En octobre 2006, donc voici presque 13 ans, un article relayé sur RFI (Radio-France International) titrait : Le mur de la honte. Le Sénat américain venait en effet d’approuver la construction d’un double mur de 1 125 km le long de sa frontière avec le Mexique, en Californie et au Texas, dans le but de freiner l’immigration illégale. En dépit de quelques préjugés anti-américains, l’auteur de l’article, un certain Patrice Gouy, reconnaissait que « la faute n’est pas seulement américaine ». Il faisait en effet remarquer que le Mexique, et plus précisément son Président (à l’époque, Vincente Fox), grand partisan de l’ALENA (l’accord de libre-échange américain), n’avait pas assez œuvré à développer l’emploi dans son pays. Citons-le : « Vicente Fox n’a pas su développer un marché intérieur, pourvoyeur d’emplois bien payés, ce qui aurait freiné la migration aux Etats-Unis et permis de négocier un accord migratoire au lieu de se voir imposer ce mur absurde. »
Tout le problème est là, et pas seulement pour le continent américain, pour le monde entier. Les pays pauvres ont, pour la plupart, une très forte natalité, de moins en moins compensée par la mortalité infantile, et cela depuis assez longtemps pour que les cohortes (personnes nées une année donnée) qui arrivent à l’âge d’exercer un métier soient pléthoriques par rapport aux créations d’emplois. Un pays jadis pauvre a toutefois échappé à ce scénario désastreux : la Chine, où la politique de l’enfant unique a radicalement limité la procréation, tandis que des dirigeants remarquablement intelligents faisaient ce qu’il fallait pour lancer un développement économique dont l’intensité et la durée sont quasiment sans équivalent, à quelques exceptions près, comme l’extraordinaire ville-Etat de 700 km2 qu’est Singapour.
Dans ces conditions, le monde développé se trouve en quelque sorte assiégé par des masses humaines à la recherche de leur survie, ou d’une vie moins misérable. Ce qui s’est produit en Europe au moment où Daech terrorisait des populations assez nombreuses peut se reproduire à une échelle bien supérieure le jour où les habitants de l’Inde, du Bengladesh, du Nigéria et de toute une série de pays asiatiques et africains découvriront massivement qu’en Europe et en Amérique du Nord l’herbe est plus verte, comme on dit familièrement pour indiquer l’attractivité d’un pays.
D’un autre côté, notre planète dispose-t-elle des ressources requises pour qu’y vivent à l’occidentale 7 à 10 milliards d’êtres humains ? La question écologique se pose de plus en plus d’une façon qui rendrait suicidaire son accaparement par quelques millions d’idéalistes aussi incapables que la plupart de nos hommes politiques de s’attaquer sérieusement aux vrais problèmes. Dame nature est la mère nourricière, et d’ailleurs la mère « tout court », du genre humain ; ne pas lui témoigner un respect équivalent à celui que nous devons à nos propres géniteurs conduirait à des drames dont nous n’avons pas idée.
Voilà qui semble nous avoir éloigné du protectionnisme de l’administration Trump. Et pourtant, les réactions de ce magnat de l’immobilier au tempérament sanguin nous en apprennent long sur ce qui nous attend. Si Trump a fait fortune, s’il s’est fait élire Président des Etats-Unis, c’est parce qu’il a du flair, de l’intuition, davantage que bien des acteurs plus conventionnels et même que l’autre génie de l’arrivisme, celui qui préside aujourd’hui aux destinées de la France. Trump n’est pas un intellectuel, sa forme d’intelligence n’a rien à voir avec la mienne, mais il comprend – me semble-t-il – la façon dont fonctionne le monde, même s’il sous-estime les potentialités de la coopération.
Trump a compris qu’un pays ne peut pas indéfiniment vivre aux crochets du reste du monde. Un remarquable article paru dans le plus récent numéro de la revue Banque, sous la plume de Bernard Cherlonneix, montre que la création monétaire ex nihilo, c’est-à-dire sans production équivalente de capacités de production, bat son plein, et cela notamment du fait de ce qu’il appelle « le privilège exorbitant du dollar ». Ce privilège permet de construire une montagne de dettes libellées dans cette devises, montagne qui n’est rien d’autre qu’un château de cartes – mais un château de cartes dont l’effondrement serait catastrophique. Des économistes comme Cherlonneix et votre serviteur ne pouvons que dire ce qui se passe et alerter sur les dangers. Trump, lui, peut agir – et il agit !
Certes, construire une nouvelle muraille de Chine au sud des Etats-Unis et mettre en place un protectionnisme douanier unilatéral pour rééquilibrer la balance commerciale américaine, lourdement déficitaire, n’est pas ce que je préconiserais si j’étais conseiller à la maison Blanche. La voie coopérative, si difficile soit-elle à emprunter, me paraît préférable. Comme je l’ai déjà préconisé dans divers articles, il serait hautement souhaitable que l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce) au niveau mondial, et l’Union européenne pour le Vieux Continent, mettent en place un système de droits de douane adaptables axé sur la réduction des déficits et des excédents excessifs. Les pays trop exportateurs et pas assez importateurs, comme l’Allemagne, en réduisant leurs droits de douane à l’entrée, et en acceptant que leurs clients augmentent les leurs, importeraient davantage et exporteraient moins ; les pays trop importateurs et pas assez exportateurs, comme les Etats-Unis et la France, importeraient moins, du fait de barrières tarifaires, et exporteraient davantage, du fait du « désarmement » douanier de certains de leurs partenaires.
A la différence de Trump, je préconise le calumet de la paix plutôt que déterrer la hache de guerre, mais à condition évidemment que les négociations débouchent. Quand on voit ce qui se passe avec le Brexit, on comprend que la voie des accords n’est pas facile. Que le spectacle désespérant de l’inefficacité des négociations européennes ait un peu incité Trump à choisir la hache de guerre ne serait guère étonnant. Avant de tirer sur le pianiste de Washington, si nous accordions nos violons à Bruxelles ?