Cahuzac: « On ne pouvait vraiment pas savoir »

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Par Charles Sannat Modifié le 4 avril 2013 à 10h50

Affaire Cahuzac : «On ne pouvait vraiment pas savoir» ! Voilà le titre d'un article du journal... Libération.

N'accablons pas Monsieur Cahuzac. Disons-le ce qu'il a fait ce n'est pas bien. Certes. Mais certains font nettement pire. Je pense par exemple à la famille du Président chypriote en exercice qui aurait fait pour un plus de 20 millions d'euros de virements avant la faillite des banques chypriotes... alors franchement, notre Cahuzac, sans être un enfant de cœur n'est sans doute pas le plus méchant de la terre.

Dans l'édition du contrarien matin du 18 février 2013, j'expliquais dans un article que la Suisse sous l'amicale pression internationale fermait les comptes (non déclarés) des non-résidents manu-militari, la dernière destination à la mode pour les fonds opaques étant Singapour... et c'est de notoriété publique. Mais comme le dit Libération... « on ne pouvait vraiment pas savoir ».

Affaire Cahuzac: l'enquête en Suisse révèle un compte à la banque Reyl et Cie
Or un article de l'Expansion nous apprend que « l'enquête judiciaire menée en Suisse a permis d'établir l'existence d'un compte bancaire non déclaré de Jérôme Cahuzac à la suite de perquisitions au sein de la banque UBS et chez la société Reyl et Cie. »

« Selon Le Canard enchaîné, l'ex-ministre avait ouvert ce compte auprès d'UBS à Genève au début des années 90. Il aurait été fermé à la fin de l'année 2000 et l'argent transféré auprès de Reyl et Cie, toujours à Genève. En 2010, cet autre compte aurait été fermé à son tour et l'argent déplacé vers la succursale de Reyl et Cie à Singapour ».

Et voilà notre cher (ancien) ministre du budget, grand pourfendeur de la fraude fiscale, céder à la mode actuelle à savoir envoyer ses sous à Singapour... mais Libération sera très certainement surpris par ces révélations car vraiment... on ne pouvait pas savoir.

La famille du Président chypriote sous les feux de la colère populaire
Je les trouve remarquablement calmes, nos amis chypriotes. En effet, c'est carrément la famille du Président en exercice qui est accusée d'avoir bénéficié de tuyaux privilégiés et d'avoir réussi à transférer la veille ou presque de la fermeture des banques pour plus de 20 millions d'euros de leurs avoirs, les sauvant ainsi d'une ponction qui atteindra probablement les 80% d'ici quelques semaines.

80% de 20 millions d'euros, cela fait tout de même 16 millions d'euros de sauvés !!! J'en connais plus d'un qui pour ce montant-là ne se serait pas encombré de détails « moraux »... mais je pense qu'à Chypre non plus on ne pouvait pas vraiment pas savoir... sauf certains !

On ne pouvait pas savoir...
J'avais envie de m'arrêter quelques instants sur cette expression, qui vous l'aurez compris suscite en moi un très grand agacement intellectuel. Afin d'éviter de tomber dans la loi de Godwin (la loi de Godwin provient d'un énoncé fait en 1990 par Mike Godwin relatif au réseau Usenet, et popularisée depuis sur Internet : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s'approche de 1. »

Dans un débat, atteindre le point Godwin revient à signifier à son interlocuteur qu'il vient de se discréditer en vérifiant la loi de Godwin), je ne m'appesantirai pas sur l'utilisation de cette expression après la seconde guerre mondiale, et j'attaquerai directement par son utilisation actuelle.

On ne pouvait pas savoir qu'il y aurait une crise.

On ne pouvait pas savoir qu'il y avait une bulle immobilière.

On ne pouvait pas savoir qu'il y avait une bulle boursière.

On ne pouvait pas savoir qu'il y avait des problèmes avec la mondialisation.

On ne pouvait pas savoir qu'il y allait avoir des problèmes d'emplois avec l'arrivée de la révolution robotique.

On ne pouvait pas savoir qu'il allait y avoir des problèmes de raréfactions de ressources.

On ne pouvait pas savoir qu'il allait y avoir un problème sur la dette de l'état français.

On ne pouvait pas savoir qu'il allait y avoir un problème avec les dettes espagnoles, italiennes, ou portugaises et encore j'en passe et des meilleurs.

On ne pouvait pas savoir que la crise n'était pas finie.

On ne pouvait pas savoir que l'euro avait été mal conçu et dès le départ.

On ne pouvait pas savoir que les gens avaient un problème de pouvoir d'achat.

On ne pouvait pas savoir qu'il y aurait un problème de montée des « populismes »...

Non vraiment, je vous assure, on ne pouvait pas savoir, car pour savoir encore faut-il vouloir voir, accepter d'entendre, admettre les constats et les faits, autoriser un débat ouvert y compris au politiquement incorrect.

Pour savoir, il ne faut pas jouer l'autruche et se cacher, pour savoir, il faut être courageux car la vérité est souvent dérangeante. Pour savoir il suffit souvent d'être juste lucide.

Alors, je peux vous annoncer que l'on sait très bien que la crise va se poursuivre et s'empirer. On sait très bien que l'Europe éclatera lorsque son maillon le plus important et le plus faible à savoir non pas l'Italie ou l'Espagne mais la France, oui vous avez bien lu la France s'effondrera, et je vous dis que l'on sait que l'effondrement de la France qui n'est plus qu'une question de mois désormais (notre budget passera difficilement le cap de l'année 2014) entrainera l'effondrement de l'Europe telle que nous la connaissons.

On sait que le pire est à venir et que compte tenu de la « trajectoire » (car dans la novlangue gouvernementale ce qui est important c'est la trajectoire n'est-ce pas) le pire est totalement sûr, politiquement, économiquement, et socialement.

On sait les effets désastreux que la rigueur va provoquer. On sait les effets délétères que peuvent avoir les dépenses de la relance sur nos déficits et que cela ne fonctionne pas. On sait que nous sommes dans une impasse économique et sociale totale.

On sait que seules les classes moyennes à partir de 1942,50€/mois sont suffisamment nombreuses pour payer les dettes... On sait tout cela et plus encore.

Alors non. Et encore non. Je refuse l'expression et l'idée même de « je ne pouvais pas savoir ». Dans le contexte actuel aucun dirigeant n'a le droit de prononcer cette expression. S'ils ne savent pas qu'ils laissent leur place.

Assez de cette culture de l'excuse permanente. On croirait entendre mes gamins pris la main dans le pot de Nutella (en France 2.0, on ne mange plus de confiture).

La situation économique de notre pays est trop grave pour se cacher derrière son petit doigt et dire « ce n'est pas ma faute, je ne pouvais pas savoir ».

Les conséquences sociales de la crise que nous traversons sont potentiellement dramatiques pour notre pays alors on ne peut pas dire que l'on ne savait pas.

Car on sait exactement ce qui va se produire. Seul le moment n'est pas connu. On sait exactement quelles seront les conséquences... et non elles ne seront pas belles.

On n'a jamais éloigné un danger en détournant les yeux pour ne pas le voir arriver. Alors oui je suis plus qu'agacé par ces ouvertures permanentes de parachute (dorés ou non), par le manque total de courage de nos hommes politiques et par leur manque d'intelligence.

« Un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu'il a été créé »... comme disait Einstein et cela aussi nous le savons. Vous l'aurez compris, finalement nous savons beaucoup de chose. Nous savons même l'essentiel, mais nous ne voulons pas savoir. Voilà la réalité. Nous refusons de savoir.

Dans la série on ne pouvait pas savoir une dernière pour la route !
Les réseaux sociaux c'est beau, c'est bien. Quand on a rien à cacher on ne risque rien, donc tout va bien je veux encore plus de numérique, encore plus d'intrusion dans ma vie privée, encore plus de « transparence »...

Alors je sais bien, vous me direz que... vraiment, on ne pouvait pas savoir, et je vous répondrai que c'était pourtant parfaitement prévisible mais il est tellement plus confortable de dormir tranquillement bercé par des illusions rassurantes.

Voici un article « fabuleux » de la Tribune sur l'utilisation par les grands « méchants » banquiers de vos traces numériques... c'est pour le moins instructif.

« S'il est un secteur qui regorge de données sur ses clients, c'est bien la banque. Il ne se passe pas une journée (ou presque) sans qu'un client ne soit en contact avec sa banque, ne serait-ce que via ses paiements par carte. Un acte qui, s'il est analysé, permet par exemple à celle-là de s'apercevoir que tel client se rend moins souvent que de coutume au restaurant et fréquente davantage des magasins à bas prix. Ce qui peut laisser penser qu'il va au-devant de difficultés financières. Une intuition qui peut être corroborée par le décryptage de données externes, comme ses états d'âme sur Facebook ou Twitter.

Le big data, c'est-à-dire l'analyse de ces monceaux de données provenant non seulement des systèmes d'informations des banques, mais également des réseaux sociaux, des forums de discussions sur Internet, etc., permet d'établir des profils de clients beaucoup plus précis qu'à l'aide de « simples » statistiques. Si bien que la banque est alors en mesure de proposer à son client un produit véritablement adapté à sa problématique actuelle ».

...vous aurez donc fait votre déduction logique tout seul, soit la banque peut vous proposer un produit adapté à votre problématique (c'est pour la version politiquement positivement correct), soit elle vous coupe tout simplement votre découvert ou votre carte bleue car vous devenez selon ses propres critères « insolvable ».

A la lecture de cet article, je pense que vous y réfléchirai à deux fois avant d'aller faire vos courses chez un épicier discount... cela pourrait déplaire à votre banquier !

Enfin, vous n'avez rien à cacher et puis de vous à moi, on ne pouvait vraiment pas savoir quelle utilisation serait faîte de toutes ces données...

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.