Chacun connait l'attachement viscéral des internautes et plus encore des thuriféraires historiques du web à une liberté sans entraves.
Internet est encore perçu par certains comme un espace vierge sur lequel les lois nationales n'auraient pas prise. Il est vrai que le web a pour caractéristique de mettre à mal toute notion de territoire.
La distribution avait ainsi nécessairement vocation à être bousculée par le web, tant elle est marquée par la notion de territoire. Les solutions adoptées sont, selon les cas, favorables ou non aux distributeurs.
L'année 2013 n'a pas manqué de l'illustrer à plusieurs reprises, et encore récemment, avec la décision rendue par la Cour de cassation le 10 septembre 2013, dans le domaine de la franchise.
En l'occurrence et très classiquement, le contrat de franchise réservait un territoire à un franchisé et le franchiseur s'engageait à ne pas ouvrir de nouveaux points de vente dans le territoire concerné, afin de garantir au franchisé une zone de chalandise suffisante. Or le franchiseur a finalement ouvert un site Internet pour la vente des mêmes produits, évidemment accessible depuis le territoire du franchisé. Le site proposait en outre la livraison des produits chez le franchisé, sans rémunération de celui-ci.
Le franchisé, en redressement judiciaire, a poursuivi le franchiseur en lui reprochant une rupture fautive de leur contrat. La Cour d'appel lui a donné raison, estimant qu'il y avait là une violation de l'exclusivité dévolue au franchisé. Mais la Cour de cassation a cassé cette décision en soulignant que : " le contrat se bornait à garantir au franchisé l'exclusivité territoriale dans un secteur déterminé et que la création d'un site internet n'est pas assimilable à l'implantation d'un point de vente dans le secteur protégé ".
Cette décision est la réaffirmation d'une solution connue, la Cour de cassation ayant rendu une décision dans des termes tout à fait identiques le 14 mars 2006 ou encore, de façon plus nuancée, dans une autre décision en date du 14 février 2012.
Il est donc impossible d'interdire au franchiseur d'ouvrir un site Internet. Inversement, il est tout aussi interdit de l'interdire à un distributeur.
La solution, avancée par le Conseil de la concurrence dans une décision du 29 octobre 2008, a été définitivement posée dans la même affaire, en matière de distribution sélective, par un arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne en date du 13 octobre 2011 : « Une clause (...) interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation a, à tout le moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finals désireux d'acheter par Internet et localisés en dehors de la zone de chalandise physique du membre concerné du système de distribution sélective ».
Or, toute restriction des ventes passives (c'est-à-dire sans sollicitation de la part du vendeur) est considérée comme une restriction de concurrence caractérisée et, partant, fermement interdite. Il n'est ainsi pas possible à un concédant d'interdire à un distributeur exclusif de vendre sur Internet, ou à un franchiseur de l'interdire à un franchisé.
En matière de distribution sélective, la logique s'éloigne de la question du territoire
Il s'agit en revanche de ne pas interdire par principe un mode de commercialisation (c'est le cas pour Internet, mais c'est également pour la grande distribution, qui ne peut être refusée par principe).
Des exigences légitimes peuvent toutefois théoriquement être reconnues. En pratique, le cas semble peu probable. Ces exigences n'ont en effet pas été considérées comme remplies pour des produits Hi-Fi de haute qualité, pas plus que pour des produits de dermatologie. Ainsi, l'an dernier, l'Autorité de la concurrence a infligé une sanction de 900.000 € à Bang & Olufsen en raison de l'interdiction de fait de vendre ses produits sur Internet qu'elle édictait.
Et cette interdiction d'interdire a reçu une nouvelle illustration cette année.
Celle-ci sonne comme un épilogue, puisqu'il s'agit d'un arrêt rendu, par la Cour d'appel de Paris le 31 janvier 2013 dans la même affaire Pierre Fabre qui avait donné lieu à la décision du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008. La Cour d'appel approuve cette décision en ces termes : « la Décision relève exactement qu'en interdisant à ses distributeurs agréés la vente de ses produits sur Internet, excluant ainsi un moyen de commercialisation, la société PFDC limite la liberté commerciale de ses distributeurs, limite les possibilités de ventes aux acheteurs finaux non localisés dans leurs zones de chalandise 'physique' et restreint le choix des consommateurs désireux d'acheter sans se déplacer »
Elle relève enfin, après examen, qu'aucune justification objective ne permet d'exclure la vente sur Internet, observant d'ailleurs que dix concurrents de la société ont reconnu la possibilité de distribuer leurs produits sur Internet lors d'une procédure devant le Conseil de la concurrence.
La Cour observe également qu'il reste possible, sur Internet, de satisfaire les exigences de conseil personnalisé émises par Pierre Fabre, en prévoyant par exemple le recours à des vidéos ou encore à une hotline.
Il reste en effet possible de poser des limites à la distribution sur Internet, en imposant certains modalités. Ainsi, dans les réseaux de distribution sélective, il reste possible d'imposer des standards de qualité au site web (site Internet sécurisé, pages dédiées aux produits, limitation des produits vendus aux consommateurs pour éviter le commerce parallèle, délais de livraison ou semble-t-il possibilité de contacter un conseiller...) ou encore de subordonner la possibilité de vendre sur Internet à l'existence d'un point de vente physique voire de requérir la réalisation d'un chiffre d'affaires minimum dans ce point de vente physique.
Il convient toutefois que les exigences posées pour la vente en ligne soient comparables aux exigences posées pour la vente hors ligne, et que ces exigences soient proportionnées au but recherché.
L'appréciation qui est faite des restrictions apportées à la vente sur Internet n'est toutefois pas intangible. Le droit de la distribution est un droit économique, qui prend en compte l'évolution des secteurs concernés.
L'Autorité de la concurrence a d'ailleurs d'ores et déjà signalé – en rendant son avis relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique – qu'elle serait particulièrement attentive à ce que les modalités de vente en ligne retenues ne conduisent pas à restreindre excessivement la pression concurrentielle des opérateurs pure players.