Nicolas Miguet est président de l’ARARE, L'association pour la Représentation des Actionnaires Révoltés, créée en 2005. Pour Economie Matin, il détaille les ressorts de la mobilisation de son association contre les actions de certains fonds d’investissement, en particulier ceux se livrant aux activités de ventes à découvert.
Vous avez pris l’initiative d’une lettre que vos adhérents peuvent envoyer à Bruno Le Maire. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa finalité ?
La lettre que je propose à tous les actionnaires individuels de télécharger a pour but d’interpeller le ministre de l’économie Bruno Le Maire sur les agissements de fonds d’investissements qui s’attaquent à des entreprises françaises en bonne santé pour des motifs de pure spéculation. Ces sociétés, ces short-sellers ou vendeurs à découvert, louent des actions à des tiers, les revendent, attendent la chute du cours – ou l’encouragent… - puis les rachètent à bas prix pour les rendre à leur propriétaire initial en empochant la différence. Ce que je note en premier lieu, c’est le ras-le-bol des actionnaires que je représente vis-à-vis de ces fonds symbole d’un capitalisme de prédation : nous avons déjà reçu copie de plus d’un millier de lettres envoyées à M. Le Maire sur ce sujet.
Que traduit cette mobilisation des actionnaires en faveur de votre démarche ?
Nous assistons à un véritable phénomène d’exaspération des actionnaires individuels contre les effets et les excès de ce capitalisme dévoyé, représenté par des fonds d’investissements vautours, la plupart du temps étrangers. Il est incompréhensible que des personnes et des entreprises consacrent leur temps, leur énergie et les capitaux qui leur sont confiées à fragiliser voire à détruire d’autres entreprises saines et bien portantes, et cela en toute impunité à seule fin de générer toujours plus de profit.
Ces fonds ne jouent-ils pas le rôle de « lanceurs d’alerte » qu’ils revendiquent ?
On ne peut pas se revendiquer « lanceur d’alerte » lorsqu’on est suspecté de manipulation de cours, et c’est bien précisément ce que reproche l’AMF au fonds américain Muddy Waters par exemple, qui s’en prend à Casino depuis 2015. Ces fonds sont à la fois juges et parties, leur notoriété et leur influence étant suffisantes pour des « prophéties auto-réalisatrices » : il leur suffit désormais de prendre des positions sur les marchés pour créer une tendance. Ces sociétés prennent des positions à la baisse, puis ensuite informent les marchés de problèmes avec la société visée : comptes suspects, perspectives pessimistes… Peu importe qu’ils aient tort ou raison, le temp que les marchés corrigent d’éventuelles erreurs, il est trop tard : la société cible se retrouve le couteau planté dans les reins, pendant que le fonds vautour empoche de juteux bénéfices. Cet argent sert pour partie à rémunérer les personnes ou les entreprises qui leur ont confié des fonds, mais il est aussi réinvesti plus tard sur d’autres dossiers susceptibles de faire d’autres victimes. Ces fonds d’investissement ne vivent que de prédation.
Le problème vient du pouvoir que se sont octroyé ces fonds d’investissement en devenant également agences de notation, ou peu s’en faut. Peut-on admettre un système dans lequel un acheteur a le pouvoir d’influencer dans des proportions considérables le prix auquel il achète un bien ? L’expérience nous a appris que les sociétés qui disposent d’un tel pouvoir en abusent systématiquement. Pourquoi se limiteraient-elles ? Elles ne font pour l’instant l’objet d’aucune sanction de la part des autorités de régulation telles l’AMF en France, autorité sous la tutelle de Bercy et donc de M. Le Maire.
Quand M. Le Maire se rend à Belfort pour déplorer l’attitude inacceptable de GE, nous lui répondons que bien des décisions courageuses pourraient être prises déès aujourd’hui pour éviter que d’autres entreprises subissent le même sort. Commençons donc par sortir du jeu ces fonds vautours qui menacent des entreprises françaises.
Concrètement quelles sont les conséquences de ces pratiques ?
De telles pratiques ne sont plus tolérables ; c’est une négation du capitalisme dont l’un des buts est précisément de réunir des capitaux pour construire, créer ou lancer une affaire. Le mécanisme est diaboliquement simple mais surtout, il ne crée aucune valeur : il ne fait qu’en détruire ! Plus l’entreprise cible est mise en difficultés, plus grand est le bénéfice ! Ce sont 77 000 emplois menacés chez Casino, 40 000 emplois chez Atos, près de 25 000 emplois chez Valéo. Comment est-il possible ou même concevable que le fonds américain Elliott puisse par exemple venir donner de leçons de gouvernance à Pernod Ricard, une société par ailleurs plutôt bien gérée, avec seulement 2% du capital fraichement acquis ?
Quelles sont les marges de manœuvres des pouvoirs publics et des autorités de régulation ?
Nous voulons que le gouvernement et les autorités de régulation prennent clairement position contre ces pratiques et exigent par exemple de connaitre les identités des personnes ou des sociétés derrières ces short-sellers, à la fois les actionnaires de ces sociétés mais aussi l’identité des sociétés qui leur confient des fonds, selon la logique anglo-saxonne du Name and Shame. Il serait intéressant de savoir qui tire les ficelles et qui a intérêt au démantèlement de certains groupes. Il n’est pas exclu par exemple qu’un grand équipementier chinois ait intérêt à fragiliser Valéo et soit à la manœuvre en coulisse. Il est également possible que nous trouvions des entreprises bien françaises derrière l’intermédiaire anglo-saxon. L’AMF est aujourd’hui face à deux difficultés rédhibitoires pour certaines entreprises françaises : ses possibilités d’action et de sanction ne sont pas assez dissuasives, et ses investigations prennent trop de temps, temps qu’une entrepris. C’est tout l’objet de la mobilisation des actionnaires que je représente : nous devons agir ou pousser à l’action avant qu’il ne soit trop tard.