Bitcoins : un risque hors normes pour le détenteur ?

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Par Alban Bégué et Audrey Benois Publié le 29 avril 2014 à 5h30

Les projecteurs de l'actualité se sont récemment braqués sur le phénomène Bitcoins à l'occasion de la cessation d’activité soudaine et médiatisée de l'une de leur plus grandes plateformes d’échanges, MtGox. L'incident MtGox a eu pour vertu de mettre en lumière de nombreuses problématiques concernant la viabilité, la sécurité ainsi que les risques associés à ce système monétaire virtuel sans véritable précédent et jusqu'alors peu connu du grand public.

Le Bitcoin a été créé en 2009 a priori[1] comme un mode alternatif possible de règlement sécurisé des transactions sur Internet en dehors de toutes contraintes d'autorité centrale d'émission ou de contrôle. Il se présente comme une unité de valeur dématérialisée, correspondant à un nombre dont les propriétés mathématiques sont uniques et particulières. Chaque nombre correspond donc à une « pièce »[2] ou unité, émise graduellement (ou « trouvée »[3]) aux termes de longs calculs effectués grâce à de puissants ordinateurs mis à disposition par d'innombrables participants au système, dispersés dans le monde entier et appelés « miners »[4]. Dès l’origine, les concepteurs du projet ont volontairement limité le nombre de Bitcoins à « trouver » à 21 millions d’unités. A ce jour, le nombre de Bitcoins créés est estimé à environ 12,2 millions[5], et il est prévu que l'émission se poursuive encore quelques dizaines d’années jusqu'à atteindre le plafond initialement fixé.

N'importe qui peut se porter acquéreur de Bitcoins émis et en circulation par le biais de plateformes d’échanges et contre des devises ayant cours légal. On peut également en obtenir en vendant des biens ou services sur Internet rémunérés en Bitcoins. Les Bitcoins sont utilisables pour des transactions sur Internet auprès de l’un des 60.000 sites acceptant ce mode de paiement, ou entre particuliers acquis au système. Ils sont également devenus un outil de spéculation, comme n'importe quelle autre valeur faisant l'objet d'échanges.

Mais le Bitcoin est avant tout et principalement devenu un véritable outil de paiement non soumis aux contraintes règlementaires des monnaies officielles. Le Bitcoin échappe donc, pour l’instant, aux règles d’encadrement des systèmes monétaires internationaux et constitue un « mode de paiement décentralisé qui échappe au contrôle des Etats et de leurs banques centrales »[6]. Les autorités étatiques sont néanmoins et par la force des choses, concernées par cet outil parallèle et dérégulé (1) et au premier chef par les risques qu’il peut présenter notamment pour leurs détenteurs en cas de krach du système ou plus simplement d'une défaillance de l'un de ses opérateurs (faillite d'une plateforme d'échanges) (2). Si cette forme de paiement doit prospérer sans cadre réglementaire, les utilisateurs devront alors être alertés sur les risques de volatilité de ce qu'ils considèrent être une monnaie (3) mais également sur les risques liés à sa pérennité (4).

  1. 1.Comment les autorités étatiques appréhendent-elles le Bitcoin ?

Les transactions réalisées en Bitcoins sont totalement anonymes, bien que de plus en plus de plateformes d’échanges exigent de leurs utilisateurs un justificatif d’identité (comme la plateforme Bitstamp en Allemagne). Il reste cependant facile de contourner ces exigences de façade, destinées surtout à apaiser certaines craintes des autorités locales.

C'est notamment grâce à cet anonymat que lors de la récente crise financière chypriote, de nombreux investisseurs étrangers auraient échangé leurs actifs en Bitcoins pour les faire « sortir » de Chypre sans subir les taxations bancaires.

Les Etats s’interrogent donc légitimement sur le caractère intrinsèquement opaque de ces opérations, susceptibles de favoriser le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme. La Banque centrale européenne évoquait d’ailleurs ce risque en 2012 craignant que le Bitcoin ne devienne une « monnaie alternative pour le trafic de drogue et le blanchiment d’argent en raison de son haut degré d’anonymat »[7].

Certains pays comme la Russie ont déjà pris des mesures afin de déclarer le Bitcoin illégal et en ont interdit l'utilisation sur leur territoire national.

Pour les Etats comme la France, qui n'ont pas pris cette position radicale et officielle, ils sont susceptibles d'accueillir des plateformes d’échange qui réalisent des transactions d’achat/vente et d’échange de Bitcoins sans aucune habilitation particulière et sans contrôle spécifique.


La Banque de France s'est récemment saisie de cette question et, par l’intermédiaire de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, a fait part de sa position sur ce point[8]. Elle affirme sans équivoque que l'activité d’intermédiation consistant à recevoir des fonds de l'acheteur de Bitcoins pour les transférer au vendeur de Bitcoins relève de la fourniture de services de paiement. Or, exercer une telle activité en France, comme en Europe, implique de disposer d'un agrément conditionné notamment par le respect de normes de lutte contre le blanchiment de capitaux et à la fourniture de certaines garanties ou assurances propres à sécuriser sa clientèle. Le défaut d’agrément expose le détenteur de Bitcoins à une absence de protection réglementaire en cas de pertes de son capital Bitcoins ou de défaut ou de cessation d’activité d’une plateforme gérant l’échange ou le stockage de Bitcoins, comme l’illustre la défaillance récente de la plateforme MtGox.

La Cour d’appel de Paris avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question et a statué en ce sens dans une affaire impliquant un intermédiaire de Bitcoins ayant ouvert un compte auprès d’un établissement de crédit, dans un arrêt du 26 septembre 2013[9]. Cet intermédiaire, une société française ne disposant d’aucun agrément, utilisait un compte de dépôt ouvert au Crédit Industriel et Commercial pour recevoir les sommes provenant de transactions réalisées en Bitcoins avec une société japonaise. Le CIC a clôturé ce compte considérant que la société française n’en faisait pas un « usage normal ». En première instance, puis en appel, les magistrats ont confirmé la position du CIC[10] et considéré qu’une telle activité ne pouvait être réalisée sans l’agrément exigé pour les prestataires de services de paiement.

Si la France a engagé une réflexion et pris une position pour le moment limitée et timide, ce n'est pas le cas de tous les Etats. Mais il est évident que chaque pays devra immanquablement résoudre et dans un futur proche un grand nombre des incertitudes liées à la nature même du Bitcoin, à sa reconnaissance et à son traitement juridique, et il y a fort à croire que ce mouvement sera entrainé par la nécessaire volonté de clarifier le traitement fiscal des revenus des particuliers provenant de la création de Bitcoins ou des plus-values résultant de la spéculation.

Jusqu’à présent, les services de Bercy, répondant à une question isolée d’un particulier, considèrent qu’il n’existe en l’état actuel du droit français « aucune disposition fiscale spécifique à la monnaie virtuelle »[11] et qu’il convient dès lors de déclarer les revenus provenant des Bitcoins comme un bénéfice non commercial dans la mesure où « les gains et plus-values réalisés, occasionnellement ou non, par un contribuable, personne physique, sont par principe imposables à l’impôt sur le revenu »[12].

Gageons que l'affaire MtGox soit le premier soubresaut propre à créer un phénomène d'entrainement entre les Etats jusqu'alors restés passifs.

Pour l'heure, les autorités réagissent à chaud en usant d'un cadre réglementaire le plus souvent non adapté aux situations de crise touchant les utilisateurs de cet outil. C'est ce qui vient de se passer au Japon et aux Etats Unis.


2.Risques liés aux défaillances d’une plateforme d’échange : le cas particulier de MtGox.

La récente affaire dite « MtGox » illustre les risques auxquels les détenteurs de Bitcoins peuvent être exposés en cas de défaillance d’une plateforme assurant le stockage et les transactions de Bitcoins. La plateforme MtGox était l’une des plus importantes plateformes d’échange et de stockage de Bitcoins. Sa fermeture brutale, le 25 février 2014, serait due selon son Président à un piratage informatique qui aurait occasionné la perte de plus de 750.000 Bitcoins stockés là par ses clients. La plateforme a cependant indiqué le 21 mars 2013 avoir « retrouvé » 200.000 Bitcoins placés sur un porte-monnaie virtuel « oublié »[13]. Restent 550 000 Bitcoins évaporés. L’affaire suit son cours.

Il faut s’intéresser au sort des détenteurs de Bitcoins stockés sur cette plateforme, privés de leurs deniers virtuels. De quels recours disposent-ils ? Certainement d’un recours judiciaire. Et c’est d’ailleurs pour prévenir les recours judiciaires que la plateforme s’est placée, au Japon comme aux Etats-Unis, sous la protection du droit des faillites, évitant ainsi la multiplication des actions en justice de la part des détenteurs de Bitcoins dépossédés de leurs biens.

Cette affaire amène à se poser la question de l’adéquation des normes existantes au système des Bitcoins, qui cherche justement à s’en affranchir. La question d’une application généralisée de ces normes doit ainsi être posée : puisque ces plateformes s’affranchissent de la « contrainte » règlementaire dans le cadre de leurs opérations normales, n’est-il pas singulier qu’elles puissent en cas de difficulté si facilement s’abriter derrière la loi ?

Le débat est aussi bien juridique que philosophique. On ne pourra en effet dénier à une société commerciale d'un pays qu'elle bénéficie de la protection des lois locales sur la faillite dès lors qu'elle est en difficulté, mais devra-t-on pour autant refuser aux clients de cette société tous recours dès lors que leur risque a pu être amplifié par l'inaction des autorités face à un phénomène qu'on aura laissé prospérer en dehors des cadres et en connaissance de cause.

L’affaire « MtGox » a levé le voile sur un risque jusque-là mal anticipé, celui de l’exposition des détenteurs de Bitcoins au risque de faillite des plateformes d’échanges. A ce premier risque vient s’ajouter celui de la volatilité du cours du Bitcoin.

  1. 3.Des risques pour l’investisseur en Bitcoins, liés à sa volatilité.

Le cours du Bitcoin est fluctuant, au même titre que les valeurs mobilières échangées sur les marchés. Le Bitcoin n’étant pas uniquement utilisé comme monnaie mais également à des fins spéculatives, on ne peut que constater son extrême volatilité.

Les investisseurs en Bitcoins sont ainsi sujets aux mêmes risques que les autres investisseurs ce qui n'est donc pas anormal à première vue. Cependant, alors que les placements en valeurs mobilières se font classiquement par l’intermédiaire d’établissements de crédit ou de fonds communs de placement spécialistes de leur sujet, l’investissement en Bitcoins est accessible à tous et une fois encore non régulé, exposant ainsi les non-initiés à des risques réels qu’ils maîtrisent probablement mal et sur lesquels aucune information n'aura été fournie.

Le système Bitcoin est largement basé sur la confiance et l'utilisation d'une technologie très aboutie. Mais il induit un risque de fluctuation et de volatilité d’autant plus élevé qu’il ne repose sur aucun élément matériel. A l’instar de certaines start-up biotechnologiques dont l’activité est encore consacrée à la recherche, il n’existe pas de contrepartie physique et donc de garantie de capital. Ce type d’investissement est ainsi particulièrement sensible aux effets d’annonce augmentant sa volatilité et le risque financier qui en découle. A titre d’exemple, si jusqu’au printemps 2011 le Bitcoin ne valait pas plus d’un dollar, sa valeur atteignait jusqu’à 600 dollars en mars 2014, après un bref pic à plus de 1.200 dollars les mois précédents.

Le cours du Bitcoin est donc extrêmement variable. Le risque de manipulation est d’autant plus important que 45% des Bitcoins existants[14] seraient détenus par une poignée d’individus (estimés à 1.500) sans aucun cadre légal. Dès lors, les investisseurs, avertis des risques, devront redoubler de prudence.

Au-delà de cette problématique de volatilité, somme toute prévisible, il existe un autre risque susceptible d’affecter la structure même de l’écosystème des Bitcoins : sa pérennité.


  1. 4.Des risques liés à la pérennité des Bitcoins.

Comme nous l'avons déjà évoqué, le Bitcoin repose sur un système décentralisé, au sein duquel il n’existe aucune autorité de contrôle ni de référence comme peut l’être une banque qui reconnait une dette aux porteurs des billets qu’elle a émis. Les transactions réalisées en Bitcoins sont authentifiées par le réseau pour être valides. Ce réseau est composé de l'ensemble des puissances de calcul, ou miners, et l’authentification des transactions intervient lorsque la majorité du réseau valide l’opération.

La pérennité du système Bitcoins est donc conditionnée par la répartition de ce pouvoir d’authentification entre des mains différentes et indépendantes et non dans une puissance dominante. En effet, si une entité parvenait à mobiliser la majorité de la puissance de calcul, elle pourrait alors théoriquement contrôler l’ensemble des transactions réalisées en Bitcoins[15] et échapper à tout contrôle. Cette faiblesse technique surnommée le « fifty-one percent attack » est susceptible de porter atteinte à la pérennité du système Bitcoins. Dans le cas d’une telle attaque, il y aurait fort à parier sur l’effondrement rapide du système, personne ne pouvant plus faire confiance à autrui

Par ailleurs, certains économistes craignent que le système du Bitcoin ne s’avère être une nouvelle structure pyramidale, également appelée schéma de Ponzi. Il convient d’être prudent dans cette approche puisqu’il ne semble pas que le système du Bitcoin ait été conçu comme tel à l’origine. Il est en revanche possible que les premiers entrants du système soient parvenus, en toute conscience ou malgré eux, à instaurer un système qui en revêt les caractéristiques principales. En effet, au fur et à mesure que le cours du Bitcoin monte, de nouveaux agents se mettent à « miner » attirés par des gains potentiels. D’autres achètent des Bitcoins contre des devises, entretenant le phénomène haussier et rémunérant ainsi les entrants précédents. Un tel phénomène de bulle a déjà été observé à plusieurs reprises dans (la courte) histoire du Bitcoin. Jusqu'à maintenant le système a systématiquement survécu à ces effets de bulles.

La question n’est peut-être pas de savoir si le Bitcoin sera en mesure de se relever une ou plusieurs fois, mais plutôt de savoir jusqu’à quand, puisque la répétition des phénomènes décrits pourrait devenir à chaque fois plus difficile à contenir sans l’intervention d’un régulateur. Dans le cas des Bitcoins, les effondrements pourraient être d’autant plus accélérés qu’il s’agit d’un système reposant majoritairement sur la confiance mais sans aucun élément sous-jacent physique. Ainsi, un économiste affirme qu’« il n’y a aucune réalité économique ou financière derrière le Bitcoin : seulement une valeur de convenance entre parties »[16].

Conclusion

Si le système du Bitcoin doit prospérer il ne pourra rester à l’abri des normes légales, dans la mesure où les autorités judiciaires et étatiques ont d’ores et déjà été amenées à intervenir afin d’appliquer au Bitcoin certaines règles de droit. Les risques auxquels sont exposés les investisseurs sont par ailleurs si importants que la mise en place d’une autorité centrale devra probablement être envisagée afin de garantir, d’une part, la stabilité du Bitcoin et, d’autre part, sa pérennité. La création de cette autorité centrale irait néanmoins littéralement à l’encontre du principe fondateur de ce système décentralisé. Par ailleurs, la création d’un cadre normatif complet adapté à ce nouveau système est une tâche complexe et ne saurait être pertinent et applicable que s’il est élaboré au niveau mondial. Il est donc à craindre que les Etats ne légifèrent pas dans l’immédiat et continuent d’appliquer des normes existantes mais inadaptées à ce nouveau système, laissant les risques perdurer encore longtemps pour les détenteurs de Bitcoins.

Audrey Benois & Alban Bégué

Avocats à la Cour - Stehlin & Associés


[1] Le mystère autour de qui créa le système et dans quel but, est encore assez épais pour la majorité des initiés et non-initiés - Newsweek – Le Visage derrière le Bitcoin – 6 mars 2014.

[2] Bitcoin vient de « Bit », l'unité de mesure en informatique (un chiffre binaire soit 0 ou 1) et « Coin » pièce en anglais.

[3] En référence aux « miners » (note 4 ci-dessous) qui cherchent l’unité Bitcoin se trouvant au bout d’un processus de calcul.

[4] Les termes « miners » et « minage » font référence à l’extraction de métaux précieux.

[5]https://blockchain.info/fr/charts/total-bitcoins

[6] 3 questions : Le Bitcoin – J.Lasserre Capedeville – JCP E – 9 janvier 2014.

[7] European Central Bank – Virtual Currency Scheme – Octobre 2012

[8] ACPR – Banque de France – Communiqué de presse – 29 janvier 2014

[9] CA Paris, pôle 5, ch. 6, 26 septembre 2013, n° 12/00161, SAS Macaraja c/ SA Crédit Industriel et Commercial

[10] Clôture d’un compte bancaire où transitaient des Bitcoins – JCP E – 30 janvier 2014

[12]Ibidem

[15]https://learncryptography.com/51-attack/

[16] Démystifier la finance – Blog Le Monde – Georges Ugeux : https://finance.blog.lemonde.fr/2014/02/09/le-bitcoin-est-devenu-un-ponzi-scheme/

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Alban Bégué a rejoint le cabinet Stehlin et Associés en 2013 après avoir travaillé au sein d’un cabinet spécialisé en droit des nouvelles technologies. Il est titulaire d’un Master de Droit des Activités Numériques de l’Université Paris 5-Descartes. Alban Bégué intervient en matière de conseil et contentieux dans les domaines du droit des nouvelles technologies & de la propriété intellectuelle, et participe à la négociation de contrats informatiques et industriels.   Audrey Benois exerce au sein du cabinet Stehlin & Associés depuis 2012 et est titulaire d’un master 2 en droit des relations économiques internationales de l’université Panthéon-Assas Paris II. Elle a également étudié en Espagne, à l’Université de Salamanque, et est bilingue en Espagnol. Elle fait partie du département contentieux & arbitrage et intervient dans tous les contentieux de droit économique, droit commercial général et expertise industrielle.  

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