Pour lire l'extrait précédent, c'est par ici.
[...] Les auteurs de l’enquête ont affiné le résultat en excluant, parmi ces trente accidents, ceux où il était prévu ou normal que le commandant soit en fonction. Il est resté un solde de quinze accidents où le pilote en fonction aurait pu être aussi bien le copilote que le commandant de bord. Or, loin de trouver une répartition proche de 50-50 du nombre d’accidents d’avions pilotés soit par le commandant soit par le copilote, dans la quasi-totalité d’entre eux, soit treize, le pilote en fonction était le commandant de bord.
Même si le petit nombre de cas ne permet pas de déduire des pourcentages fiables, une tendance que les enquêteurs jugent réelle se fait jour : un accident a plus de chance de survenir quand celui qui est aux commandes de l’appareil est le commandant de bord plutôt que le copilote.
Bien évidemment, l’explication de ce phénomène n’est pas que les commandants de bord sont moins performants que les copilotes. C’est généralement le contraire : ils ont plus d’expérience et ont réussi plus d’examens sévères. Le mécanisme est d’ordre purement sociologique. Quand le pilote en fonction est le commandant, s’il se trompe, il est difficile au copilote de le lui dire et de rectifier l’erreur... Dans la situation inverse, corriger le copilote ne pose aucun problème au commandant.
Ce mécanisme est confirmé par les données des vols enregistrées : dans le schéma où le commandant de bord est en fonction, le cockpit a tendance à être plus silencieux, moins interactif que dans le schéma inverse. Un exemple concret en est fourni par l’atterrissage manqué du vol Air France 358 à Toronto, en août 2005, alors qu’une remise des gaz était nécessaire. Selon les procédures en vigueur à cette date, seul le commandant de bord pouvait la décider. On comprend qu’avec une telle règle un commandant de bord ignorant qu’une remise des gaz était nécessaire avait moins de chances de se faire corriger par son copilote que dans le cas contraire. Cette politique a été modifiée par Air France depuis l’accident pour mettre les deux pilotes à égalité.
Ce résultat souligne à quel point la hiérarchie doit s’effacer dans le cockpit. L’étude du NTSB citée plus haut esquisse une solution. Il s’agit de donner un rôle plus actif au pilote qui n’est pas en fonction, par exemple en lui demandant d’anticiper et confirmer à haute voix les actions du pilote en fonction. En anglais, on parle de "monitoring".
Cette pratique est en usage dans certaines compagnies. Les auteurs de cette étude concluent sur un paradoxe : la situation la plus sûre est celle où le pilote en fonction est le copilote, le commandant de bord assurant le monitoring, ce qui équivaut à une quasi-inversion de la hiérarchie.