Relations France-Italie : une commedia dell’arte?

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Par Pablo Bustamante Publié le 5 avril 2019 à 6h01
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@shutter - © Economie Matin

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement populiste italien en juin dernier, Paris et Rome multiplient les invectives et les menaces. Une opposition de façade qui masque mal des rapprochements et des intérêts communs. Car en coulisse, les deux nations se rejoignent, notamment sur la souveraineté numérique européenne, en témoigne le rapprochement de la société italienne iMeetingRoom avec le Français DiliTrust.

Depuis le 1er juin dernier, Paris et Rome entretiennent des relations… houleuses. Le nouveau gouvernement italien, porté par une majorité « mouvement 5 étoiles/ligue du Nord » multiplie les critiques à l’égard de la politique portée par Emmanuel Macron. Des provocations et des bravades de part et d’autre des Alpes, qui provoquent la pire crise diplomatique entre les deux pays depuis 1945.

Les sujets de tensions ne manquent pas : politique européenne, immigration, ex-terroristes italiens installés en France, Chantiers de l’Atlantique, Gilets jaunes… La vision fédéraliste de l’UE défendue par Macron rencontre de plein fouet le souverainisme affiché par les deux partis au pouvoir à Rome et sur le sujet des migrants, Rome estime que ses partenaires européens — et notamment la France — ont laissé la péninsule gérer seule les vagues migratoires provenant de Libye. Les leçons de morale et d’humanité du gouvernement français ont été, de ce fait, accueilli très fraîchement par les autorités et l’opinion publique italienne.

Une pièce de théâtre

Les sujets de discorde ne manquent pas… et pourtant, ce bras de fer diplomatique ressemble de plus en plus à une « commedia dell’arte ». Chacun joue son rôle et récite son texte, souvent avec emphase. C’est notamment le cas d’Emmanuel Macron qui fustigea « la lèpre populiste » dans un discours à Quimper, quelques jours après l’arrivée au pouvoir de la nouvelle majorité italienne. Une attaque contre Rome qui allait alimenter la surenchère diplomatique entre les deux pays pendant plusieurs mois, comme quand, en janvier dernier, Mateo Salvini qualifia publiquement le chef d’État français de « très mauvais président ».

À quelques mois des élections européennes, chaque camp prend garde de s’ériger un adversaire idéal, contre lequel les majorités et les électorats des partis au pouvoir peuvent se rassembler. Un combat de dupe qui ne trompe personne, car discrètement, les partenariats commerciaux continuent et s’intensifient.

Les organisations patronales Confindustria et Medef multiplient les collaborations pour traiter de la question européenne. Les relations culturelles et intellectuelles entre les deux pays n’ont jamais été aussi fortes, avec notamment le partenariat entre Sciences Po et la « Libre université internationale des études sociales » de Rome. Enfin et surtout, malgré toutes les déclarations diplomatiques, la France demeure le second partenaire commercial de l’Italie.

Fusion entre le Français DiliTrust et l'Italienne iMeetingRoom

Les deux pays nouent une relation d’autant plus stratégique qu’ils viennent de franchir ensemble une nouvelle étape dans le développement d’une offre commerciale à la mesure des enjeux de souveraineté numérique européenne. Le rapprochement entre le groupe français DiliTrust et l’entreprise italienne iMeetingRoom marque en effet l’émergence d’un nouveau poids lourd européen dans les solutions de gouvernance d’entreprises et de protection des données sensibles. DiliTrust est présente depuis plusieurs années sur le marché français, principalement auprès de groupe du CAC 40, pour sécuriser les échanges d’informations au sein des conseils d’administration via sa solution DiliTrust Exec. Une protection face à l’espionnage industriel, et un enjeu de plus en plus d’actualité : avec le « Cloud Act » américain, les États-Unis s’octroient désormais le droit d’accéder aux données stockées à l’étranger, dès lors qu’elles sont hébergées par une plateforme américaine (Microsoft, IBM, Amazon…) ou résidant aux États-Unis.

Le rapprochement entre DiliTrust et l’entreprise italienne iMeetingRoom se fait donc dans un contexte stratégique – alors même que Brainloop, entreprise allemande rivale, s’est faite acheter il y a quelques mois par l’américain Diligent, relançant les craintes, réelles ou fantasmées, d’« espionnage informatique » légalisé.

L’alliance entre les deux entreprises prend dès lors une tournure toute politique. Elle marque une étape supplémentaire pour la construction d’une infrastructure SaaS européenne de protection des données sensibles, autonome et hermétique à l’ingérence américaine, chinoise ou russe. Une étape parfois sous-estimée, mais pourtant essentielle pour la constitution d’une Europe indépendante économiquement et politiquement.

Un rapprochement économique symptomatique de l’état réel des relations entre Paris et Rome : derrière les bravades de façade, les échanges commerciaux sont courtois en coulisse et la collaboration entre les deux nations latines est particulièrement intense. Et sous les masques de cette triste scénographie diplomatico-politique, l’union commerciale (et politique) reste forte.

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Pablo Bustamante est diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (Master 2 Conseil et Management Stratégique International) et de l’Ecole de Guerre Economique (MBA en Stratégie d’Intelligence Economique). Après un début de carrière dans l’intelligence économique en tant qu’analyste risques pays (Institut pour la conquête des marchés), Pablo a rejoint l’équipe Transports & TIC d’Erdyn en 2017 en tant que consultant en innovation. Il a notamment participé à la définition d’un modèle économique d’une technopôle dans le domaine de l’électronique, à des analyses concurrentielles pour des projets de mobilité innovants, et est impliqué plus globalement sur des opérations de transfert de technologies. Aujourd'hui, Pablo occupe le poste de Consultant SSI au sein du cabinet Harmonie Technologie et travaille sur des sujets de gouvernance et d’analyse de risques.