Dans leur livre devenu déjà classique sur les crises financières, Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff recensent 250 crises financières depuis 1800, et encore, ils ne recensent que les crises liées à la dette souveraine ! Malheureusement, notre faible persistance rétinienne agit de telle manière que nous avons tendance à oublier les crises du passé et à penser que, chaque fois, nous faisons face à une crise unique et jamais vue dans l’histoire ; cela est bien inexact ! C’est la raison pour laquelle une étude des crises d’autrefois et un simple retour sur image peuvent être salutaires pour nous permettre de mieux appréhender comment se déroulent les crises et ce qui nous attend.
Premier point, la confiance. Sans confiance, pas de système monétaire stable, c’est aussi simple que cela. Mais d’ailleurs, qu’est-ce que la confiance ? Pourquoi se donne t-elle parfois et se refuse t-elle souvent ? Pourquoi Napoléon pu t-il mettre fin à une crise monétaire ininterrompue depuis des décennies en créant le Franc Germinal, qui sera la référence… jusqu’en 1927 ? Pourquoi le Dr Schacht rétablit-il la confiance à la fin de 1923 en créant le Rentenmark, qui mettra fin à l’épouvantable hyper-inflation allemande du début de la République de Weimar ?
Nous savons aujourd’hui, grâce aux mémoires de sa secrétaire, Fraülein Steffeck, qu’Hjälmar Schacht ne fit rien d’autre que téléphoner dans toute l’Allemagne et aux quatre coins du monde, mais que cela suffit pour rendre au peuple allemand foi dans sa monnaie. Autre exemple, Franklin Roosevelt ; le 4 mars 1933, quand Roosevelt devient président des Etats-Unis, le système bancaire américain est au bord de l’implosion et les banques sont fermées dans 28 états. Le 12 mars, Roosevelt donne sa première « causerie au coin du feu », au cours de laquelle il parle au peuple américain avec des mots simples : « Quand vous déposez votre argent dans une banque, dit-il, elle ne le met pas dans un coffre. Elle investit cet argent, le fait travailler. Je sais que vous êtes inquiets, mais je peux vous assurer, mes amis, qu’il est plus sûr de mettre votre argent dans les banques qui rouvriront que sous votre matelas ».
Ces quelques mots de bons sens suffiront à convaincre : le lundi 13 mars, quand les banques rouvrent, des queues ininterrompues se forment à leurs portes ; mais, oh miracle, c’est pour y déposer de l’argent, pas pour en retirer ! Le pari avait été gagné ! Encore un exemple avec le franc Poincaré : en 1928, en pleine crise monétaire, Raymond Poincaré augmente les impôts de 12 milliards, coupe à tout va dans les dépenses, fermant, par exemple, 106 sous-préfectures ! Puis, il dévalue le franc de 80 %, qui devient le « franc à 4 sous », car il en valait 20 avant la dévaluation ; qu’une monnaie dévaluée de 80 % passe alors pour une monnaie forte n’est pas le moindre des paradoxes, mais c’est pourtant ce que réussira Poincaré !
Qu’en est-il dans la crise actuelle ? Avons-nous enfin trouvé un homme d’état à la hauteur du défi ? En effet, il est légitime de se demander si Mario Draghi n’est pas en train, à son tour, de réussir l’impossible : rendre confiance dans la monnaie unique ; car le simple fait de dire que la BCE fera « ce qui est nécessaire » pour rétablir la confiance, c’est-à-dire, en l’occurrence, racheter de la dette souveraine en quantité quasiment illimitée dans le marché secondaire, peut permettre de réussir ce tour de force. Et la confiance est en voie de revenir, l’euro devenant même trop fort !
Deuxième point, il faut expliquer les politiques menées et rendre l’effort équitable. Certes, les politiques d’austérité menées en Europe sous les auspices du FMI et de l’Union européenne ont convaincu les marchés que, cette fois, les gouvernements étaient vraiment sérieux. Mais les peuples en sont-ils, eux, convaincus ? A t-on peur de leur dire la triste vérité, c’est-à-dire qu’une dette de 100 % du PNB est insoutenable à terme, et qu’il convient de la résorber coûte que coûte ? Jusqu’où la patience des grecs, des portugais, des espagnols, pourra t-elle être testée ?
N’oublions pas les leçons de Solon qui, en 594 avant JC, mena une politique de réformes audacieuse, pratiquant un « haircut », c’est-à-dire un abandon de créance généralisé, de 30 %. S’il a pu le faire, et si ses réformes furent acceptées, ce fut en raison des efforts d’explications entrepris, et parce que ces réformes firent peser le poids des sacrifices d’une manière équitable.
Le « déficit » de démocratie dont souffre l’euro est sans doute une des raisons de la résistance qu’il rencontre et de la popularité des anciennes monnaies, le Deutsche Mark en priorité, dans les opinions publiques lassées ; que des technocrates non élus puissent, depuis Bruxelles, imposer leur politiques et leurs point de vue, à des peuples qui n’ont, somme toute, pas grand chose à dire dans cette affaire, ne renforce pas l’euro, bien au contraire.
Explication, démocratie, équité, un rapide tour d’horizon des crises monétaires du passé illustre bien que les grands principes n’ont pas changé depuis 2 500 ans. Sans eux, pas de confiance, sans confiance, pas de stabilité monétaire : c’est une équation simple, mais redoutable.