La France est dans le déni. Cette vérité désagréable nous est assénée quasi-quotidiennement par la presse internationale, les agences de notation et les gouvernements de nos partenaires européens, malgré le débat balbutiant sur la compétitivité de notre économie.
Déni des réalités économiques de la mondialisation et des efforts gigantesques nécessaires pour s'y adapter, déni des rigidités et des corporatismes qui étouffent la concurrence et l'innovation (dans lesquels la multiplicité de lobbies patronaux porte une lourde responsabilité), peur du changement et déni des mutations technologiques et sociales qui promettent pourtant un avenir meilleur.
Nulle part ce déni est plus fort et dommageable - catastrophique même - pour la France qu'en matière d'énergie. Le révélateur en est le débat sur la transition énergétique et la guerre qui vient d'être déclarée au solaire photovoltaïque. Oui, au solaire, cette énergie universellement reconnue comme étant la clé de l'avenir énergétique de la planète, soutenue par plus de 90% de nos concitoyens et désormais compétitive, oui, compétitive, grâce aux progrès technologiques et industriels qui se sont accélérés ces dernières années.
Avec un sens choisi du timing (lancement du débat sur la transition énergétique et de la conférence de Doha sur le climat), sans aucune concertation ni souci de l'impact de cette instabilité brutale sur la perception de la France par les investisseurs étrangers, l'administration a annoncé le 5 novembre dernier un projet de baisse rétroactive du tarif photovoltaïque de base de 20% à 84 €/MWh, soit 56% de moins que le prix auquel viennent d'être attribués les appels d'offre éoliens offshore. Une annonce curieusement peu rapportée par la presse, malgré une jacquerie montante dans les territoires, partout en France : maires, députés, sénateurs, conseillers régionaux, présidents de Régions...
Pourquoi cette initiative saugrenue, gravement déstabilisante pour la filière, alors que les volumes installés se sont réduits à une peau de chagrin (125 MW au troisième trimestre 2012, soit -77% en un an) après le moratoire de 2010 ? C'est que, à moins de 100 €/MWh (contre 4 fois plus il y a quatre ans), le solaire est prêt à rebondir. Dès lors il devient une "vérité qui dérange", un antidote au déni, un révélateur des impasses de nos choix énergétiques et industriels et des mutations qui s'imposent à notre système électrique.
Comment justifier le développement massif de l'éolien offshore à 190 €/MWh (avec un surcoût de 10 milliards d'euros à la charge du consommateur pour le seul appel d'offres déjà attribué) et de l'EPR à plus de 125 €/MWh (chiffre communiqué par EDF lui-même) quand le solaire est à 100 €/MWh et continue de baisser ?
Comment justifier la poursuite de la mainmise de l'Etat sur les choix énergétiques alors que le solaire compétitif crédibilise la vision d'un système électrique décentralisé et les initiatives des territoires en vue de s'approprier cette question, dans le cadre des SRCAE (Schémas Régionaux Climat Air Énergie) et des programmes TEPOS (Territoires à Énergie Positive) et ESTER (Électricité des Territoires), confortant par là-même les objectifs présidentiels de 50% d'électricité non nucléaire à horizon 2025?
Comment justifier la stratégie industrielle de grand groupes et établissements de recherche nationaux focalisée sur la commodité électronique (cellule), qui conduit tous les acteurs de ce secteur à la faillite, alors qu'une autre stratégie s'impose, de production à contenu local pour juguler les importations de modules photovoltaïques asiatiques et d'ingénierie de réseau intelligent pour relever le défi de l'intermittence de la production électrique solaire et porter les offres de l'industrie française partout dans le monde.
Il nous reste peu de temps, en matière d'énergie comme sur les autres questions-clés de notre avenir économique, pour passer du déni à la lucidité et à l'action. Que le débat sur la transition énergétique soit vigoureux, démocratique et transparent, et permette à la France de retrouver le chemin du progrès... avec le solaire.