Pendant ces derniers mois de course à la présidence de la France, un sujet a longtemps brillé par son absence dans les déclarations des candidats : celui de la France des quartiers. Tout comme le Monde a son tiers-Monde, la France a son «quart-France», ce quart de sa population qui vit dans des quartiers, des zones urbaines dites «sensibles» où vit une population précaire et longtemps délaissée par les institutions de notre pays, trop empêtré dans les habits trop larges de sa grandeur passée. Cette France, nostalgique de son passé impérial, refuse toujours d'admettre qu'elle n'a plus les moyens de ses ambitions et qu'il faut bouleverser l'ordre des priorités qu'elle s'était fixées...
Nos banlieues en sont la stigmatisation peut-être la plus frappante. Au lieu d'y voir un vivier de talents dotés d'un formidable potentiel pouvant permettre à la société française de se délester de ses rigidités corporatistes, les élites actuelles y voient une menace de bouleversement de l'ordre établi et refusent de redistribuer les cartes. Elles préfèrent multiplier les exemples de conservatisme, qu'il s'agisse du maintien des 36.000 communes de France contre toute rationalité économique, de l'absence de réforme d'un système scolaire qui ne sert qu'une minorité privilégiée, ou encore d'une absence de réelle réforme à long terme du système des retraites, condamné à terme si l'on n'y fait rien...
Colonies perdues voire abandonnées, les banlieues rassemblent aujourd'hui dans des ensembles aussi grands que « ghetthoïsants » une majorité d'individus arrivés en plusieurs temps et pour diverses raisons. Que ce soit pour participer à des guerres qui n'étaient pas les leurs, pour contribuer à un développement économique qui ne leur profiterait que très peu, pour venir réclamer les dividendes d'une citoyenneté qu'on leur avait imposée, ou plus simplement pour exploiter les écarts de revenu et envoyer un peu d'argent dans leur pays d'origine chaque mois, ces forces vives qui faisaient l'ex-richesse d'un empire forment aujourd'hui la misère d'un monde civilisé.
Misère économique, misère morale : notre société décline, incapable de se réformer et atteinte d'une « sclérose en place » doublée d'une myopie collective. Cette dernière est fort utile lorsqu'il s'agit d'isoler en marge des grandes villes des populations embarrassantes, anesthésiées par le chômage et les politiques d'assistanat mal ciblées, soumises à l'insécurité dont on ne parle que pour en faire un thème de campagne électorale, par nature éphémère. Le résultat en est que les citoyens concernées vivent en autarcie, jusqu'à ce que le vase déborde périodiquement et au gré des événements qui rythment la vie d'une société à laquelle ils ne participent pas. Les incidents qui émaillent la vie de ces quartiers sont autant de signes de cet échec. Taux de chômage élevé, faible taux de diplôme, indigence du revenu moyen par foyer fiscal, fort taux de densité de population sont autant d'indicateurs de détresse. Mais qui surveille ces signaux ?
Les maux ont pris une telle ampleur que l'ensemble des acteurs du paysage politique français doit se mobiliser et agir de toute urgence. Si la France ne se réforme pas de l'intérieur en s'acceptant dans sa globalité et sa diversité, c'est-à-dire en intégrant les populations aujourd'hui marginalisées et en considérant ses banlieues, son passé impérial pourra évoquer celui de l'empire romain, dont la fin a été peu glorieuse...
Jusqu'à présent, toutes les politiques qui ont tenté de traiter le sujet ont été décevantes... Les candidats à l'élection présidentielle de 2012 se bousculent au Salon des Entrepreneurs pour rencontrer un électorat déjà mobilisé, bien que flottant. En revanche, peu d'estrades sont dressées dans les quartiers dont les populations vivent sous le radar des préoccupations républicaines. Et pourtant, il est possible que l'élection présidentielle puisse se gagner dans les banlieues où se trouvent les réservoirs de voix. S'ils ne le font pas par conviction, les candidats devraient au moins s'intéresser à ce sujet par opportunisme, en espérant que leurs velléités éphémères soient un pont vers des initiatives qui dureront. Leur intérêt particulier rencontrerait alors l'intérêt général... Enfin, il leur faut garder à l'esprit que, tout comme l'éveil de la Chine inquiétait le monde, l'éveil futur des quartiers devrait préoccuper tout autant, car il pourrait être brutal...
Quatre mesures urgentes doivent être prises :
- Détecter de manière précoce les individus susceptibles de rencontrer des difficultés scolaires, puis professionnelles et donc, au final, d'insertion, ce en recourant aux ciblages nécessaires,
- Soutenir l'essor économique et investir massivement dans la formation et dans la création d'entreprises dans les quartiers,
- Casser l'homogénéité sociale des quartiers afin de ne plus littéralement « entasser » des populations similaires, ce qui passe par une gestion adaptée de l'habitat à caractère social,
- Désenclaver les territoires mal desservis, la faiblesse de l'offre de transports en commun étant un facteur aggravant de l'éloignement de l'emploi.
Les propositions préventives prônées ici coûteront moins chères que l'inévitable plan curatif, qui se traduira par des coûts financiers et des dommages sociaux: agitation, financement du chômage induit, renforcement de la sécurité locale, retombées négatives en termes de santé publique...
Agissons sans plus attendre !