Le postulant à un emploi est souvent briefé jusqu'aux yeux sur le fond et la forme. Le même, embauché, est peu au fait des enjeux de ses premiers pas dans une structure. En France, la période d'essai n'est pas obligatoire, mais elle s'est généralisée. A l'heure où la question de la flexibilité du contrat de travail revient en force dans le débat politique, plusieurs acteurs, y compris à gauche, l'évoquent comme une variable d'ajustement qui pourrait bien se prolonger.
You never get a second chance to make a good first impression
Côté entreprise, on appréhende de mieux en mieux cette phase cruciale d'entre deux. L'idée que le nouveau venu mieux intégré est plus vite productif gagne du terrain. Cabinets de recrutement et Ressources Humaines sont ainsi mis à contribution pour préparer leur « Onboarding ». Et sensibilisent collaborateurs, N+1 et N+2 à la nécessité d'un accueil qualifié. Pour les individus fraîchement recrutés, et au sein d'un plan de carrière, l'idée de tirer parti de sa période d'essai reste cependant vague.
C'est pourtant une période décisive. Parce qu'elle peut signifier un arrêt de la collaboration de la part d'une ou des deux parties, mais pas seulement. Les processus, habitudes et relations définis pendant ces quelques semaines ou ces quelques mois mettront leur empreinte sur la suite. Et à ce titre, ils doivent être soignés et réfléchis.
La période d'essai : pourquoi c'est important
Il s'agit d'une période cruciale autant pour le nouveau salarié que pour le patron. Durant la période d'essai, le premier pourra savoir si ce nouvel emploi correspond à ses attentes, à tous points de vue (responsabilités, tâches... et même lieu de travail). Quant au second, il sera à même de comprendre si le nouvel employé est bien celui qu'il lui faut : le recrutement peut réserver de bonnes comme de mauvaises surprises.
Les deux parties ont donc le droit de rompre la période d'essai, sans pénalités pour l'une comme pour l'autre. Et cela vaut pour les CDD comme pour les CDI. Pour les CDI, la durée peut être doublée si besoin, ce qui peut être utile dans certains cas, notamment lorsque la formation ou les fonctions nécessitent beaucoup de temps pour être appréciées.
La période de tous les possibles ?
Une enquête de l'ANDRH[1] évoquait 3 recrutements de cadre sur 4 réussis. En cas d'échec, et quand cet échec est prioritairement dû à l'entreprise, c'est majoritairement le « manque de disponibilité de la hiérarchie » qui est invoqué. On remarque que dans plus de 3/4 des cas, les structures mettent en place un dispositif particulier. Appelé parfois « intégration », c'est un moment où le salarié va bénéficier d'accès privilégiés à ses collaborateurs et managers. Ces derniers feront non seulement son apprentissage, mais s'enquerront régulièrement de ses impressions, voire lui feront un retour détaillé sur son travail. Il est impératif de capitaliser sur ces moments, de profiter de ce suivi pour mettre en place des bonnes pratiques et de bonnes relations. Ne pas accepter toutes les urgences pour se faire « apprécier » est un bon exemple de limites à poser rapidement. Dans le même temps, c'est l'occasion de faire savoir que l'on dispose d'une expertise que l'on mettra volontiers à disposition de la société... Même si le suivi devient moins régulier ensuite, l'habitude d'échanges clairs et d'écoute sera prise durablement.
Deuxième bonus lié à l'intégration : l'accès sans restriction. Le nouveau (ou la nouvelle) est de toutes les réunions, peut demander toute la documentation existante sur un projet, et interroger toutes les parties prenantes ! C'est par essence un auditeur de choix et sa curiosité est la bienvenue ! Si proposer une réorganisation ou une réallocation des ressources 4 semaines après son arrivée est évidemment une attitude à proscrire, c'est l'occasion d'apprendre beaucoup. Le nouvel arrivant n'est pas soumis à l'urgence conjoncturelle, peu influencé par l'affect des individus et l'historique de l'entreprise, il bénéficie donc d'un panorama qui lui offre les pistes de futures innovations.
Ni messie, ni ami
A ce poste privilégié, il peut également comprendre quels sont les fonctionnements de chacun et les habitudes du groupe. Négliger cette étude sociologique est une erreur. Des tests de personnalité peuvent désormais déterminer si un candidat aura sa place dans telle ou telle entreprise. Mais ils ne précisent pas l'attitude à adopter. Les employés sont très familiers entre eux ? Ce n'est pas une incitation. Car la familiarité naît des années écoulées, des projets vécus ensemble... Ce n'est pas parce que tout le monde se tutoie qu'il faut donner des « diminutifs », ce serait un signe d'intrusion. Tout le monde porte une tenue décontractée le vendredi ? C'est un signe de bonne volonté que de s'y conformer. Cet équilibre subtil devra être maintenu !
C'est le grand moment du savoir-être, de la communication non verbale... et c'est logique puisque le salarié ne met pas encore en œuvre 100% des ses compétences, et qu'il est l'élément exogène. Ben Horowitz[2], le fondateur du fonds d'investissement qui accompagne de nombreuses entreprises donne des conseils pour gérer les « Prophets of rage ». Des employés intelligents mais difficiles à contrôler. Pour Horowitz, le manager doit « leur faire des retours non sur leur comportement, mais sur ce que signifie ce comportement ». Ce conseil devrait être une maxime que s'appliquent tous les salariés pendant leur période d'essai.
C'est particulièrement vrai pour les jeunes générations, pour lesquelles la porosité entre vie personnelle et professionnelle est plus grande. Il faut se demander ce que signifient et répercutent les comportements. De la réussite de cette projection, dépend la légitimité des décisions futures ainsi que la confiance des équipes.
[1] L'accompagnement des cadres dans leur prise de poste, ANDRH, Etudes & Prospectives, 2010
[2] Ben Horowitz, auteur de The Hard Thing About Hard Things: Building a Business When There Are No Easy Answers. Post de son Blog "Prophets of Rage".