’un chapitre du Rapport Jospin ? Quand des dizaines de milliards d’€uros sont siphonnés par des sociétés financières qui ne font que programmer des ordinateurs pour intervenir quelques microsecondes sur les marchés financiers, en engrangeant des marges à l’échelle mondiale : quelle est leur plus-value qui justifie une captation aussi déraisonnée de valeur ?
Faire progresser la régulation du capitalisme représente l’utile ambition d’un libéralisme de gauche, là où le laisser-faire absolu est à l’image d’un réseau de circulation routière sans feux rouges, débouchant nécessairement sur la loi du plus fort, entrainant son lot prévisible de catastrophes de grande ampleur. Mais on ne régule pas la circulation routière en plaçant des dos-d’âne tous les 20 mètres ! Avec les excès idéologiques, on paralyse la circulation des richesses, alors qu’une régulation bien ajustée permet au contraire de la fluidifier.
Il est temps pour la gauche au pouvoir de ranger les symboles et les slogans qui satisfont à un romantisme anticapitaliste mais qui risquent de paralyser l’économie, pour véritablement accomplir la tâche qui lui revient, consistant à mettre en place quelques instruments de régulation efficace, destinés à stimuler l’économie française. La démonstration serait ainsi faite que la gauche ne représente pas nécessairement une entrave au libéralisme, mais que par des instruments de régulation pragmatiques et ajustés, elle peut être un atout pour dynamiser l’économie de marché.