« Retraite : huit Français sur dix ne veulent pas qu’on touche aux 62 ans » titrait à la une le journal Les Echos de vendredi 5 avril 2019. Et Le Figaro, en caractères encore plus gros, annonçait « L’âge de la retraite divise gouvernement et majorité ». Tout cela est tempête dans un verre d’eau. Du moins si la réforme des retraites va à son terme – ce qui n’est hélas pas certain, tant la préparation de la réforme traîne en longueur.
Les systèmes de retraite modernisés fonctionnent avec un âge pivot
Les systèmes de retraite modernisés, comme celui des Etats-Unis et celui de la Suède, fonctionnent avec ce qu’il est convenu d’appeler un âge pivot. Le calcul de la pension s’effectue en deux temps : la Caisse de retraite calcule d’abord la pension P qui serait versée si elle était liquidée à cet âge pivot A ; Puis elle multiplie P par un coefficient actuariel dépendant de l’âge auquel l’assuré social va effectivement commencer à percevoir sa pension. Si cet âge est supérieur à A, ce coefficient est supérieur à 1, parce que la pension sera versée moins longtemps. Et si l’âge de liquidation est inférieur à A, le coefficient actuariel est inférieur à 1, parce que la pension sera perçue plus longtemps.
Cet âge pivot constitue évidemment l’une des variables de commande à la disposition de l’instance responsable de la gestion du système de retraites. En bonne logique, cette instance le relève lorsque l’espérance de vie augmente. Mais cela n’oblige pas les travailleurs à partir à la retraite plus tard. Chacun peut liquider sa pension quand il veut, ou à partir d’un âge minimal assez bas – mais s’il choisit de liquider tôt, et donc de percevoir probablement sa pension longtemps, il doit se contenter d’une mensualité plus modeste.
Aux Etats-Unis, l’âge pivot est 66 ans et 2 mois pour les personnes nées en 1955 ; 66 ans et 4 mois pour celles nées en 1956 ; 66 ans et 6 mois pour celles nées en 1957 ; et ainsi de suite jusqu’à 67 ans pour celles nées en 1960 ou postérieurement. Ce programme de relèvement progressif de l’âge pivot sera vraisemblablement complété un jour ou l’autre : il est peu probable que 67 ans soit un sommet définitivement indépassable.
Pourquoi ne pas être plus souple en France qu'aux Etats-Unis ?
Actuellement, les Américains peuvent liquider leur pension entre 62 et 70 ans. Prenons l’un d’eux, né en avril 1955 : pour lui, l’âge pivot est 66 ans et 2 mois. S’il veut liquider aujourd’hui, libre à lui, mais comme il n’a que 64 ans, sa pension sera calculée avec application d’un coefficient 0,856. S’il avait voulu liquider à 62 ans, le coefficient aurait été 0,742. Et s’il attend 66 ans, anticipant de seulement 2 mois, le coefficient sera 0,989. Bien entendu, s’il attend 70 ans, le coefficient sera supérieur à l’unité. Pour découvrir de combien exactement, je laisse le lecteur aller sur le site de la Social security, qu’il peut atteindre au bon endroit en passant par le site français CLEISS : en quelques clics, comme on dit, l’assuré social américain sait exactement à quelle sauce il va être mangé.
Rien n’empêcherait la France d’être encore plus souple que les Etats-Unis, en ne définissant pas légalement un âge minimal et un âge maximal. J’espère que c’est ce que proposera finalement le Haut-commissariat à la réforme des retraites mais, si je devais parier, je miserais sur l’adoption d’une plage, comme aux Etats-Unis : il est en effet peu probable que le gouvernement et le Parlement français, imbibés de culture dirigiste et paternaliste, veuillent laisser au bon peuple une entière liberté de choix, ils auraient trop peur qu’il en soit fait mauvais usage !