L’hôpital doit-il devenir le couloir de la mort lente ?

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Par Jacques Bichot Publié le 10 août 2015 à 6h53
Sante Urgentistes Temps Travail
@shutter - © Economie Matin
2008Vincent Lambert se trouve dans un état végétatif suite à un accident de la route survenu en 2008.

Il y a bien des choses incompréhensibles dans l’affaire Vincent Lambert. Il semble que plusieurs hôpitaux ou établissements spécialisés se soient proposés pour accueillir ce jeune homme en état végétatif : pourquoi le CHU de Reims ne le laisse-t-il pas partir vers un autre centre de soins ? On dirait qu’une équipe médicale, ayant prononcé une sentence de mort, tient absolument à en assurer l’exécution.

Qu’est-ce qui explique ce refus de transmettre la personne comateuse à un autre organisme, prêt à prendre en main ce qui n’est même pas un traitement, mais tout simplement une alimentation et une hygiène corporelle la maintenant en vie dans des conditions décentes ?

Pourquoi, d’autre part, cet acharnement de l’épouse à vouloir mettre fin à la vie végétative de l’homme auquel, un jour, elle s’est unie pour le meilleur, certes, mais aussi pour le pire ? Si elle ne veut plus assumer le pire, si elle veut "refaire sa vie", comme on dit, il existe un moyen : le divorce. Les parents de Vincent sont prêts à faire ce que les parents font souvent lorsque leur enfant est abandonné par son conjoint : reprendre, mutatis mutandis, le rôle qui avait été le leur quelques décennies plus tôt auprès de cet enfant, s’occuper de lui comme d’un oisillon tombé du nid.

Pourquoi les tribunaux ne les laissent-ils pas libres d’agir conformément à l’article 203 du Code civil, qui dispose : "Les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants." Que des juges imposent à des parents de se mettre en infraction avec l’une des dispositions fondamentales de notre droit est assez singulier. Concernant les motivations de l’épouse et des membres de la fratrie qui soutiennent sa volonté mortifère, des possibilités viennent inévitablement à l’esprit, les unes altruistes, les autres égoïstes : craindraient-ils que cette charge soit trop lourde pour leurs parents et beaux-parents ? Ou que leur héritage en souffre ?

On s’interroge enfin sur la façon de conduire Vincent Lambert à sa fin dernière, au cas où cela serait la moins mauvaise des solutions.
Trois procédés sont envisageables : ou bien le faire mourir de faim et de soif, ou simplement de faim, en arrêtant l’alimentation et l’hydratation (qui ne sont pas des soins médicaux à proprement parler) ou seulement l’alimentation ; ou bien lui administrer un produit qui mette très rapidement fin à ses jours. Quelle est la moins atroce des trois solutions ? Il ne semble pas que les médecins sachent si Vincent Lambert est ou non en état de ressentir de la souffrance : il faut donc raisonner en prenant pour hypothèse que ce puisse être le cas. Dès lors nous ne pouvons qu’être stupéfaits par l’hypocrisie consistant à dire que dans les deux premiers cas on ne tue pas, mais on se contente de "laisser mourir". Faire semblant de ne pas tuer, au prix d’une longue souffrance du principal intéressé, n’est-ce pas lui faire payer bien cher notre bonne conscience ? Même le système carcéral américain, tristement célèbre pour ses exécutions capitales calamiteuses, n’a jamais utilisé un "couloir de la mort" où le condamné dépérirait lentement de faim et de soif.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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