La BCE a t-elle vraiment fermé son guichet aux banques commerciales grecques ?

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Par Captain Economics Publié le 9 février 2015 à 5h00
Bce Grece Eligibilite Refinancement Guichets Banques
@shutter - © Economie Matin
0,05 %Le taux d'intérêt de la BCE pour ses emprunts accordés aux Etats est actuellement de 0,05 %.

Hier soir vers 21h30, la Banque Centrale Européenne a annoncé qu'elle n'accepterait plus, à partir de 11 février, les obligations émises ou garanties par l'Etat Grec dans le cadre de ses opérations principales de refinancement (source : "Eligibility of Greek bonds used as collateral in Eurosystem monetary policy operations").

Vous n'avez rien compris à cette phrase ? Pas de panique ! Si vous voulez briller en société ce week-end en plaçant le concept "d'Emergency Liquidity Assistance" ou "d'éligibilité de collatéral" discrètement entre deux bières, cet article est fait pour vous. Pour arriver à cela, nous allons donc (1) faire un rappel du fonctionnement des opérations de refinancement de la BCE, (2) expliquer le principe des collatéraux et les critères d'éligibilité des actifs, et (3) voir si les banques grecques vont mourir dans d'atroces souffrances. Beau programme.

Au sein de la zone euro, lorsqu'une banque commerciale a besoin de liquidité, elle peut se refinancer auprès de la Banque Centrale Européenne via les "Opérations d'Open Market" hebdomadaire de la BCE. Il est important de bien comprendre que lorsqu'une banque veut emprunter de l'argent auprès de la BCE, elle n'a pas juste à venir avec un grand sourire en demandant un prêt à Super Mario ! Les "prêts" accordés par la BCE le sont sous la forme de cession temporaire : lorsqu'une banque souhaite emprunter de l'argent, elle cède temporairement des actifs (en échange de cash €€€), en s'engageant en contrepartie à racheter ces actifs une semaine plus tard au prix initial auquel s'ajoute un certain montant correspondant au taux d'intérêt demandé par la BCE (= 0,05% actuellement).

"Les BCN peuvent effectuer des opérations de cession temporaire soit sous forme de prises en pension (la propriété de l'actif est transférée au créancier, tandis que les parties acceptent de dénouer l'opération par une rétrocession de l'actif au débiteur à une date ultérieure), soit sous forme de prêts garantis (une sûreté opposable est constituée sur l'actif mais, sous réserve de l'exécution intégrale de l'obligation, l'actif demeure la propriété du débiteur). [...] La différence entre le prix d'achat et le prix de rachat dans le cadre d'une pension correspond aux intérêts dus sur le montant emprunté ou prêté pour la durée de l'opération, c'est-à-dire que le prix de rachat comprend les intérêts dus à l'échéance" (source : BCE - "La mise en oeuvre de la politique monétaire en zone euro")

Sur le principe, c'est un peu comme si votre voisin venait vous voir en vous disant : "j'ai besoin de 100 euros : je te vends ma montre en or aujourd'hui à ce prix là et je te la rachète dans un an au prix de 105 euros". Dans cet exemple, vous allez sûrement accepter car en cas de défaut de votre voisin, vous gardez la montre pour vous, et s'il vous rembourse, vous avez gagné 5 euros. Mais si votre voisin vous demande la même chose mais en vous apportant en garantie le coffret intégral de Charles Aznavour, vous allez peut-être réfléchir un peu plus longuement... Et bien c'est un peu la même chose pour une Banque Centrale, sauf qu'une Banque Centrale est encore bien plus exigeante que vous sur les actifs pouvant être apportés en garantie.

Mais quels sont justement ces "actifs" qu'une banque commerciale peut céder temporairement à la BCE dans le cadre des opérations d'open-market ? Il existe une liste de colatéraux éligibles ("eligible collateral"), qui est spécifique à chaque Banque Centrale mais globalement le concept est le même : les actifs éligibles sont en majorité des obligations (d'Etat, d'agences supranationales, de banques, ou d'entreprises) répondant à un critère minimum de qualité (voir la partie "Credit standards" dans le tableau ci-dessous extrait de "Collateral eligibility requirements: a comparative study across specific frameworks"). La Banque Centrale Européenne accepte aussi certains prêts bancaires (actifs non-négociables), et ce depuis juillet 2005 ; bien sûr il ne s'agit pas là de votre prêt à la consommation chez le petit bonhomme vert, mais de prêts d'un montant relativement important accordés par une banque à une grande entreprise par exemple (source: "Non-marketable assets - Eligibility Criteria")

Pour la Banque Centrale Européenne, ce critère minimum de qualité est une notation allant de AAA à BBB- ; en théorie donc, une obligation souveraine notée B- ou C+ ne peut pas être utilisée dans le cadre des opérations de refinancement de la BCE. Mais ça, c'est en théorie ! En effet, en mai 2010, au moment où la crise de la dette souveraine touchait de plein fouet la Grèce et où le risque de faillite massive des banques grecques était réel, la Banque Centrale Européenne a mis en place une mesure spéciale afin d'accepter les obligations émises par l'Etat Grec en tant que collatéral, et ce malgré le fait que la notation de la Grèce était de "BB", donc inférieure au minimum requis par la BCE (source : "ECB announces change in eligibility of debt instruments issued or guaranteed by the Greek government").

"The Governing Council of the European Central Bank (ECB) has decided to suspend the application of the minimum credit rating threshold in the collateral eligibility requirements for the purposes of the Eurosystem's credit operations in the case of marketable debt instruments issued or guaranteed by the Greek government. This suspension will be maintained until further notice." May 2010

Depuis cette date, la BCE a une première fois suspendu cette dérogation en février 2012 au moment du "Private Sector Involvment" (= l'effacement d'environ 100 mds de dette grecque), avant de ré-accepter les obligations grecques à partir de décembre 2012, avec un "haircut" spécial (c'est à dire pour faire simple "tu m'apportes en garantie 100 euros d'obligations grecques, je te prête au maximum 70 euros" ; le haircut étant alors de 30%).

Hier soir donc, la Banque Centrale Européenne n'a pas donc pas "fermé ses guichets" aux banques grecques, mais a plus précisément supprimé la dérogation accordée à la Grèce, en revenant au principe "BBB- ou j'en veux pas". La Grèce étant actuellement noté B- par Standard & Poor's et CCC par Fitch et Moody's, les banques commerciales grecques ne peuvent plus apporter en garantie des obligations souveraines grecques en tant que collatéral. Mais comment les banques grecques vont-elles pouvoir se refinancer désormais ?

Tout d'abord, il est important de noter que la situation a fortement changé entre 2010 et 2015, et que désormais les banques grecques ne détiennent que très peu d'obligations de leur Etat chéri. Pour voir cela, il suffit d'aller sur le site de la "National Bank of Greece", et d'aller voir les statistiques sur "Aggregated balance sheets of monetary financial institutions (MFIs)". Actuellement, sur un montant total d'actifs d'environ 500 milliards pour l'ensemble des banques grecques (intéressant de voir au passage que l'ensemble des banques grecques ont un bilan total 4 fois plus petit que la BNP toute seule), les obligations souveraines de l'Etat grec ne représente que 18 milliards d'euros, soit 3,6% du total des actifs.

Il est de plus important de noter que les obligations souveraines représentent, contrairement à ce que l'on pourrait penser, moins de 20% des collatéraux apportés en garantie lors des opérations de refinancement. Le graphique ci-dessous illustre cela (source: "Eurosystem Collateral Data") : sur un total de 1840 mds de collatéral utilisés pour l'ensemble de la zone euro, les obligations souveraines ne représente en effet que 342 mds ("Central Government Securities" dans le graphique ci-dessous). Les "bank bonds" (sécurisés ou non) représentent quant à eux 550 milliards de dollars. Attention ici, il s'agit de la situation à l'échelle européenne, et non pas de la situation particulière des banques grecques qui est sûrement un peu particulière (mais les données ne sont pas disponibles pays par pays ou banque par banque)...

Le guichet de la BCE n'est donc pas totalement fermé pour les banques commerciales grecques, qui peuvent toujours utiliser d'autres actifs dans le cadre des opérations de refinancement. Cependant, et même si les banques grecques ne détiennent qu'un montant limité d'obligations souveraines grecques, il est possible d'estimer avec une louche géante que 10 milliards de liquidité vont manquer directement suite à cette annonce (louche géante = 18 mds d'obligation * pas toutes utilisées en collatéral * haircut de la BCE = 10 mds). Mais un problème de liquidité au même moment ou un risque de "bank-run" apparaît (baisse des dépôts des épargnants grecs qui ont peur de la situation économique suite à l'élection de Syriza), cela peut vite tout faire claquer ! Et en plus, à partir du 1er mars 2015, et même si cette décision date de 2013, d'autres actifs vont sortir de la liste des actifs éligibles, asséchant encore plus encore les collatéraux disponibles pour les banques grecques.

"The Governing Council of the European Central Bank (ECB) has adopted Decision ECB/2013/6, which prevents, as of 1 March 2015, the use as collateral in Eurosystem monetary policy operations of uncovered government-guaranteed bank bonds that have been issued by the counterparty itself or an entity closely linked to that counterparty." ("ECB announces changes to the use as collateral of certain uncovered government-guaranteed bank bonds" - Mars 2013)

Et c'est là qu'arrive THE solution de la dernière chance : l'Emergency Liquidity Assistance (ELA). Lorsqu'une banque ne peut plus ou n'est plus autorisé à se financer auprès de la BCE, par exemple tout simplement car elle n'a plus d'actifs éligibles à apporter en garantie, une banque peut alors obtenir des liquidités auprès de sa Banque Nationale (ici donc la Banque Nationale de Grèce), en payant un taux d'intérêt supérieur et pour des montants relativement limités (taux de 1,55%, contre 0,05% auprès de la BCE). Les banques grecques sont déjà pas mal habituées à l'ELA, qui a été largement utilisé au moment de la crise, mais aussi très récemment, début janvier 2015, à la suite d'une forte baisse des dépôts ayant entrainé un problème de liquidité (source: "Greek banks make requests for ELA funding").

Mais comment fonctionne l'Emergency Liquidity Assistance ? Et bien globalement de la même manière que les opérations de la BCE, sauf que (1) les actifs éligibles sont bien plus larges, (2) le taux d'intérêt est plus élevé, (3) le prêt est accordé par la Banque Nationale du pays concerné qui assume alors les coûts et les risques liés à la fourniture de la liquidité d'urgence. Mais la BCE garde un contrôle sur tout cela : en effet, les opérations dans le cadre de l'ELA peuvent être interdites par la BCE si celle-ci juge que les opérations "ELA" interfèrent avec les objectifs et les missions de l'Eurosystème (voir pour tous les détails les "Procédures relatives à la fourniture de liquidité d'urgence"). Par exemple, la BCE peut interdire une opération ELA (= voter la mort d'une banque à la majorité des deux tiers) si elle juge qu'il s'agit d'un problème de solvabilité (et non de liquidité) et qu'une opération d'apport de liquidité ne ferait que retarder la faillite d'une banque (voire même amplifier les dégâts en gonflant la bulle avant qu'elle n'explose).

Conclusion : La BCE n'a donc pas fermé ses guichets au sens propre. Mais en rétrécissant la liste des actifs éligibles dans le cadre des opérations de refinancement, elle a envoyé un signal assez clair au nouveau gouvernement grec : "soyez sages et faites des efforts ; sans la BCE, votre système financier est mort" ! Bon cela n'a pas été dit officiellement comme cela (= une lecture "Captainistique" de la situation... totalement subjective je vous l'accorde), mais cela ressemble fort à un durcissement de la position de la BCE sur le problème grec histoire de faire plaisir aux allemands, une semaine après avoir passé le Quantitative Easing contre la volonté allemande ! Bref, tout le monde est content... Ou presque ! Parlez-en donc aux grecs de Syriza, parti démocratiquement élu et dont le programme politique se fait (plus ou moins directement) attaqué au bout d'une semaine par une institution ne devant en théorie pas intervenir dans la politique des Etats membres...

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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