La guerre de Syrie est encore une guerre pour le pétrole et le gaz [BEST OF]

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Aymeric Chauprade Publié le 21 juillet 2016 à 5h00

La Syrie est un point de passage stratégique pour l'acheminement des hydrocarbures. C'est aussi un gigantesque réservoir de gaz... Une situation qui n'est évidemment pas sans rapport avec la terrible guerre civile dans laquelle a été plongé le pays en 2011.

Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis essaient de casser la dépendance de l'Union européenne au gaz et au pétrole russe. Pour cela, ils favorisent des oléoducs et gazoducs s'alimentant dans les réserves d'Asie centrale et du Caucase mais qui évitent de traverser l'espace d'influence russe. Ils encouragent le projet Nabucco, lequel part d'Asie centrale, passe par la Turquie (pour les infrastructures de stockage), visant ainsi à rendre l'Union européenne dépendante de la Turquie, puis par la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, l'Autriche, la République tchèque, la Croatie, la Slovénie et l'Italie.

Nabucco a été lancé pour concurrencer deux projets russes qui fonctionnent aujourd'hui?:

  • • Northstream qui relie directement la Russie à l'Allemagne sans passer par l'Ukraine et la Biélorussie.
  • • Southstream qui relie la Russie à l'Europe du Sud (Italie, Grèce) et à l'Europe centrale (Autriche-Hongrie).

Mais Nabucco manque d'approvisionnements et, pour concurrencer les projets russes, il lui faudrait pouvoir accéder :

  1. 1/ au gaz iranien qui rejoindrait le point de groupage de Erzurum en Turquie ;
  2. 2/ au gaz de la Méditerranée orientale : Syrie, Liban, Israël.

Depuis 2009, des bouleversements considérables se sont produits en Méditerranée orientale. Des découvertes spectaculaires de gaz et de pétrole ont eu lieu, dans le bassin du Levant, d'une part, en mer Égée, d'autre part. Ces découvertes exacerbent fortement les contentieux entre Turquie, Grèce, Chypre, Israël, Liban et Syrie.

En 2009, la compagnie texane Noble Energy, partenaire d'Israël pour la prospection, a découvert le gisement de Tamar à 80 km d'Haïfa. C'était la plus grande découverte mondiale de gaz de 2009 (283 milliards de m3 de gaz naturel) qui a radicalement bouleversé la position énergétique d'Israël, faisant passer l'État hébreu d'une situation presque critique (trois ans de réserves et une très forte dépendance vis-à-vis de l'Égypte) à des perspectives excellentes. En octobre 2010, une découverte encore plus considérable a donné à Israël plus de cent ans d'autosuffisance en matière gazière et la capacité même d'exporter son gaz. Israël a en effet découvert, avec ses partenaires américains, un mégagisement offshore de gaz naturel qu'il estime être dans sa zone économique exclusive : le gisement Léviathan.

Réserves de gaz offshore et onshore

Bien évidemment ces découvertes ont attisé les rivalités entre Etats voisins. Israël et le Liban revendiquent chacun la souveraineté sur ces réserves et l'un des différends profonds entre le président Obama et Benyamin Nétanyahou est que les États-Unis, en juillet 2011, ont appuyé la position libanaise contre Israël (car Beyrouth estime que le gisement s'étend aussi sous ses eaux territoriales). Il semblerait que la position américaine vise d'une part à entretenir la division pour jouer un rôle de médiation, d'autre part à empêcher Israël de devenir un acteur autosuffisant.

La Syrie se trouve au cœur des nouveaux enjeux de la Méditerranée orientale et du Moyen-Orient. En novembre 2010, l'Arabie Saoudite et le Qatar ont demandé au Président Bachar El-Assad de pouvoir ouvrir des oléoducs et gazoducs d'exportation vers la Méditerranée orientale. Ces oléoducs leur permettraient en effet de desserrer la contrainte du transport maritime via le détroit d'Ormuz puis le canal de Suez et d'envoyer plus de gaz vers l'Europe (notamment le Qatar, géant gazier du Moyen-Orient). La Syrie a refusé, avec le soutien marqué de la Russie qui voit dans ces plans les volontés américaine, française, saoudienne et qatarie de diminuer la dépendance européenne au gaz russe.

Cet affrontement traduit la compétition qui se joue entre, d'une part, les Occidentaux, la Turquie et les monarchies du Golfe, et, d'autre part, la Russie, l'Iran et la Syrie, auxquels s'est ajouté l'Irak dirigé par le chiite Nouri Al-Maliki et qui s'est rapproché de Téhéran et de Damas au détriment des Américains.

En février 2011 les premiers troubles éclataient en Syrie, troubles qui n'ont cessé de s'amplifier avec l'ingérence, d'une part de combattants islamistes financés par le Qatar et l'Arabie Saoudite, d'autre part de l'action secrète des Occidentaux (Américains, Britanniques et Français).

Le 25 juillet 2011, l'Iran a signé des accords concernant le transport de son gaz via la Syrie et l'Irak. Cet accord fait de la Syrie le principal centre de stockage et de production, en liaison avec le Liban, et l'idée de Téhéran est d'atténuer ainsi grâce à son voisin et allié syrien la contrainte implacable de l'embargo occidental. Gelé par la guerre dans un premier temps, le chantier aurait repris le 19 novembre 2012, après la réélection de Barack Obama et la reprise de négociations secrètes entre les États-Unis et l'Iran.

Du fait même de sa position centrale entre les gisements de production de l'Est (Irak, monarchies pétrolières) et la Méditerranée orientale, via le port de Tartous, qui ouvre la voie des exportations vers l'Europe, la Syrie est un enjeu stratégique de premier plan (...).

Ajoutons à cela que la Syrie dispose de réserves dans son sol (onshore) et probablement en offshore. Le 16 août 2011, le ministère syrien du pétrole a annoncé la découverte d'un gisement de gaz à Qara, près de Homs, avec une capacité de production de 400 000 m3/j.

S'agissant du offshore, le Washington Institute for Near East Policy, un think tank sérieux, pense que la Syrie disposerait des réserves de gaz les plus importantes de tout le bassin méditerranéen oriental, bien supérieures encore à celles d'Israël.
Si un changement politique favorable aux Occidentaux, aux Turcs, Saoudiens et Qataris devait se produire en Syrie, et que celle-ci se coupait de la Russie (les navires de guerre russes mouillant dans le port stratégique de Tartous, un port qui peut bien sûr accueillir des tankers approvisionnés à partir des oléoducs qui y arriveraient), c'est alors toute la géopolitique pétrolière et gazière de la région qui serait bouleversée à l'avantage de l'Occident pro-américain et au détriment de Moscou et de Pékin (...).

Chronique du Choc des civilisations, d'Aymeric Chauprade

Article publié initialement le 29/09/2013

Laissez un commentaire
Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Aymeric Chauprade, 45 ans, est géopolitologue, chef d'entreprise et éditeur, il est marié et a quatre enfants. Conseiller de Marine Le Pen pour les questions internationales, il est votre tête de liste Front National / Rassemblement Bleu Marine pour la circonscription Ile de France aux élections européennes du 25 mai 2014.       

Aucun commentaire à «La guerre de Syrie est encore une guerre pour le pétrole et le gaz [BEST OF]»

Laisser un commentaire

* Champs requis