L’information récente selon laquelle Apple et Google oeuvreraient conjointement pour acquérir les brevets détenus par Kodak a fait naitre un abîme de perplexité. En effet, pourquoi deux entreprises engagées dans une concurrence farouche – annoncée d’ailleurs par Steve Jobs pour Apple et Eric Schmidt pour Google – se retrouveraient-elles ainsi main dans la main pour se répartir des brevets ?
Plusieurs réponses sont possibles. Les premières sont à replacer dans un contexte de « guerre des brevets » entre les multiples acteurs de l’industrie des smartphones et des tablettes (producteurs de hardware et de software). Cette guerre, que Steve Jobs avait qualifiée en son temps de « thermonucléaire », est à la fois une guerre de mouvement et une guerre de position. Guerre de mouvement, car en brevetant de très nombreuses innovations (ou supposées telles), chaque acteur tente d’asseoir ou de développer son leadership. Guerre de position, car la détention d’un épais portefeuille de brevets permet à l’entreprise de consolider sa défense face à un concurrent disposant également d’un portefeuille de brevets conséquent.
Aux Etats-Unis, ces guerres se traduisent souvent par des batailles judiciaires, chaque acteur étant à la fois assaillant et assailli, d’autant que le théâtre des opérations est mondial. Etant donné les coûts que génèrent ces litiges pour les protagonistes, on peut imaginer que cette action concertée entre Apple et Google ait pour objectif de réduire « ex ante » ces coûts en limitant le risque de conflits sur les brevets ainsi acquis. Une autre réponse peut résider dans une approche de pure rationalité économique : en faisant cause commune dans le cadre de l’acquisition des brevets détenus par Kodak, les deux acteurs évitent ainsi une montée des enchères et s’offrent l’opportunité d’un prix d’achat « raisonnable ».
Enfin, il ne faut pas oublier que même si Apple et Google sont souvent perçus comme des belligérants dans cette guerre des brevets, la firme de Mountain View est vraisemblablement l’un des plus importants générateurs de revenue pour Apple. Rappelons que l’application Google Maps est de nouveau disponible sur l’App Store d’Apple, alors qu’au même moment l’un des dirigeants de Google a déclaré que le développement d’applications pour Windows Phone 8 n’était clairement pas une priorité.
La croissance exponentielle des portefeuilles de brevets de ces acteurs majeurs de l’économie numérique et des télécommunications répond à une logique stratégique : celle de la flexibilité et de l’adaptation à toutes les configurations possibles. Et en matière d’alliance stratégique, la meilleure chanson est parfois « Je t’aime, moi non plus » !