La réponse est non.
Ce qui se passe à Chypre est important pour tous, au-delà de simplifications qui peuvent égarer (et inquiéter) non seulement les Chypriotes, mais aussi les membres de la zone euro.
On lit en effet, sous la plume de certains analystes (anglo-saxons) qu'avec la mise en place d'un contrôle des mouvements bancaires dans les banques chypriotes, pour éviter que les comptes soient vidés à l'occasion de la réouverture des banques, qu'un « euro chypriote » est né. Ce serait une monnaie différente de l'euro du reste de l'Europe, en rupture avec ses règles et ses principes.
On entend aussi, à la suite des propos du Président de l'Eurogroupe, que le paiement de la crise bancaire par les déposants eux-mêmes pourrait, à partir d'un certain montant, faire partie de la trousse à outils classique de sortie de crise bancaire (mais il est revenu sur ces propos...).
Qu'en est-il ? L'euro-chypriote existe-t-il ? L'utilisation des dépôts, autrement dit un prélèvement, est-il désormais possible en cas de crise bancaire ? La réponse est non, deux fois.
D'abord, il faut préciser les choses : Chypre est une petite île qui a toujours cherché à voir comment se développer dans sa région. Ses capacités agricoles sont limitées (problème d'eau), ses potentialités industrielles plus encore. En revanche, elle excelle dans le tourisme et le commerce, notamment dans sa variante financière.
Chypre devient ainsi une place de gestion d'avoirs venus « de l'autre côté de la Méditerranée », à quelques kilomètres de là en réalité, puis plus récemment de Russie, assez proche en fait, et climatiquement plus accueillante. La voilà devenue un centre offshore, la seule de son espèce de cette taille dans la zone euro : rien à voir avec Malte, pour être précis. Voilà en quoi elle est si particulière.
Ensuite, cette évolution de la finance de l'île a conduit à des prises de risques et à des instabilités très fortes, notamment parce que les banques chypriotes ont largement investi en bons du trésor grec, dont la valeur a pratiquement disparu avec la crise de ce pays.
Ainsi Chypre devient un pays de plus en financièrement fragilisé, avec une exposition bancaire qui est l'équivalent de 6 fois son PIB.
Dans un tel cas, on comprend qu'il faut trouver une façon de payer les pertes qui ne mette pas le pays à bas.
La voie grecque, celle d'une réduction forte de la dette du pays n'est pas la solution, puisque la crise chypriote est bancaire – et qu'une telle réduction de la dette publique nationale la renforcerait encore (sans compter qu'elle ruinerait les retraités et les assurances).
La voie espagnole d'une baisse des salaires pour regagner en compétitivité, et donc repartir par l'exportation, est possible en partie, mais elle n'est évidemment pas à la mesure du problème. On voit l'effet sur l'économie d'une baisse des salaires de 20 % en Espagne ou en Grèce : c'est la limite.
Reste une voie islandaise, celle d'un prélèvement sur les dépôts bancaires, détenus par des propriétaires nationaux et internationaux. Mais il se trouve que cette voie est refusée par les députés eux-mêmes, et par le peuple bien sûr. En termes de realpolitik, ce choix (qui avait été proposé par les politiques chypriotes eux-mêmes) aurait permis d'expliquer aux avoirs étrangers, essentiellement russes, que la population locale, évidemment plus pauvre, s'était imposée elle-même un sacrifice – donc que le leur était somme toute légitime.
Le refus des députés a conduit à trouver une autre solution, celle qui consiste à créer une bad bank qui paiera la crise et une good bank qui recevra les dépôts inférieurs à 100 000 euros – mais le mal était fait. Triplement.
Ce mal, c'est d'abord d'inquiéter tous les Chypriotes, puis tous les membres de la zone euro, sur leurs dépôts, notamment au-dessus de 100 000 euros. Ce mal, c'est de laisser entendre que le prélèvement sur les dépôts fait désormais partie de l'arsenal anti-crise bancaire de la zone euro. Ce mal, c'est de fragiliser la liquidité des banques au moment même où les régulateurs leur en demandent davantage.
Donc des contrôles vont accompagner l'ouverture des banques chypriotes ces jours-ci, notamment pour les gros montants, les autres devant se réduire assez vite. Une autre monnaie euro n'est pas née, mais l'économie de l'île est fragilisée. Donc, la zone euro doit renforcer bien plus sa surveillance des banques, notamment leur taille par rapport au PIB, a fortiori en tenant compte de l'origine des fonds.
Il ne s'agit pas de suspicion, c'est un autre sujet, mais de stabilité des ressources des banques : les avoirs externes sont toujours plus volatiles, une logique offshore ne peut coexister avec le nécessaire renforcement de la stabilité de la zone euro. Enfin, la qualité des banques va faire l'objet de plus d'attention que jamais. Les meilleures vont avoir des clients plus sûrs, et un financement moins cher, « les autres » vont devoir s'adapter. Il y aura de la sélection et de la concentration.
Toutes ces crises, avec Chypre dernière en date, peuvent inquiéter et susciter des critiques, sauf si on perçoit la logique qui est en œuvre - la correction d'anomalies, et son sens – la nécessité de plus de supervision bancaire dans le cadre d'une union bancaire au niveau européen, avec des banques plus solides.