Les effets pervers de la loi Duflot sur le logement

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Sylvain Fontan Modifié le 7 octobre 2013 à 5h26

Le gouvernement français a présenté le 6 septembre dernier son projet sur le logement. Il part du constat que les inégalités d'accès au logement se sont accrues du fait de l'augmentation des loyers et de la modération de la progression des revenus. Parmi les mesures comprises dans le projet de loi, les deux principales visent à instaurer un dispositif d'encadrement des loyers ainsi qu'une garantie pour les impayés sur l'ensemble du parc locatif privé. Il apparaît que ces mesures auront en réalité mécaniquement les effets inverses de ceux escomptés : hausse des loyers et des impayés.

Détail du projet de loi

Le projet de loi vise notamment à diminuer les loyers et à éviter les impayés. Pour ce faire, deux mesures phares sont présentes : l'encadrement des loyers et la mise en place d'une garantie universelle devant remplacer le système de caution solidaire (même s'il est possible que ce système de caution soit finalement conservé). Notons enfin que l'intitulé exact du projet de loi portée par la ministre du logement Cécile DUFLOT s'intitule "Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové" (ALUR).

L'encadrement des loyers prévoit de fixer un loyer maximum à ne pas dépasser. En pratique, le loyer des nouveaux baux ne pourra pas dépasser de plus de 20 % le loyer médian de référence pratiqué dans sa zone géographique. Le loyer médian est différent du loyer moyen car il correspond à celui pour lequel il y a autant de loyers plus chers que de loyers moins chers dans la zone géographique identifiée. L'intérêt de raisonner en loyer médian et non en loyer moyen est de ne pas prendre en compte les extrêmes (très chers et très bons marchés) dans le calcul du loyer de référence. En pratique, un logement dont le loyer est de 750 euros mensuels se trouve dans une zone dont le loyer médian est de 550 euros, alors le loyer maximum auquel il pourra être proposé sur le marché de la location est de 660 euros, soit une baisse de 90 euros par mois.

La Garantie Universelle des Loyers (GUL) prévoit de créer une agence qui se substituera au locataire défaillant. L'agence en question serait publique et réglera au propriétaire le montant du loyer qui n'aura pas été acquitté par le locataire. Ensuite, cette agence se tournera vers le locataire défaillant afin de demander le paiement du loyer, ou alors "accompagnera socialement la personne en difficulté" selon les termes du texte.

Conséquences mécaniques

L'encadrement des loyers est le meilleur moyen de détruire le marché du logement. En effet, cette mesure va mécaniquement diminuer la production de logements en raréfiant encore plus l'offre sur le marché, et ainsi accroître la pénurie de logement qui va in fine faire augmenter les prix des loyers. Trois mécanismes majeurs sont à l'œuvre pour expliquer ce phénomène :

1) Le fait de fixer un loyer maximum va contribuer à tendre le marché immobilier. En effet, les investisseurs et les propriétaires vont se retirer du marché car les perspectives de rentabilité vont diminuer. Les investisseurs doivent déjà faire face à une législation accrue qui augmente les coûts de construction. Le fait de diminuer encore leurs perspectives de rentabilité en limitant les loyers va les encourager à investir dans d'autres secteurs et ainsi diminuer la production de logements neufs et donc la quantité de locations disponibles. Parallèlement, les propriétaires verront eux aussi la rentabilité de leurs biens diminuer en deux temps. Tout d'abord, la baisse des loyers va de fait diminuer les ressources des propriétaires, qui vont ensuite arrêter d'effectuer des travaux dans leurs biens car le coût de la rénovation sera de plus en plus cher par rapport à ce que rapporte le loyer. Ainsi, les biens vont se déprécier et leur valeur va chuter à moyen terme. Ainsi, les propriétaires vont retirer leurs biens du marché de la location car les coûts seront trop élevés par rapport aux gains.

2) L'utilisation de la logique du loyer médian ne correspond pas à un marché aussi éclaté que celui du marché immobilier. En effet, malgré une surface identique, les caractéristiques des appartements peuvent être totalement différentes et ainsi justifier des écarts de loyer très importants. Typiquement, ce raisonnement peu en effet tourner à l'absurde dans le cas de deux appartement situés sur le même palier d'un immeuble, avec des superficies identiques mais avec un bien très vétuste et l'autre totalement rénové. Le second aura nécessité un investissement important de la part du bailleur qui ne pourra pas répercuter cela sur le montant du loyer (ou alors marginalement). Ainsi, les propriétaires ne seront pas incités à investir dans les appartements, ce qui entraînera la dégradation généralisée du parc locatif.

La garantie universelle des loyers correspond à une taxe et une hausse des dépenses publiques. En pratique, cette idée correspondra à une augmentation généralisée de la pression fiscale (alors que le gouvernement s'est engagé à stopper cette dynamique), à une complexification des procédures administratives (alors que le gouvernement s'est engagé à mettre en œuvre un choc de simplification), à une déresponsabilisation des locataires qui s'en remettront à l'Etat, et enfin à une augmentation de la dépense publique (alors que le gouvernement s'est engagé à les diminuer) :

Hausse d'impôts

En effet le gouvernement prévoit que cette taxe ne dépassera pas 2% du montant total du loyer, payée à part égale par le locataire et le propriétaire. Or, l'ensemble des experts estiment que cette taxe devra plutôt se situer entre 5% et 6% pour atteindre ses objectifs. Ainsi, l'ensemble des locataires et des propriétaires devront s'acquitter chacun au minimum d'une taxe supplémentaire de 1% (mais probablement plus) du montant total du loyer, alors que les locataires défaillants représentent entre 2% et 3% du marché : tout le monde va payer pour une minorité.

Complexification administrative

En effet, alors que même le gouvernement admet que la lourdeur administrative complexifie les relations économiques et réduit le potentiel de croissance national, la création d'une nouvelle instance publique, avec toutes les démarches administratives que cela suppose, ne fera qu'augmenter cette lourdeur. Egalement, il est probable que les propriétaires confrontés à des situations d'impayés se trouvent également confrontés à des lenteurs administratives lorsqu'il s'agira de se faire rembourser par ladite agence publique.

Deresponsabilisation des locataires

Les locataires seront déresponsabilisés car in fine l'Etat pourra payer à leur place. En effet, en plus des locataires qui sont actuellement dans l'incapacité à honorer leurs loyers, le fait que l'Etat joue le rôle de garant auprès du propriétaire incitera des personnes à ne pas acquitter leur loyer. Comme le propriétaire ne pourra normalement pas se retrouver lésé, les locataires seront incités à faire peser le poids de leur loyer sur l'Etat. Dès lors, le nombre des impayés va mécaniquement augmenter, et ainsi faire peser un poids supplémentaire sur l'Etat, sans compter l'ensemble des dérives possibles d'une telle logique.

Hausse de la dépense publique

En effet, la création d'une nouvelle agence publique induit par définition son financement ainsi que l'embauche de fonctionnaires qui lui seront dédiés. De plus, le coût pour la collectivité au titre du remboursement des loyers impayés s'élève dès à présent selon les premières études d'impact, à un montant compris entre 1 et 2 milliards d'euros. Or, ce montant sera peut être amené à être doublé ou triplé selon la proportion dans laquelle le montant des impayés va augmenter suite à cette mesure.

Le résultat effectif final sera l'exact opposé que celui initialement visé :

1) Concernant l'objectif de diminution des loyers via la fixation d'un seuil maximum :

Les investisseurs vont se retirer et les propriétaires vont retirer leurs biens du marché. Par conséquent, cela va aboutir à diminuer le nombre de logements disponibles à la location. Au final, le tout va aboutir à augmenter la pénurie de logement sur le marché locatif français, et comme la demande sera toujours aussi soutenue, alors les prix vont exploser.

2) Concernant l'objectif de diminution des impayés grâce à la garantie universelle :

Il apparaît qu'en réalité le projet de garantie universelle va dans les faits correspondre à un système où les bons payeurs vont financer les mauvais. Les bons payeurs vont alors être incités à devenir de mauvais payeurs pour ne pas avoir à supporter que les coûts d'une telle mesure, mais aussi à essayer d'en tirer bénéfice. Dès lors, le nombre de mauvais payeurs va augmenter déséquilibrant la structure. Au final, soit le montant de la taxe devra être revue à la hausse pour équilibrer le système, et ainsi accélérer les effets pervers initiaux, et/ou de faire peser encore de plus en plus ce mécanisme sur les finances de l'Etat, et donc sur les deniers du citoyen sous forme d'impôts directs différés.

Eléments de perspectives

La faute originelle de ce projet de loi est de traiter les conséquences et pas les causes. En effet, le projet identifie un problème donné (loyers élevés qui rendent difficile l'accession au marché de l'immobilier locatif et augmentent le nombre des impayés) et essaye de traiter ce problème de manière visible. Toutefois, il aurait été plus inspiré d'identifier les causes de ce problème et de tenter d'y apporter des réponses concrètes. A ce titre, l'origine principale du niveau élevé des loyers est le manque d'offres sur le marché, autrement dit le manque de logements disponibles à la location. Or, en mettant en œuvre le projet de loi, les origines du niveau actuel élevé des loyers vont être accentuées.

Dès lors, la question est de savoir comment augmenter l'offre de logements. Pour ce faire il faut libérer le foncier, autrement dit l'exploitation et l'imposition des terrains et des biens, pour permettre de construire plus facilement et plus de logements. Le but est d'inciter à l'investissement et ainsi donner envie de louer. Toutefois, cela suppose l'existence d'un réel marché fonctionnant avec de vrais prix.

Les expériences passées concernant les systèmes de garantie ont été des échecs. En effet, la précédente majorité présidentielle au pouvoir en France avait elle aussi expérimenté un système similaire. L'idée était de répondre au problème d'accès au logement des populations précaires (jeunes, salariés temporaires et CDD). Le but était d'apporter la garantie de l'Etat pour rassurer les propriétaires. Or, le résultat effectif a été l'inverse. En effet, si dans les zones "détendue" (offre de logement supérieure à la demande) les propriétaires ont pu élargir leur clientèle potentielle en supprimant la caution personnelle ; toutefois dans les zones "tendues " (offre de logement inférieure à la demande), typiquement en Ile-de-France, le comportement des propriétaires n'a pas évolué. En effet, un propriétaire préfère toujours la sécurité d'un locataire bénéficiant d'un CDI à celui n'ayant qu'un CDD à fournir comme garantie. De plus, la perspective de la "paperasse" engendrée par la mise en place de ce système à rebuté les propriétaires.

Les personnes en charge de ce projet ont forcément été alertées par les experts des risques. En effet, le contrôle administratif d'un marché, à fortiori un marché aussi complexe et multiforme que celui du logement, a toujours mené à la destruction du marché concerné ainsi que de ses outils. Les raisons pour lesquelles les personnes en charge de ce projet ont proposé ce projet, et ce malgré les conséquences pratiques mécaniques incontournables, sont probablement à chercher parmi les enjeux électoralistes, politiques et idéologiques.

Il apparaît que le gouvernement est conscient des effets pervers. En effet, le projet de loi prévoit de mettre en place les différentes mesures à partir du 1er janvier 2016. Dès lors, l'urgence contre laquelle ce projet de loi est censé lutter est en contradiction avec le moment tardif de son application. En revanche, le décalage temporel peut s'expliquer par le fait que le gouvernement espère pouvoir tirer bénéfice des effets politiques immédiats du débat autour de ce projet de loi, ainsi que lors de la mise en place effective de la loi (stigmatisation des propriétaires qui abuseraient de leur position et volonté affichée de soutenir locataires, et enfin donner l'impression de répondre de manière visible aux problèmes quotidiens), en espérant finalement que les effets économiques négatifs visibles interviendront trop tard pour en subir le coût électoral lors des élections présidentielles de 2017. Dans ce cadre, il apparaît que si la mesure est très mal inspirée économiquement, elle semble encore une fois très habile politiquement.

Retrouvez plus de décryptages économiques écrits par Sylvain Fontan sur son site www.leconomiste.eu

Laissez un commentaire
Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

Aucun commentaire à «Les effets pervers de la loi Duflot sur le logement»

Laisser un commentaire

* Champs requis