La France s’est fait taper sur les doigts. Un an après avoir annoncé à Bruxelles qu'elle n'atteindrait pas ses objectifs de réduction du déficit au-dessous du seuil des 3 % du PIB en 2014, la France vient d'être placée sous surveillance renforcée à l'instar de l'Espagne et de l'Irlande.
La décision peut sembler sévère. Elle intervient pourtant au terme d'une année au cours de laquelle la France s'est manifestement montrée incapable d'appliquer les conditions dictées par l'Europe en échange de la souplesse qui lui a été consentie dans la gestion de son déficit. Il s’agissait notamment de réduire les dépenses, reformer ses régimes de retraites et accélérer la mise aux normes européennes de ses professions réglementées.
A les entendre, économistes, patrons et autres observateurs pensent que le gouvernement n'est capable d'aucune réforme. Cependant, depuis 15 ans, beaucoup de réformes ont déjà été promulguées. Les wagons de réformes se sont succédés à une allure telle que les fonctionnaires commencent à opposer une résistance de plus en plus ouverte à des mutations constantes dont ils ne peuvent voir le résultat tangible.
Une chose est sûre, les-dites réformes ne sont pas les bonnes.
Et personne ne voit comment la situation actuelle peut tenir. Nous sommes dans une position de fragilité. Le moindre choc peut tout faire effondrer, qu'il survienne sur le front de la monnaie (l'Allemagne sera la première à mon avis à quitter l'UEM), du système bancaire (fragile car trop centralisé) ou du marché de l'emploi (rendu rigide par une réglementation qui l'empêche de profiter des hausses et le pénalise en revanche à chaque baisse).
Alors on nourrit collectivement un secret espoir : celui de tomber au fond du gouffre et se trouver contraint d'effectuer enfin, dans la grande tradition française, les réformes nécessaires, le dos au mur.
C’est un scénario que je trouve optimiste. Et qui me semble profondément erroné. Car en réalité, la métapolitique n'est pas prête à répondre à une crise grave. La seule réaction prévisible du gouvernement sera d'accélérer les réformes... dans le même sens, celui-là même qui nous a précipités dans la crise. C'est ce qui s'est passé en 2008 avec la crise bancaire : elle a conduit à resserrer la réglementation du secteur bancaire de manière encore plus drastique, avec pour effet direct d'éliminer les petites structures et donc de fragiliser encore davantage le système.
C'est pour cela que je crois essentiel de faire avancer dès maintenant la réflexion sur les réformes nécessaires en cas de séisme. Prenons deux exemples :
1/ secteur bancaire : je suis partisan de profiter du prochain appel à l’aide d’une structure “too big too fail” pour la découper en petites structures autonomes qui séparent bien les activités de financement des activités de marché et des activités de détail. Les grandes structures sont porteuses d'un risque plus élevé, plus difficile à contrôler et avec un impact potentiel massif sur le marché. En outre, il me semble essentiel d'engager la responsabilité des dirigeants des grandes banques, de prévoir des sanctions le cas échéant et d’engager leurs biens propres.
2/ dette française : lorsque personne ne voudra plus prêter à la France, on se trouvera inévitablement en position de faillite. Le gouvernement ne pourra plus payer ses fonctionnaires ni ses factures. La réaction viendra de l'Europe, pas du gouvernement français. Ce qui ne nous empêche pas de nous interroger d'ores et déjà sur les bases d'un renouveau de l'Etat français. De nous poser des questions que nous ne nous posons plus.
La liste non-exhaustive des tabous qu'il est urgent de bousculer comprend :
-les indemnités de chômage (forfaitaires ? durée ? conditions d’obtention ? etc.)
-le statut du fonctionnaire (licenciement ? fin de la grille des salaires ? retraites ?...)
-les fonctions de l’Etat français
-l'âge de la retraite
-la sécurité sociale
-le code du travail
-les structures syndicales
-les transports (il faut non seulement investir dans les transports publics, mais aussi libérer la voiture sous peine de limiter le champ d'action des acteurs et donc leur impact positif sur l'économie)
-la comptabilité publique : elle n'a pas suffisamment évolué depuis les années 1950 et mélange notamment investissements et dépenses. Autre exemple, les retraites sont incluses dans le budget annuel de l'Etat au lieu d'être provisionnées dès leur constatation.
Je n’ai pas de réponses à ces questions. Tout ce que je sais, c’est que les réponses actuelles ont prouvé leur inefficacité et qu’il est important de pouvoir changer nos réponses éculées en vue du prochain choc !
Ces sujets sont publiquement débattus dans d'autres pays que la France, pourquoi pas chez nous ? La techno-structure qui dirige la France est endogame et homogène, elle a une vraie difficulté à se projeter dans un modèle autre que celui dans lequel elle se perpétue. Or ce n'est qu'en nous émancipant de la rigidité idéologique qui nous paralyse, en osant poser les questions qui dérangent, que nous nous donnerons enfin les moyens de faire émerger les vraies réponses pour rebondir face à la crise annoncée.
En l'absence d'une telle remise en question, la prochaine crise nous laissera tout juste repartir sur le même pied, plus vite et plus loin, et toujours plus bas.