Bienvenue en Grance !

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Par Charles Sannat Publié le 26 novembre 2012 à 15h46

La Grance ? Vous ne connaissez pas ce pays ? Vous devriez pourtant car c’est le vôtre. Je trouve que le mot « Grance », contraction vous l’aurez deviné de « Grèce » et de « France », reflète parfaitement le processus actuellement en cours. D’ailleurs, une part relativement importante de notre avenir financier se joue également à Athènes. Ce qu’il faut bien toujours garder à l’esprit, c’est que, pour le moment et faute d’utilisation de la planche à billets, l’histoire des difficultés économiques de la zone euro se résume de la manière suivante : il s’agit de pays surendettés qui aident des pays carrément en faillite avec de l’argent qu’ils n’ont tout simplement pas.

Une fois compris cela, nous pouvons passer à l’étape suivante du raisonnement. Si comme c’est à nouveau « officiellement » envisagé, car officieusement nous le savions tous déjà, il faut à nouveau effacer de la dette grecque, qui va payer ? Qui ? Nous, les contribuables puisque, depuis plusieurs années, on s’évertue avec une constance admirable à déplacer les dettes des pays en faillite vers ceux qui le seront en dernier, ou les dettes des banques vers les Etats, ce qui à l’arrivée revient à dire que toutes les dettes d’Europe sont progressivement transférées vers la BCE et vers l’Allemagne (la moins mal) et la France (la deuxième moins mal dans le classement général du pire).

Il ne faut pas imaginer un seul instant que nous puissions, nous Français, payer 30 ou 50 milliards d’euros de plus pour nos amis grecs. Quand bien même nous le voudrions, nous ne le pouvons pas. Pour information, et à titre de comparaison, il s’agit là d’un montant supérieur à la totalité de l’impôt sur le revenu collecté dans notre pays en une année… qui serait versée directement aux Grecs. Il ne vaut mieux pas que l’on pose démocratiquement la question au peuple français car, dans sa grande sagesse, ce dernier pourrait signifier à nos politiciens d’aller se faire voir… chez les Grecs justement !

Nous sommes lancés dans une mécanique absurde de « Bonto ». Le Bonto, c’est ce jeu de rue, parfaitement illégal d’ailleurs, où vous avez une boule blanche cachée dans un des trois pots et le gars qui fait tourner à très grande vitesse. Il faut après trouver dans quel pot est la boule blanche. Remplacez la boule blanche par les dettes et vous obtenez la réalité d’une politique brillante menée depuis plus de cinq ans sur notre vieux continent par des élites politiques à bout de souffle et à bout d’idées.

Une première conclusion s’impose. À force de prendre des engagements de soutien impossibles à tenir envers d’autres pays européens au nom d’un principe stupide de « solidarité » européenne, nous avons commencé notre processus de « grécification ». Mais avant, pourquoi cette politique de solidarité est stupide ? Parce qu’elle est dangereuse et repose sur le raisonnement que « personne ne mourra ou que nous mourrons tous ». Voilà le principe qui préside aux décisions de nos dirigeants. Le problème c’est que nous allons bien tous mourir ensemble.

L’Allemagne, comme la France, n’a pas les moyens de sauver le reste de l’Europe sans périr à son tour. Les Allemands le savent et c’est ce qui explique leur réticence et leur résistance pour faire les chèques jusqu’à maintenant. Faut-il abandonner la Grèce ? Oui. Faut-il abandonner l’Espagne ? Oui. Faut-il abandonner l’Italie ? Oui. Soit nous créons de la « fausse » monnaie (comme le font les États-Unis et le Royaume-Uni ou encore le Japon) pour faire semblant de racheter ces dettes et créer l’illusion d’un « tout va bien » qui finira par déclencher une hyperinflation, soit nous devons laisser tomber les pays en trop grande difficulté pour essayer de sauver ceux qui peuvent l’être encore.

Pour le moment, l’aide que nous donnons, ou les engagements d’aides que nous prenons, nous fragilise. Étant fragilisés, les agences de notation (forcément très, très méchantes) nous dégradent, et nous dégraderont encore et encore. Cela va renchérir à un moment ou à un autre nos taux d’emprunt, rendant notre stock de dettes difficilement supportable. Nous devrons lever encore plus d’impôts. Puis nous finirons par baisser nos dépenses car on ne peut pas aller plus haut que 100 % de prélèvements obligatoires.

La récession en Grance sera alors majeure. Notre PIB baissera. Nos dettes augmenteront d’autant plus vite que notre PIB baissera. Donc, exprimée en pourcentage de PIB, la dette explosera. Cela entraînera de nouvelles dégradations et nous serons dans le même cercle vicieux que la Grèce qui n’a juste que cinq ans d’avance sur nous. Lorsque nous couperons en deux, comme en Grèce, les aides sociales, les salaires des fonctionnaires et les pensions de retraites, je vous laisse imaginer l’explosion sociale dans notre pays.

Si nous voulons éviter ce scénario catastrophe, nous devons nous poser la question de l’aide que nous n’avons plus les moyens d’apporter aux autres. Mais ce débat, bien sûr, est totalement absent dans notre pays. Or il est essentiel, tellement la stabilité même de notre nation et ses équilibres précaires sont en jeu. Pour le moment, nous fonçons dans le mur, l’innocence en bandoulière et le sourire béat aux lèvres. Pourtant, l’avenir qui nous attend est une évidence…

Alors que nous disons et que nous répétons, malgré une suite ininterrompue de communiqués officiels tous plus victorieux les uns que les autres, que la Grèce n’est pas sauvée, que la Grèce est en faillite, que rien n’est réglé, et que rien ne le sera jamais tant que nous n’aurons pas : payé nous-mêmes les dettes de la Grèce ; laissé la Grèce faire défaut, c’est-à-dire au bout du compte payer nous-mêmes l’ardoise laissée par les Grecs ; laissé la BCE racheter tout le stock de dette grecque en imprimant de la fausse monnaie… ce que les Allemands ne veulent pas. Une dépêche de l’AFP nous apprend donc que « des représentants de la zone euro ont évoqué cette semaine à Paris un effacement partiel de la dette grecque à l’horizon 2015, une mesure jugée désormais inévitable par le FMI et la BCE, selon les journaux Welt am Sonntag et Der Spiegel parus dimanche. » Et voilà, on y arrive. Même officiellement il n’est plus possible de continuer à nier la situation financière dramatique de la Grèce.

« Selon des informations du Welt am Sonntag qui ne cite pas de sources, au cours d’une réunion à huis clos lundi dans la capitale française à laquelle participait le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, les créanciers publics d’Athènes (zone euro, BCE, FMI) ont évoqué la possibilité de renoncer à leurs exigences financières en 2015. Selon l’édition dominicale du journal Die Welt, la perspective d’un effacement partiel de la dette grecque viserait à encourager la Grèce à tenir les engagements pris en échange de son deuxième programme d’aide. » L’idée d’encourager la Grèce à tenir ses engagements, c’est pour amuser la galerie. En réalité, tout le monde se fiche bien d’encourager les Grecs. Les États ne font pas dans l’aide psychologique. Non, l’essentiel c’est de trouver une solution pour effacer une dette qui ne sera jamais remboursée en trouvant les artifices comptables permettant de ne pas détériorer trop fortement les comptes publics français et allemands. Et là, disons-le, c’est compliqué. « Cette option viserait également à rassurer le Fonds monétaire international (FMI) qui demande une réduction de la dette d’Athènes à un niveau supportable, poursuit le journal. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel a rapporté dimanche que le FMI et la BCE considéraient désormais qu’un effacement partiel de la dette est inévitable, contrairement à Berlin qui plaide désespérément en faveur d’une réduction des intérêts à payer pour la Grèce. »

Le FMI qui n’est pas le FME, c’est-à-dire qu’il est international et pas européen, ne peut pas politiquement aller plus loin dans son soutien financier à la Grèce. Cela laisse donc un trou problématique dans la politique d’aide à ce pays, que le couple franco-allemand n’a ni les moyens ni l’envie de prendre à sa charge. « En effaçant la moitié de leurs créances sur la dette grecque, les gouvernements et les institutions de la zone euro pourraient ramener la dette grecque à 70 % du PIB en 2020, au lieu de 144 %, selon Der Spiegel. » Ça, c’est juste de l’espérance. Avec un PIB qui chute de 7 à 8 % tous les ans et une récession en Europe, il y a peu de chance que l’économie grecque se relève facilement ou rapidement, quand bien même sa dette serait effacée jusqu’à 70 %… ce qui laisse encore beaucoup d’argent à rembourser.

Tant que vous ne verrez pas ou n’entendrez pas un débat sur l’arrêt des aides aux autres pays européens et que vous verrez l’Europe enferrée dans une politique stupide car uniquement idéologique de « solidarité », alors vous pouvez vous préparer à vivre en Grance dans les cinq prochaines années. Car il n’y aura aucun miracle pour venir nous sauver. Il n’y a aucune bonne solution lorsqu’un pays a trop de dettes. Quel que soit le chemin choisi, il sera très douloureux. Et là, croyez-moi, les Grecs ont une expérience très précieuse dont nous pouvons nous inspirer.

Je ne vous donnerai qu’un seul chiffre et qu’une seule expression pour résumer la vie en Grèce. Exode urbain et 60 % des Grecs des villes souhaitent en partir pour rejoindre les campagnes. Alors bienvenue en Grance.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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