Les élections italiennes ont rendu le pays ingouvernable, ce qui une fois de plus, affole les marchés financiers et risque de déséquilibrer à nouveau la zone euro. Ne nous y trompons pas, l’exercice de la démocratie italienne a permis la résurgence et le regroupement des partisans du refus, extrémistes de toutes les couleurs, du corporatisme, tous nourris à la démagogie la plus vulgaire. Dans le même temps, ces élections ont rassemblé tous ceux qui souffrent de l’austérité, de la rigueur et des nécessaires réformes qu’il a fallu mettre en œuvre. Le refus va s’élargir à l’Europe et à l’euro. Les bouc-émissaires.
Mario Monti, le précédent Président du Conseil avait commencé à faire un travail courageux pour restaurer les grands équilibres, et remettre l’Italie sur les rails du redressement. Il avait réussi à mener de front deux batailles. Une bataille contre les déficits publics par la réduction des dépenses. Une bataille pour améliorer la compétitivité des entreprises italiennes par une modération des hausses d’impôt et une ouverture à la concurrence des secteurs qui étaient encore protégés. Sans parler de sa lutte contre la fraude fiscale et la corruption. Mario Monti est allé très vite. Trop vite peut-être.
Mario Monti, en arrivant au pouvoir fin 2011, n’a jamais caché aux Italiens que le redressement demandait des efforts douloureux, mais que c’était ces réformes ou la catastrophe financière. Faute de redressement, faute de garanties de sérieux, l’Italie se serait retrouvée en défaut de paiement avec des taux d’intérêt astronomiques et le risque systémique d’entrainer la totalité de la zone euro dans la tragédie financière. Mario Monti a réussi ses 15 mois de gouvernance. L’Italie a redressé ses équilibres et trouvé des leviers de développement. Avec son business plan calé au millimètre, Super Mario comme on l’appelait à Bruxelles a obtenu les financements nécessaires, avec des taux d’intérêt acceptables. Il a fait baisser la tension dans la totalité de la zone euro et contribué à la sécurisation de l’ensemble.
L’Italie passait même pour un exemple à suivre dans les pays de l’Europe du sud.
L’année dernière, quand François Hollande a cherché des alliés en Europe du sud, pour défendre un plan de croissance et surtout pour arrondir les politiques d’austérité dont il pensait qu’elles fabriquaient de la récession, il s’est fait gentiment éconduire par Mario Monti qui a tenu à défendre, à Bruxelles, les politiques de rigueur et de compétitivité. Croissance, oui mais à condition que les entreprises en soient le moteur. Mario Monti n’avait qu’un handicap, celui ne pas avoir été élu. Mario Monti, professeur d’économie, fonctionnaire international et banquier chez Goldmann-Sachs a été littéralement imposé par les chefs d’État de la zone euro sous la pression des banques qui ne pouvaient plus accorder aucune confiance à Silvio Berlusconi. Fin 2011, en marge d’un G7 à Cannes, Berlusconi a été débarqué et remplacé par Mario Monti.
Le Président du Conseil italien n’avait donc pas la légitimité que donne le suffrage démocratique. Il le savait. Il n’en a jamais abusé. Mario Monti n’avait rien d’un dictateur en herbe. Il était là pour faire un job, sans plus. Fort de son énorme popularité, c’est lui qui a provoqué des élections anticipées desquelles il pensait sortir avec une majorité qui lui aurait permis de terminer son entreprise de rénovation. Mario Monti, qui est profondément démocrate, ne pouvait pas ne pas passer par l’élection. Il y est allé fort de son bilan avec le projet de continuer cette modernisation. Il a été battu, humilié. Il a complètement sous-estimé les forces conservatrices, les courants poujadistes. Il a aussi et sans doute sous-estimé la fatigue des italiens à supporter des politiques de redressement.
Le résultat c’est que l’Italie va perdre la confiance des marchés et l’Europe toute entière se retrouve fragilisée.
Cette affaire montre à quel point, la démocratie a du mal à répondre à une situation de crise en apportant une gouvernance responsable. Depuis six mois, on avait le sentiment que les perspectives en Europe étaient plus favorables. L’évolution de l’Italie nous offrait des raisons d’être optimiste, plus que le discours tenu par les médias ou les politiques. Ce qui vient de se passer en Italie prouve que les politiques ont du mal à sortir de leur logique de fonctionnement. Il existe une contradiction, entre le fonctionnement du marché politique – les conditions nécessaires pour être élu – et le fonctionnement du marché économique.
Les marchés économiques ou financiers sont des marchés de concurrence avec des contraintes très fortes auxquelles le chef d’entreprise est obligé de se plier. Le chef d’entreprise doit en permanence faire des arbitrages entre le court et le long terme, il doit équilibrer en permanence ses coûts de fonctionnement avec la capacité de sa clientèle. Le chef d’entreprise est responsable devant ses actionnaires et ses salariés mais plus encore devant ses consommateurs. Le marché politique a un fonctionnement plus simple. C’est un marché où on « achète » les électeurs.
C’est un marché où l’élu essaie en permanence de minimiser le coût social de ce qu’il entreprend. Cette logique a fonctionné pendant trente ans tant qu’il y avait de l’argent pour acheter l’électorat, durant les politique keynésiennes et jusqu’aux années 1980-1990. Puis, les États n’ayant plus les moyens, l’homme politique a fait des promesses en payant plus ou moins à crédit. Aujourd’hui, il n’y a plus d’argent, ni de crédit, on est obligé de revenir à la réalité. Le marché politique, les hommes politiques acceptent difficilement ce changement. Les Italiens qui ont gagné le droit de rendre l’Italie ingouvernable ont recommencé à faire des promesses qu’ils ne pourront pas tenir. La démocratie ne sort pas grandie. L’Europe non plus.
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