On assiste aujourd’hui à un rally très fort sur le crédit. Bien que moins important que celui constaté en 2009, le rendement des obligations d'entreprise s’est tout de même rapproché des taux réputés sans risque. Cette revalorisation découle d’un brutal essor de la demande, que le dynamisme pourtant bien réel du marché primaire n’a pas suffi à étancher. A un tel point que certains investisseurs commencent à craindre l’apparition d’une bulle. Dit autrement : les spreads affichés, ou l’écart entre deux taux, pourraient ne plus rémunérer suffisamment le risque.
Certes légitime au regard de l’ampleur de l’engouement de cette classe d’actifs, cette crainte ne résiste pas à une analyse de l’environnement économique actuel. En réalité, le véritable moteur de la revalorisation de ces marchés réside dans l’évaporation de la menace d’un éclatement de l’euro, avec son cortège de faillites bancaires et de forces dépressionnistes. Alors que l’an passé, les investisseurs en étaient encore à se demander dans quelle devise ils allaient se faire rembourser le principal à échéance, la volonté affichée par la BCE de maintenir l’intégrité de la zone a fini de les rassurer.
La disparition de ce risque systémique a donc corrigé une anomalie : celle de la fuite des investisseurs, tétanisés par l’éventualité du pire, et donc, l’absence de demande pour des titres obligataires d’entreprises, indépendamment des fondamentaux des sociétés. Cette normalisation est donc tout à fait justifiée et signe le retour du microéconomique sur le risque pays. A la recherche d’un rendement que les obligations d’état ne leur offre plus, les investisseurs se sont massivement repositionnés sur les obligations d’entreprise, la place de ces derniers dans les allocations se renforçant à mesure que s’affirmait leur confiance dans l’intégrité de la zone euro. Sans surprise, ce sont les émetteurs d’Europe du Sud (comme Portugal Telecom), les plus affectés par le risque d’un éclatement de la zone, qui ont le plus profité de ce retour au calme.
La brutalité du mouvement depuis un an reflète donc davantage la réévaluation des risques qu’un mouvement de marché assimilable à la création d’une bulle. Et elle s’explique par un rééquilibrage d’autant plus vif que les bilans des entreprises se sont fortement assainis depuis 2008 et que les dernières émissions ont été essentiellement affectées à des fins de refinancement, sans augmentation excessive des leviers.
Et maintenant ? Le mouvement d’appréciation du marché est certes derrière nous. Restent encore les rendements, qui ont retrouvé des niveaux plus rationnels et en phase avec les fondamentaux des entreprises. Un nombre croissant d’émetteurs profite d’ailleurs de cette réappréciation du marché pour se refinancer à bon compte, renforçant la profondeur et la diversité du marché primaire. C’est vrai pour tous les segments du crédit, le haut rendement en tête. C’est aussi vrai pour les obligations convertibles (obligation comprenant un droit de conversion en actions de la société), dont l’essor du marché primaire depuis le mois de septembre répond à la demande d’investisseurs à la recherche de convexité pour reprendre modérément du risque, sans pour autant entrer de plain-pied sur les actions. Si elle est une bonne nouvelle pour les investisseurs (comme pour les émetteurs), la redynamisation de ce marché va plus que jamais imposer une grande sélectivité. Cela tombe bien : le gisement n’a pas été aussi sain et diversifié depuis plusieurs mois.