L'entreprise est une aventure extraordinaire. Plonger et replonger dans l'inconnu, repartir de zéro. Le chef d'entreprise comme l'aventurier connaissent les risques à prendre pour se construire. Ils ont besoin l'un comme l'autre de cet "esprit d'aventure". Patrice Franceschi, écrivain et aventurier, a confié à Economie Matin sa vision de "l'esprit d'aventure".
La capacité au risque, intrinsèquement liée à la notion d'aventure, s'appuie toujours sur un certain mépris du confort et de la sécurité, aussi bien intellectuel que physique. Or, chacun le voit bien, notre société glisse chaque jour davantage sur la pente d'une recherche éperdue de sécurité.
Contrairement à ce que l'on croit souvent, c'est le besoin de sécurité qui mène les hommes depuis qu'ils existent, bien plus que l'argent, le sexe, le pouvoir ou les passions. Qu'une société ait la capacité à assurer le plus de sécurité possible à ses membres est un bien en soi, naturellement. Ce qui fait problème, c'est le lien toxique qui existe souvent entre liberté et sécurité. Il est malaisé d'augmenter l'une sans diminuer l'autre. Dans bien des domaines, nous ne sommes déjà plus, en droit, autorisés à prendre des risques. L'homme occidental vit ligoté dans un maquis inextricable de règlements qui le contraignent à la sécurité et lui ôtent toute liberté de choix. Même dans des activités anodines comme celles de plein air, en mer ou en montagne, l'examen attentif des règlements produits année après année montre qu'on ne pourra bientôt plus s'y déplacer que sous la chape pesante d'une sorte de big brother invisible et d'autant moins critiquable qu'il se veut bienveillant pour nos vies. Il ne s'agit pas de remettre en cause les compétences que l'on oblige chacun à acquérir dans ces domaines. Il s'agit de constater la tendance fantasmatique vers le risque zéro comme on parle pour la guerre du zéro mort. Et c'est autre chose : une conception du risque liée à la valeur de plus en plus suprême accordée à la vie conçue en tant que quantité et non qualité.
Les marchands sont dans le temple et les hommes chargés de les chasser, les politiques, manquent à cette fonction élémentaire.
Dans ces conditions générales, pas d'étonnement à ce que l'esprit d'aventure déserte peu à peu nos cités occidentales après vingt-cinq siècle de présence aussi active qu'invisible. Et cela au moment même où il semble s'épanouir dans les civilisations qui nous entourent. Ce déséquilibre est dangereux. Nous devons nous demander si la « modernité » à laquelle nous sommes parvenus n'est pas en train de laminer définitivement l'esprit d'aventure du fait de son matérialisme outrancier et d'une conception de la vie dénaturée. Et nous devons nous demander de quelle manière résister. Car sans esprit d'aventure, cet autre nom de la liberté, comment pourrions-nous continuer à être vraiment nous-mêmes ?