1.000 milliards de mille sabords ? Non, d’euros. C’est la somme qui échappe chaque année aux Etats de l’UE, pour cause notamment de dumping fiscal. Soit 20% de son PIB. Autrement dit, le manque d’harmonisation de la fiscalité entre les Etats pousse un certain nombre de détenteurs de capitaux à aller se faire voir ailleurs, ce qu’on appelle communément procéder à une « évasion fiscale ». Un fléau qui pénalise en premier lieu les contribuables, qui passent à la caisse pour combler les déficits des Etats. Mais le problème est-il vraiment soluble ?
Que faire pour stopper l’hémorragie ? Dans l’idéal, il s’agirait d’instaurer bon gré mal gré une harmonisation de la fiscalité entre les différents pays membres de l’Union, pour éviter qu’une poignée d’entre eux soient plus attractifs que les autres, et inversement. Las, la chose n’est pas aisée, comme l’atteste la manie d’un certain nombre de capitales, au premier rang desquelles Londres, Vienne et Dublin, de ralentir les efforts entrepris dans le sens d’une plus grande transparence et d’une meilleure coordination.
Parvenir à éviter le dumping fiscal en faisant coïncider les taux d’imposition de l’ensemble des Etats membres s’avère d’autant plus délicat que l’actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, n’est autre que l’ancien Premier ministre du Grand-duché du Luxembourg, accusé à cette époque par Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, dans le cadre d’une mission d’information parlementaire, de posséder un secret bancaire parmi les « mieux protégés au monde », et de représenter « un des principaux obstacles à la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux ». Oups.
Juncker n’aime pas qu’on lui rappelle l’existence de ce rapport. On peut le comprendre. Il veut montrer qu’il a changé son fusil d’épaule, et souhaite enfin respecter les principes fondateurs de la Communauté européenne. Le traité de Rome de 1957 avait en effet pour prétention d’organiser un « rapprochement progressif » de la politique économique des Etats membres.
Oui mais voilà, à cette bonne volonté vient s’opposer une notion enquiquinante, celle de la souveraineté des Etats. Autrement dit, la solidarité entre Etats n’étant pas imposée, on en est réduit à compter sur leur bonne volonté. Une bonne volonté, on l’a vu, loin d’être partagée par tous.
Pour contourner ces blocages, Pierre Moscovici, qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre, propose de passer à « une coopération renforcée ». C’est à dire à une union dans l’Union, comme c’est le cas pour la Taxe Tobin par exemple, et avec les mêmes effets : le renforcement d’un mode de fonctionnement à plusieurs vitesses, qui n’arrangerait rien, au contraire, puisqu’il identifierait clairement les pays coopérants comme des destinations fiscales à fuir à tout prix. On ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait désigner à grand renfort de pancartes serties de néons les obstacles que les exilés fiscaux en puissance doivent éviter.
Bon mais alors comment s’y prend-on ? D’aucuns proposent d’instaurer un serpent fiscal européen, sur le même principe que le serpent monétaire européen (créé en 1972, en vigueur jusqu’en 1978), censé limiter les velléités spéculatives, en empêchant une monnaie de fluctuer par rapport à une autre de plus ou moins 2,25 % autour de sa parité. L’idée serait ici, par exemple, de fixer un taux d’imposition moyen de 30 %, et de permettre aux Etats de faire fluctuer ce taux de plus ou moins 3 %, en fonction des atouts qui sont les leurs pour séduire une entreprise étrangère (plus ils auraient d’atouts, plus le taux serait élevé, et inversement).
Bref, des solutions alternatives semblent exister. Reste à savoir si elles seront appliquées un jour et, si oui, si elles résisteront longtemps à l'épreuve des faits. Rien n'est moins sûr.