« Incompréhensibles », les tarifs douaniers à l’importation imposés par l’Union européenne sur l’aluminium primaire ont coûté, depuis leur mise en place, près de 18 milliards d’euros aux PME du secteur en Europe, ce qui met l’avenir de ces dernières en danger.
Les droits d’importation sur l’aluminium sous forme primaire doivent être levés en Europe. C’est en tout cas l’appel lancé par la Fédération des consommateurs d’aluminium en Europe (FACE). A l’occasion d’une table ronde sur la stratégie industrielle européenne organisée par Politico, la fédération a présenté les résultats de sa dernière étude, réalisée par l’Université LUISS de Rome. Les conclusions sont éclairantes. L’Université romaine estime que « le maintien des droits d’importation sur l’aluminium brut a représenté un surcoût atteignant jusqu’à 18 milliards d’euros pour le secteur aval de l’aluminium dans l’UE ».
Alors que l’Europe dépend des importations pour plus de 74% de ses besoins et que l’aluminium primaire représente plus de 50 % des coûts de fabrication de produits semi-finis, une telle surcharge de coûts « constitue une menace pour la survie de l’industrie, composée essentiellement de milliers de PME », souligne l’étude.
Une capacité de production en perte de vitesse
Initialement mise en place il y a plusieurs décennies pour protéger les producteurs de l’Union européenne, la taxe de 6 % à l’importation n’a pas enrayé le déclin des fonderies et le processus de désinvestissement des grands groupes producteurs.
De fait, les fermetures se sont multipliées. Environ 700 emplois ont été détruits en Espagne après la fermeture, en avril dernier, de deux fonderies situées à Avilés et à La Corogne (nord-ouest). En France, la reprise des Fonderies du Poitou par le groupe anglo-indien Liberty House a de son côté permis de conserver quelque 600 emplois… sur 732.
Résultat : depuis 2008, l’Europe a perdu 30 % de sa capacité de production d’aluminium. Et ce, alors même que la demande de produits en aluminium de l’UE a augmenté de 3 % par an en moyenne. Un non-sens.
Des droits de douane aux conséquences néfastes
Comment expliquer que l’industrie de l’aluminium européen souffre de mesures justement censées la protéger ? Selon les résultats de l’étude de la LUISS, la sous-performance de l’industrie utilisatrice d’aluminium est directement liée aux droits de douane à l’importation sur les matières premières. « Les utilisateurs et les consommateurs de l’UE n’ont pas accès à l’aluminium sous forme brute à un prix hors taxes. Par un opaque mécanisme de marché, l’équivalent de la valeur du niveau le plus élevé de la structure tarifaire, soit 6 %, est inclus dans le prix de tout l’aluminium brut vendu dans l’UE, quelle que soit son origine », explique Roger Bertozzi, chargé des relations avec l’OMC et l’UE chez FACE.
Or, comme le note l’étude, les PME européennes subissent déjà une forte concurrence internationale, notamment de la Chine, en conséquence de la guerre commerciale menée par les États-Unis contre Pékin, qui engendre une importation massive d’aluminium chinois bon marché et pollueur.
L’aluminium chinois menace l’industrie locale en Europe
En 2018, le géant asiatique a produit 36,5 millions de tonnes d’aluminium, soit 56,5 % de la production mondiale totale (64,5 millions de tonnes). Rendues possible grâce aux capacités de production colossales des centrales à charbon chinoises, ces performances inquiètent de plus en plus. En février, l’Aluminium Association américaine alertait sur une « surcapacité de production de 11 millions de tonnes équivalente à 40 % du reste de la production mondiale ».
Or, comme de nombreux observateurs le redoutent, dans un contexte de guerre commerciale sino-américaine, « l’Europe ne va pas manquer de subir la concurrence accrue des produits transformés en aluminium made in China qui, pénalisés aux États-Unis, risquent de se réorienter vers l’Europe ».
Sauver l’industrie de l’aluminium européen
A moins que les autorités européennes ne décident de concrétiser l’objectif de renaissance industrielle qu’elles s’étaient fixé en mettant fin à une situation devenue impossible pour les consommateurs d’aluminium au sein de l’UE. « Non seulement les consommateurs d'aluminium de l'UE paient plus qu'ils ne devraient pour leur matière première, mais ils « subventionnent » contre leur gré les producteurs européens et extracommunautaires qui bénéficient des prix artificiellement élevés. Cette situation est injuste et destructive de valeur et d’emplois, elle ne peut pas continuer ainsi. », explique Mario Conservera, Secrétaire général de FACE.
Alors que le secteur aval de l’aluminium représente 92 % des emplois et 70 % du chiffre d’affaires de l’industrie européenne, la Fédération appelle à la levée des taxes, sous peine d’assister à la disparition pure et simple de l’industrie de l’aluminium en Europe et des milliers d’emplois qui vont avec. « Si des mesures ne sont pas prises tout de suite, la renaissance industrielle européenne restera un vœu pieux pour les PME du secteur. Notre politique industrielle peut devenir l’instrument d’une transformation vertueuse à condition de témoigner d’une volonté politique forte et d’adopter une approche globale », a insisté Roger Bertozzi.
Si comme l’a affirmé récemment la directrice des affaires européennes de Safran, Marie de Saint-Cheron, « une politique industrielle ambitieuse et déterminée est une priorité et une urgence pour l’Europe », alors l’Union doit libérer le secteur de l’aluminium en aval d’une situation aussi dommageable. Il n’y aura pas d’Europe forte sans industrie forte, tant elle est un moteur de croissance, de prospérité et de progrès social pour le continent.