Interview de François Hollande sur France 2: quels sont les enjeux ?

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Par JOL Press Modifié le 28 mars 2013 à 14h17

Le chef de l'Etat sera l'invité exceptionnel de France 2, jeudi 28 mars à 20h 15, et répondra pendant environ quarante-cinq minutes aux questions du journaliste David Pujadas. Décryptage de Christian Delporte, directeur du Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines.

JOL Press : L'Elysée a choisi l'interview pour l'intervention du Chef de l'Etat. Que pensez-vous de cette nouvelle stratégie de communication ?

Christian Delporte : François Hollande a opté pour une intervention des plus classiques, loin des shows politiques (Mitterrand avec Mourousi, en 1985, Chirac sur TF1 en 1996 ou 2005) ou des dialogues avec de « vrais Français », comme Sarkozy en 2011 ou 2011 (« Paroles de Français »). Quand on choisit d'être interrogé par un seul journaliste, c'est qu'on souhaite réduire les risques au minimum et contrôler ses propos au plus près. On sait par ailleurs que Hollande s'est préparé attentivement à l'émission : rien à son agenda de jeudi à part l'interview de France 2.

JOL Press : Pourquoi ne pas avoir choisi le JT ou la déclaration officielle depuis le Palais de l'Elysée ?

Christian Delporte : L'avantage du JT, c'est l'audience. Pourquoi France 2 ? Sans doute parce que Hollande était intervenu sur TF1, en septembre. Une déclaration officielle aurait eu un sens si, sur un sujet précis, le Président avait eu une nouvelle importante à annoncer ou à commenter. Ici, il s'agit plutôt de faire un tour d'horizon des questions qui préoccupent l'opinion, de faire de la « pédagogie », selon le mot désormais classique, pas d'annoncer des mesures ou des décisions tonitruantes.

JOL Press : François Hollande se met-il ainsi en danger ?

Christian Delporte : Il se met en danger puisqu'il intervient dans un contexte d'impopularité record. Mais la forme choisie de l'interview le tempère. Le « face-à-face » avec un seul journaliste (comme aimait à le pratiquer Chirac, toujours mal à l'aise à la télévision) comporte moins d'inattendus, moins de périls de déstabilisation que, par exemple, avec des Français « ordinaires ». On se souvient, par exemple, qu'en 2010 Sarkozy, qui avait voulu cet échange direct, s'était heurté avec le syndicaliste Pierre Le Menahès, devenu la vedette de la soirée.

JOL Press : David Pujadas va-t-il, selon vous, « bousculer » le chef de l'Etat ?

Christian Delporte : Si David Pujadas paraît trop complaisant à l'égard de François Hollande, il devra affronter les foudres de ses confrères le lendemain. Ce qu'on attend d'un interviewer, ce n'est pas qu'il « bouscule » son invité moins encore qu'il apparaisse comme son contradicteur. On lui demande de faire son métier : maîtriser ses dossiers, ne laisser passer ni mensonge, ni approximation, ni langue de bois, relancer son invité s'il n'a pas répondu à la question et, au fond, ne pas oublier que l'homme important sur le plateau, ce n'est pas lui avec ses questions, mais son interlocuteur avec ses réponses.

JOL Press : François Hollande est au plus bas dans les sondages. Quelle devrait être la meilleure posture que pourrait prendre le Chef de l'Etat pour retrouver la confiance des Français ?

Christian Delporte : Aujourd'hui, l'impopularité de Hollande repose sur une forme de fatalisme de l'opinion : ils ne croient plus à l'action des politiques. Le « contrat de confiance » avec le Président, fragile dès son arrivée à l'Elysée, s'est rompu rapidement. Pour espérer franchir un premier pas pour regagner la confiance nécessaire, il doit clairement indiquer le cap, c'est-à-dire à la fois montrer qu'il tient fermement le gouvernail du pays et fixer les étapes précises du redressement. Les Français acceptent les efforts, à condition qu'ils soient partagés, mais aussi qu'on leur dise où on va, quand et où on doit arriver, quand et comment reviendra l'éclaircie. Aujourd'hui, les Français ne parviennent plus à se projeter dans l'avenir : c'est d'avenir que le Président doit leur parler.

JOL Press : A qui François Hollande devrait-il s'adresser en premier ? Ne doit-il pas souhaiter réunifier la gauche ?

Christian Delporte : Le Président, par définition, s'adresse à tous les Français. Que l'électorat de droite lui soit hostile, c'est dans l'ordre des choses. Mais les derniers sondages et les récentes élections législatives partielles ont indiqué un effritement inquiétant de son socle partisan. Il lui faut donc montrer, à un an des municipales qui s'annoncent rudes pour les socialistes, qu'il n'a pas trahi ses promesses de campagne et qu'il mène une politique de gauche. C'est donc d'abord son électorat qu'il doit rassurer. Et c'est sa perception de l'émission qu'il faudra examiner à la loupe lorsque, vendredi, paraîtront des sondages avec la sempiternelle question : « Le Président vous a-t-il paru convaincant ? ».

JOL Press : La dernière apparition de François Hollande à la télé remonte à son élocution du 31 décembre. Pourquoi fallait-il qu'il s'exprime à cette date précise ?

Christian Delporte : Cette interview correspond à une opération de communication lancée il y a quelques semaines et qui comportait plusieurs étapes : invitation des médias à l'Elysée, voyage à Dijon « au contact des Français » et intervention télévisée. Un chef de l'Etat est toujours partagé entre la volonté de parler peu pour éviter de banaliser sa parole et s'exprimer souvent pour montrer qu'il est au travail, voire sur le terrain. L'inquiétude montante et l'impopularité croissante ont incité Hollande (et ses conseillers) à opter pour la seconde solution. Mais, alors, le Président n'a pas droit à l'erreur, ce soir.

JOL Press : Quelle est la principale qualité, en matière de communication, de François Hollande ?

Christian Delporte : Le naturel, le sens de la proximité et du contact. C'est aussi un homme de tribune et un bon débatteur. Toutes qualités difficiles à exprimer dans la forme très codée de l'interview. Par ailleurs, pour être convaincant, il faut être deux : c'est aussi du journaliste-interviewer et de la qualité de l'échange que dépendent l'impact de l'émission.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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Christian Delporte est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l'histoire des médias et de la communication politique, il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007) et Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009).

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