La fin du dogme de l’euro fort ?

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Par Charles Sannat Modifié le 29 novembre 2022 à 10h11

Il n’y a pas à dire, les lignes commencent sacrément à bouger en Europe concernant le dogme de l’euro fort qui, évidemment, pose un véritable problème aux différents pays membres hormis l’Allemagne, qui en raison de la structure même de ses exportations est assez peu sensible à l’appréciation de sa monnaie.

La typologie de la production allemande

Demandez-vous quel est le dernier produit de grande consommation courante en provenance d’Allemagne que vous avez acheté. Normalement, vous devriez avoir beaucoup de mal à trouver un produit allemand dans vos placards ou dans votre garde-robe. En revanche, si vous êtes l’heureux propriétaire d’une Porsche, vous savez combien cela vous a coûté ! Cher, très cher !

L’Allemagne exporte essentiellement (et j’insiste sur le « essentiellement » car il existe bien sûr de très nombreuses exceptions) des produits techniques et mécaniques de haut ou très haut de gamme. Si vous cherchez un barbecue très cher et très solide… vous achèterez allemand, si vous êtes un industriel ayant besoin de bras articulés pour votre prochaine usine de montage de DACIA au Maroc… vous achèterez allemand. Si vous souhaitez rouler en haut de gamme… vous achèterez une superbe berline allemande. Bref, là où la France exporte des bouteilles de vins ou de spiritueux à quelques euros par unité ou encore des rouges à lèvres fussent-ils de marque Chanel, l’Allemagne vend des produits très cher. Aucun parfum, aussi cher soit-il, ne dépassera quelques dizaines d’euros contre minimum quelques dizaines de milliers d’euros pour les produits allemands.

Mais il y a une autre différence entre les exportations de l’Allemagne et du reste de l’Europe, France incluse. Les produits que vous achèterez en Allemagne n’ont pas d’équivalent ou peu, ce qui les rend encore moins sensibles au prix de vente. Plus votre industrie est technique, pointue et haut de gamme, moins vous avez de concurrence.

Ces deux raisons expliquent pour l’essentiel la faible sensibilité de nos amis allemands à la force de l’euro, ce qui n’est évidemment pas le cas de ses autres partenaires.

Vous comprendrez donc logiquement que si nous, nous souffrons de l’euro fort, il n’en est rien pour nos camarades allemands, au contraire même, ils ont besoin d’une monnaie forte car un pays ayant un modèle mercantiliste comme l’Allemagne, c’est-à-dire tourné vers l’exportation, a besoin de matières premières, de beaucoup de matières premières, qu’il s’agisse de minerais ou encore d’énergie.

Le modèle allemand est basé sur la transformation massive de ressources naturelles en produits technologiques. Plus votre monnaie est forte, plus vos « importations » de matières premières sont comparativement faibles, surtout lorsque la plus grande majorité d’entre elles sont cotées en dollars américains.

L’évolution du cours de l’euro depuis sa création

Il est actuellement à la mode dans notre pays de parler de la « compétitivité » en oubliant deux aspects essentiels dans le débat pourtant indispensables sur l’amélioration de la compétitivité française.

Le premier aspect systématiquement occulté par les médias et les politiques (à se demander s’ils l’ont même compris) est la relativité de la compétitivité. Si vous baissez votre coût du travail de 3 % mais que dans le même temps l’un de vos voisins à l’outrecuidance de baisser le sien de 6 %, alors votre compétitivité en termes relatifs ne s’est pas améliorée de 3 points… Elle vient de se dégrader de 3 points !! Évidemment, alors que l’ensemble des pays européens et de façon générale toutes les grandes économies mondiales sont lancées dans une course à la compétitivité par la baisse du coût du travail, notre « pacte de responsabilité » bidon restera bidon et sera simplement un grand bidonnage de plus car les « autres » améliorent leur compétitivité plus rapidement que nous…

Le deuxième aspect également passé sous silence, bien que cela émerge parfois un peu plus, est naturellement le « prix » de notre monnaie.
Le 25 octobre 2000 il fallait 0,82 dollar pour acheter 1 euro. Aujourd’hui, en 2014, le 26 mars, il faut environ 1,38 dollar pour acheter 1 euro.
Nous devons comprendre et accepter l’idée pourtant simple et de bon sens que lorsque la valeur de votre monnaie double dans une période de temps aussi courte, en gros votre compétitivité se réduit de moitié rien qu’en raison de l’appréciation de votre monnaie ! Bien sûr, en 14 ans, nous avons pu améliorer notre compétitivité par des gains de productivité mais ces derniers n’ont pas été en mesure de compenser la totalité de la hausse de notre monnaie. Résultat ? Notre industrie se fait lamentablement laminer depuis presque deux décennies, prise entre le marteau d’une monnaie forte et l’enclume des pays à bas coûts vers lesquels il est désormais très facile, en l’absence de toute barrière douanière, de délocaliser massivement les productions d’entrée et de moyen de gamme.


François Hollande et son équipe de bras cassés actuels comme les suivants et quelle que soit leur couleur politique peuvent se rouler par terre et faire des incantations à la compétitivité, cela ne changera strictement rien à la désindustrialisation de notre pays si nous ne traitons pas les deux facteurs les plus importants et les plus absents du débat à savoir la protection de nos usines par une politique de barrières douanières qui pourrait être basée sur l’environnement et la distance qu’un produit doit parcourir uniquement pour protéger l’environnement et les petits oiseaux (ce n’est pas de ma faute à moi si la Chine c’est beaucoup plus loin que la Bretagne) et évidemment la force de notre monnaie.

Les dirigeants socialistes veulent gagner 3 % en baissant les charges sur le travail (ce qui, même ça, s’avère presque insoluble pour les finances de l’État) alors que notre monnaie est 100 % trop cher… 100 – 3 = 97… Cela veut dire que même en se tortillant dans tous les sens pour gagner ces 3 petits pour cent, il vous restera 97 % du problème sur les bras. Autant dire qu’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau. Si ce raisonnement ne reflète pas précisément la réalité des chiffres, il est parfaitement valable et je viens de le tenir uniquement pour vous faire toucher du doigt le fond du problème.

Évidemment, tous ceux qui connaissent un peu l’économie et disposant de plus de deux neurones fonctionnant en réseau le savent parfaitement (ce qui n’est vraisemblablement pas le cas de notre ami Pierrot à Bercy qui, heureusement, devrait prochainement se faire remanier, ce qui lui laissera plus de temps pour s’occuper du chat de sa copine).

La zone euro doit repenser le rôle de la Banque centrale européenne

Ce que je viens de vous expliquer c’est le constat qu’a fait publiquement l’italien Antonio Tajani, commissaire européen à l’industrie, en déclarant hier que « l’euro est trop fort actuellement face au dollar : les pays membres de la zone euro devraient repenser le rôle de la Banque centrale européenne ».

« À 1 dollar 40, a-t-il ajouté lors d’une conférence à Milan, l’euro impacte les économies de l’Espagne, de l’Italie, de la France et à plus long terme de l’Allemagne. »

« Nous ne pouvons pas avoir de politique industrielle sans repenser notre politique monétaire. »

Pour lui, le mandat de la BCE devrait, en plus de la stabilité des prix, prendre en compte le niveau du chômage comme c’est le cas pour la Banque centrale américaine.

C’est une évidence et pourtant elle est totalement occultée. La stabilité des prix c’est important pour l’économie allemande pas pour les autres économies de la zone euro. On en revient donc encore une fois au même constat. Une monnaie unique pour des économies hétérogènes est une hérésie intellectuelle et économique et cela ne veut pas dire que l’euro n’est pas une belle idée. L’euro est une belle idée mais c’est une idée politique pas une idée économique, et une partie importante de nos problèmes (mais pas tous, loin de là) proviennent de ce défaut de conception.

Alors quelles sont les possibilités ? Elles ne sont pas très nombreuses. La zone euro se divise en deux. Euro fort et euro faible. Ou alors l’Allemagne quitte la zone euro et laisse tous les autres membres se débrouiller, ou encore l’euro explose et chacun retrouve sa monnaie nationale…

Enfin, dernière possibilité et c’est évidemment pour nous le moins mauvais des scénarios, les Allemands mettent fin à leur dogme de l’euro fort et laisse la BCE intervenir pour contrer la déflation en cours. Nous sommes bien, en Europe, en déflation pour la simple et bonne raison que lorsque vous menez une politique d’amélioration de la compétitivité par des baisses de salaires, cela ne peut pas par définition faire progresser votre PIB et c’est exactement ce que montre les exemples grec, espagnol, portugais ou encore italien.

Alors oui c’est une bonne nouvelle si la BCE peut intervenir mais cela, encore une fois, ne réglera pas tous les problèmes car là encore la compétitivité monétaire est toute relative. Si notre monnaie baisse mais que le voisin baisse aussi la sienne, à l’arrivée c’est pareil sauf qu’entre-temps tout le monde aura subi un choix inflationniste du montant de la baisse de sa monnaie… et c’est exactement ce que les Chinois sont en train de faire !
Cela ne règlera pas non plus les problèmes liés aux politiques de libre-échange. Cela ne réglera pas les problèmes d’épuisement des matières premières, cela ne réglera pas les problèmes de chômage, cela ne réglera pas les problèmes de dettes de l’ensemble des acteurs économiques à commencer par les États, et évidemment cela ne réglera pas le problème de la dépense publique.

Bref, encore une fois, nous n’avons à notre disposition aucune bonne solution, nous pouvons uniquement gagner un peu de temps et rendre notre effondrement moins douloureux. Ce n’est pas beaucoup certes… mais c’est déjà ça, et puis naturellement la baisse des monnaies c’est toujours très bon pour l’or !

Restez à l’écoute.

À demain… si vous le voulez bien !!

Au coffre Le Contrarien Charles Sannat

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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