Témoins d’une époque marquée tant par la précarité que par l’internationalisation du marché de l’emploi, les travailleurs d’aujourd’hui affirment la volonté de faire rimer emploi avec épanouissement personnel et d’inscrire leur valeur travail au cœur d’une société en mouvement. Quitte à inventer de nouveaux codes au sein des entreprises…
Les jeunes, des travailleurs (presque) comme les autres.
Pressés, carriéristes, rebelles, interconnectés, les qualificatifs ne manquent pas afin de dessiner les contours des jeunes générations qui parfois cadrent mal avec le monde de l’entreprise. « C’est une génération qui se plie plus difficilement à l’autorité que les précédentes », confie Frédérique Alexandre-Bailly, professeur de GRH et doyenne du Corps Professoral d’ESCP Europe. Une évolution liée aux nouveaux modes de vie pétris par les technologies, notamment dans la communication, avec lesquelles les « jeunes » ont grandi. La réalité semble néanmoins plus complexe que celle avancée par les partisans d’un choc des cultures, basé sur le seul argument générationnel.
Si baby boomers, générations X ou Y cohabitent parfois dans une ambiance crispée, les travailleurs désirent peu ou prou les mêmes choses. Ainsi, pour 76 % des jeunes, le travail constitue un élément essentiel du quotidien dont ils « ne souhaiteraient pas pouvoir se passer ». Respect, équité et épanouissement personnel demeurent les balises privilégiées par tous les actifs au cœur de leur parcours professionnel. Cependant, les jeunes générations confessent un plus fort besoin de reconnaissance. Dotés de fortes capacités d’adaptation, les nouveaux travailleurs sont en quête d’une entreprise qui les valorisent, leur permet d’évoluer et n’hésitent plus à créer leur propre modèle.
Renouer avec le sens et les valeurs.
Alain Fustec, Président fondateur de Goodwill Management, reconnaît que « les jeunes attendent une moralisation du capitalisme ». Cette aspiration coïncide avec une certaine désillusion vis-à-vis capitalisme libéral. De plus, pour Michel Guenaire, membre du Conseil d'analyse de la société et du comité d'évaluation de l'Institut de l'entreprise, les faillites de Lehman Brothers et la disgrâce de Wall Street révèlent les excès et la perte de sens d’un capitalisme financier basé sur la création de richesses purement virtuelles.
En première ligne face à la crise, les jeunes générations sont sensibles à cette prise de conscience : le travail participe de l’accomplissement personnel sans pour autant devenir l’unique vecteur de l’épanouissement. Si le monde de l’entreprise est celui de la création de richesses, il s’inscrit également dans un projet collectif. Une tendance chez les jeunes est ainsi de s’associer avec des proches afin de réaliser leur projet d’entreprise. Une démarche affective et vraisemblablement rassurante dans un univers de l’entreprise réputé ardu. Il permet une synergie souvent positive pour l’entreprise dans la mesure où les associés se connaissent bien et partagent les mêmes valeurs. Un climat de confiance bénéfique où chacun peut compter sur une stratégie d’entreprise souvent plus humaine.
Car l’éthique et le comportement sain de chaque acteur sont pour les jeunes un gage de future croissance de leur entreprise. C’est le cas de Sarah Dufour et Gérald Levy qui ont fondé Cyclopolitain. Evoluant dans le secteur du green business, l’entreprise est devenue en quelques années le leader français des solutions de transport et d’affichage écologiques pour les entreprises et les particuliers. Cette quête de sens est également source de motivation pour un autre tandem d’entrepreneurs, Bertile Burel et James Blouzard. La cofondatrice de Wonderbox explique qu’elle et son époux placent l’éthique relationnelle au centre de leur stratégie de développement, avec des incidences directes sur les relations avec leurs salariés et leurs partenaires, mais aussi avec leurs clients.
Une incidence qui se mesure de manière tangible grâce à des taux de satisfaction partenaires et clients qui gravitent en permanence au-delà des 90%. L’exigence de qualité et la satisfaction induite sont les conséquences directes d’un respect du client érigé en principe fondateur. Ces « nouveaux entrepreneurs » ont aussi à cœur d’engager des collaborateurs dotés d’un intérêt pour le secteur du loisir avec l’idée qu’ils « s’épanouiront personnellement dans l’entreprise, attacheront un sens à leur métier et feront preuve de conscience professionnelle ».Cette philosophie de la qualité des relations humaines appelle de nouveaux mécanismes au sein de l’entreprise
Un nouveau management.
« Toutes les générations possèdent leur lot de défis mais celle-ci est la plus ‘challengeante’ car elle remet en question toutes nos méthodes de management et nous force à revoir nos modèles », confie François de Wazières, directeur international du recrutement chez L'Oréal. Les nouvelles générations ont à cœur de s’approprier les méthodes de management développées pour les baby-boomers et de proposer des solutions permettant tant l’autonomie du salarié qu’une meilleure proximité des dirigeants. Les principes du management horizontal sont ainsi adoptés par de jeunes chefs d’entreprise tels que Boris Saragaglia. « Je me vois surtout comme un coéquipier (…) Nous avons une approche de la hiérarchie très plate au sein de Spartoo : on discute avec moi comme avec les autres », confie l’architecte de la success story du e-commerce. La priorité est également donnée au travail en équipe et à la confiance privilégiant alors la cohésion d’entreprise. C’est cet esprit start-up qu’envient les grands groupes organisés selon des modes plus traditionnels et qui font le succès de toute une génération de jeunes entrepreneurs.
Ces nouveaux travailleurs bousculent un monde de l’emploi pour finalement en révéler les mutations. Une tendance qui pousse les grandes écoles de commerce dont HEC à proposer des formations plus en phase avec ce « désir d’éthique ». Une piste à suivre face à la crise ?